Lili Sohn, autrice de la BD Nos poils, nous rappelle que la véritable beauté réside dans la liberté de choisir sa propre relation avec son corps.

Au cœur de la question du corps féminin et des normes esthétiques imposées par la société, la question du poil reste un sujet délicat et paradoxal. Si, pendant des siècles, l’épilation a été perçue comme un rituel nécessaire pour se conformer aux standards de beauté, elle devient aujourd’hui un terrain de résistance, où les femmes revendiquent leur droit à l’émancipation. Toujours au cœur des discussions sur l’image corporelle des femmes et la manière dont elles sont censées répondre aux attentes sociétales, il est aussi le thème de fond du nouveau livre de Lili Sohn : Nos poils. Lili aborde cette question sous un angle novateur ; à travers une BD, questionnant les normes et les pressions sociales qui pèsent sur le corps féminin. À travers ses illustrations et son récit, l’autrice dépeint le rapport complexe des femmes à leur corps, un rapport souvent influencé par des impératifs culturels et esthétiques.

Lors de notre rencontre à la Foire du Livre, Lili Sohn nous a partagé son cheminement de ces cinq dernières années ainsi que son expérience – quelque peu paradoxale – de perdre ses poils à cause de la chimiothérapie suite à un cancer, pour ensuite attendre impatiemment leur repousse lors de sa rémission, avant de les raser à nouveau. Un cercle vicieux fait de normes, d’attentes et de libération, qui résume bien la tension entre conformisme et émancipation à travers le geste de l’épilation.

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Autrice de bande dessinée, elle s’est toujours servie du dessin pour raconter son vécu et déconstruire les injonctions qui pèsent sur les femmes. En 2015, elle publie La guerre des tétons, une trilogie dans laquelle elle revient sur son combat contre le cancer du sein, diagnostiqué à l’âge de 29 ans. Depuis, son travail s’inscrit dans une réflexion plus large sur la féminité et les normes sociales, abordant des thèmes comme la maternité (Mamas), la représentation du sexe féminin (Vagin Tonic), ou encore la déconnexion numérique (Partir sur les chemins de Compostelle).

Les poils, on en fait toute une histoire 

L’épilation féminine a toujours été un marqueur de conformité aux canons de beauté occidentaux. L’histoire de la femme épilée remonte à l’Antiquité, mais c’est au XXe siècle qu’elle prend une ampleur décisive. Dans les années 1920, l’apparition des jupes courtes a popularisé l’épilation des jambes, et c’est dans les années 1960 que, avec le mouvement féministe, des voix se sont élevées contre cette norme, tout en restant, paradoxalement, dans un cadre où les attentes sociétales étaient fort présentes.

Dans Nos poils, Lili Sohn illustre cette pression avec humour et introspection, offrant une perspective qui fait écho aux luttes contemporaines pour la reconnaissance du corps féminin, loin des standards imposés. « Ce livre est une tentative de déconstruire les stéréotypes associés au poil et d’offrir un espace où les femmes peuvent choisir librement comment elles veulent habiter leur corps », confie-t-elle.

Avec son dernier ouvrage, Lili a décidé de se mettre à l’épreuve : elle a arrêté de s’épiler pendant un an – spoiler alert : ça fait 5 ans désormais qu’elle ne se rase plus – afin d’interroger son propre rapport à la pilosité et aux injonctions esthétiques. « Je me suis questionnée sur le poil féminin, pourquoi est-il si horrible sur les femmes et si accepté, voire beau, sur les hommes. Pour ça, j’avais besoin de me mettre en situation et de m’interroger, moi, sur ma propre pilosité », explique-t-elle. Un choix qui lui a permis de mettre en lumière la difficulté de se détacher de ces normes intériorisées dès l’enfance. La démarche, le cheminement et l’expérience qui s’en est suivie n’a pourtant PAS été simple : « Surtout par rapport à mon propre regard, ou celui de mon conjoint, j’ai parfois réussi et parfois, j’ai trouvé ça beaucoup trop dur. »

Un feed Instagram poilu

Dans sa démarche de déconstruction, Lili Sohn a aussi repensé son rapport aux images qui l’entourent. Consciente de l’impact des réseaux sociaux sur la perception de la beauté – et de sa propre beauté –, elle a choisi de façonner un feed Instagram où la pilosité féminine est normalisée. « À force d’être exposée à des images de femmes poilues, mon regard a évolué », explique-t-elle.

 

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Parmi les premières injonctions auxquelles les femmes sont confrontées, l’épilation figure en tête de liste. Très tôt, les poils deviennent une source de pression sociale, souvent dû à une remarque lancée à la légère par un cousin, un frère, un camarade de classe : « Oh, mais t’es poilue, beurk c’est sale » ou encore « Pourquoi t’as de la moustache ? ». Et voilà qu’un nouveau complexe naît, s’ajoutant au fardeau mental qui pèse déjà sur le corps des jeunes filles en pleine puberté. Qui n’a jamais renoncé à porter une jupe par crainte d’exposer ses jambes non rasées ? Combien de fois vous vous êtes cachées derrière un paréo à la plage parce que vous avez manquer votre rendez-vous chez l’esthéticienne ? Ou combien de fois vous vous êtes refusées d’avoir un rapport sexuel par faute d’épilation ?

C’est pourquoi, il était impératif pour Lili de prendre du recul sur ces diktats pour changer  progressivement son regard sur sa pilosité. En s’entourant d’images plus diverses et en se détachant des normes imposées par le regard masculin , elle s’est libérée de cette injonction à travers un feed Instagram de femmes poilues. Une preuve, selon elle, que l’esthétique n’est rien d’autre qu’une construction sociale, malléable et évolutive. Aujourd’hui, elle adore ses poils sous les bras et, contre toute attente, les trouve même jolis.

#Maipoils et #Januhairy

Malgré cette libération croissante, les contradictions persistent. Dans un monde où le poil peut être perçu comme un acte subversif, la pression sociale reste omniprésente. Les femmes qui choisissent de ne pas s’épiler ou qui s’opposent à l’idéologie de la peau lisse sont souvent confrontées à des jugements. Le poil est fréquemment associé à la négligence, à une absence de féminité ou encore à un retour en arrière.

Pourtant, des initiatives telles que #Januhairy et #Maipoils sur les réseaux sociaux encouragent de plus en plus les femmes à laisser pousser leurs poils et à partager leur expérience pendant un mois, contribuant ainsi à lever ce tabou sur la pilosité féminine – qui, rappelons-le, est naturelle et joue un rôle protecteur pour le corps. #Januhairy, lancé en 2019 par une étudiante britannique, invite les femmes à ne pas s’épiler durant tout le mois de janvier afin d’interroger les normes de beauté et de promouvoir l’acceptation du corps au naturel. De son côté, #Maipoils, initié au Québec, adopte une démarche similaire en mai, dans le but de déconstruire collectivement les injonctions sociales liées à la pilosité féminine. Ces hashtags, devenus viraux, témoignent d’une prise de conscience collective et d’un désir croissant de redéfinir la féminité. Lili Sohn souligne d’ailleurs que l’idée même de liberté dans ce domaine est façonnée par des choix culturels et sociaux : « Beaucoup de femmes détestent leurs poils, mais se sont-elles déjà demandé pourquoi elles les détestent ? »

Au final, l’enjeu n’est pas tant de vous dire quoi faire avec vos poils. Il ne s’agit pas d’instaurer une nouvelle norme : vous êtes libres d’avoir la relation que vous souhaitez avec vos poils. La réflexion se porte plutôt sur le glabre féminin en parallèle de ces femmes qui se laissent pousser les poils – loin d’être un simple acte esthétique, c’est devenu un véritable symbole de la lutte contre les normes imposées. En se libérant de l’injonction à l’épilation, ces femmes réaffirment leur droit à l’autonomie corporelle et leur liberté de penser.

Dans un monde où l’apparence, selon une vision centrée sur les désirs masculins, donne encore trop souvent le tempo, choisir de garder – ou d’enlever – ses poils devient une manière de défier la pression physique et sociale. Comme le rappelle Lili Sohn dans Nos poils, c’est avant tout dans la liberté de choisir que réside la véritable beauté.