À quoi ça sert une clinique de genre ?

Mis à jour le 6 janvier 2023 par Camille Vernin Photos: Unsplash - Nick Fewings
À quoi ça sert une clinique de genre ? © Nick Fewings - Unsplash

Une nouvelle clinique de genre ouvrira à Bruxelles en 2023. Si le nom sonne inclusif et « open-minded », il reste abstrait. Qu’est-ce que c’est et à qui est-ce destiné ?

On parle de « la première », mais en réalité, il existe déjà trois « cliniques de genre » en Belgique (à Gand, Liège et Genk). La quatrième s’installera au CHU Brugmann et sera bien la première clinique de ce type dans la capitale. Son but ? Proposer des suivis médicaux multidisciplinaires à toutes les personnes en questionnement sur leur identité de genre (et pas uniquement aux personnes transgenres en transition physiologique). 

Un réel besoin de société

En Belgique, on estime que 5 à 6 % de la population est en questionnement identitaire. On trouve dans ce pourcentage statistique des personnes intersexuées, qui naissent avec des caractéristiques sexuelles ne correspondant ni aux catégories mâles ou femelles. Des personnes transgenres dont le sexe biologique ne correspond pas à leur identité ressentie. Des personnes non binaires ou fluides dont l’identité de genre évolue avec le temps (femme, homme ou les deux à la fois). L’éventail du lexique ne s’arrête pas là, et la clinique de genre s’adresse à toutes ces personnes. 

« Nous ne sommes pas qu’une clinique de la transidentité », explique Priam Van Eeckhout, directeur des opérations à l’hôpital Brugmann à l’initiative de la clinique de genre. « Les personnes en questionnement sur leur identité de genre sont souvent stigmatisées, car perçues comme déviantes. Notre objectif est de leur offrir un cadre sécurisé avec des médecins à la pointe dans une série de disciplines : endocrinologie, hormonothérapie, vaginoplastie, phalloplastie, dermatologie, urologie, gynécologie… le tout dans un hôpital public bilingue au cœur de Bruxelles. » Au-delà du cadre médical, il y a la volonté de créer un cadre d’écoute psychosocial, mais aussi une aide juridique pour gérer l’administration souvent complexe de ce type de situation. 

Du personnel formé aux transidentités 

Le défi ? Intégrer une prise en charge différenciée pour chaque patient·e, sans jamais tomber dans la stigmatisation. Une tâche d’autant plus périlleuse que la demande est énorme. À l’UZ de Gand, on compte une liste d’attente de 1.000 patient·e·s pour les six prochains mois. « Des patient·e·s appellent déjà aujourd’hui pour avoir un rendez-vous à Bruxelles », confie Priam Van Eeckhout. « Je pense que le fait que les transidentités soient de plus en plus visibles joue un rôle », explique Samantha Warginaire, représentante de l’ASBL TRANS-ition. « On voit de plus en plus de figures publiques qui s’assument, comme la ministre Petra de Sutter ou la journaliste de VTM, Bo Van Spilbeeck. » 

Mais il manque selon elle une visibilité claire du personnel formé. « Il y a encore beaucoup de médecins et psychologues complètement fermé·e·s sur la question, ou pas assez formé·e·s. Il y a aussi les chirurgien·ne·s qui ont fait des transidentités leurs fonds de commerce », explique-t-elle. Trouver un·e bon·ne professionnel·le de santé fonctionne donc souvent grâce au bouche-à-oreille. D’où l’importance de lieux centralisés, avec un personnel formé, mais aussi en nombre suffisant pour faire face à la demande. « Pour une vaginoplastie (qui n’a rien d’une “obligation” dans une transition, NDLR), l’attente est de plus ou moins deux ans », explique Samantha. « Les chirurgies esthétiques plus “classiques” comme l’augmentation mammaire sont plus rapides. Mais une vaginoplastie est une opération complexe pour laquelle on n’a pas envie de se rendre n’importe où. L’Université de Gand jouit d’une réputation internationale, mais il y a une forte demande puisqu’elle attire des gens du monde entier. » 

Sortir de la psychiatrisation 

Si elle a été fortement médiatisée, la clinique de genre ne serait pas la panacée pour autant selon plusieurs associations et ASBL représentant les personnes transgenres, fluides ou intersexuées. L’absence d’accueil véritablement adapté est notamment l’un des problèmes pointés du doigt. « Quand vous poussez les portes de la clinique de genre à Liège, il y a un questionnaire très intrusif avec une cinquantaine de questions », explique par exemple Samantha Warginaire. Une faille que la nouvelle clinique de genre du CHU Brugmann souhaite éviter, en s’inspirant notamment des méthodes des pays anglo-saxons, mais aussi en effectuant des formations dans la clinique de Gand et auprès des associations de patient·e·s. Mais la question qui fait le plus débat reste celle de la « pathologisation » des transidentités. Le CHU Brugmann a déjà annoncé – et c’est une grande nouveauté – que la première consultation se ferait en tandem, avec un·e endocrinologue et un·e psychiatre.

Une solution loin d’être suffisante selon l’ASBL Genres Pluriels qui souhaite une approche « non psychiatrisante ». Pour cela, elle invoque notamment la Convention européenne des droits de l’homme (en passe de devenir « des droits humains », NDLR), qui postule que chacun·e a le droit de disposer de son corps. « Au niveau légal, il n’y a aucune obligation de passer par un rendez-vous psychiatrique pour débuter un traitement hormonal ou une chirurgie de réattribution ou de réassignation sexuelle », explique Aurore Dufrasne, coordinatrice du Réseau Psycho-médico-social Trans* et Inter* belge qui a déjà formé plus de 10.000 professionnel·le·s. « C’est uniquement une question de remboursement. Pour obtenir une convention Inami comme à Gand et à Liège, l’Inami exige un rendez-vous psychiatrique pour identifier une “dysphorie de genre”, ce qui sous-tend une pathologie mentale, alors que l’OMS ne considère plus les transidentités comme telles depuis 2019. Au-delà du fait que cette pratique n’est pas obligatoire, elle est donc illégale. » Ce qui ne signifie pas que ce genre d’intervention ne nécessite pas un accompagnement sur la durée, tempère-t-elle. D’ailleurs, en dehors des cliniques de genre, de nombreux autres endroits existent pour un suivi psychosocial ou une préorientation médicale. 

Quoi qu’il en soit, les transidentités ne nécessitent pas forcément le passage par une opération chirurgicale ou un traitement hormonal. « Une personne transgenre ne doit pas obligatoirement changer de corps pour se sentir plus légitime d’être trans », explique Max Nisol, formateur chez Genres Pluriels. « On souffre davantage du jugement des autres que de transidentités. » Les problèmes d’accès aux soins liés à la peur de la discrimination sont d’ailleurs un important facteur de comorbidités. Alors, si on peut se réjouir que des cliniques de genre s’ouvrent un peu partout dans notre pays, on espère surtout qu’elles annoncent une nouvelle ère qui donnera un coup de balai aux préjugés.

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