Dorénavant, toute forme de nudité est proscrite, aussi bien sur le tapis rouge que dans les autres espaces liés au festival de Cannes. « Cette règle sera strictement appliquée. Des équipes ont été mises en place pour refuser l’accès au tapis rouge à toute personne dont la tenue ne serait pas conforme. Nous attendons de tous qu’ils respectent notre règlement », précisent les responsables du festival. Les règles sont désormais claires : les hommes devront obligatoirement porter un costume. Pour les femmes, les organisateurs ont établi une liste de recommandations : « petite robe noire », « robe de cocktail », « tailleur-pantalon de couleur sombre », ou encore « top habillé avec un pantalon noir ».

Une annonce qui questionne forcément. Et si derrière cette injonction à la décence se cachait une autre réalité : celle d’une norme qui dicte, une fois encore, ce que les femmes peuvent ou non montrer ?

Revenir sur une liberté conquise

S’il est là avant tout pour célébrer le septième art, le Festival de Cannes est depuis toujours le théâtre d’extravagances stylistiques. Décolletés vertigineux, dos nus, robes transparence et fentes couture sont depuis longtemps devenus l’apanage de l’événement. Plus qu’un tapis rouge, il s’agit d’un terrain d’expression, un moment de mise en scène de soi, parfois politique. De Bella Hadid en Schiaparelli façon arbre bronchique doré à Julia Fox et ses expérimentations semi-nues, en passant par les robes body positive de Lizzo ou les looks punk de Kristen Stewart pieds nus, chaque tenue raconte quelque chose. De la féminité, du pouvoir, de la liberté.

 

Voir cette publication sur Instagram

 

Une publication partagée par CATWALKATS (@catwalkats)

Mais au fond, c’est quoi la “nudité” ?

C’est là que le bât blesse. Car le mot « nudité » n’est pas une catégorie juridique ni un code vestimentaire. Il se révèle donc infiniment subjectif. Une robe transparente ? Un dos nu ? Une poitrine partiellement couverte ? Une fente grimpant jusqu’à la hanche ? Où commence l’indécence ? Et qui décide de la ligne rouge surtout ?

En désignant la “nudité” comme nouvelle frontière à ne pas franchir, Cannes ouvre surtout la porte à un arbitraire questionnable, à des contrôles ciblés, et à des rappels à l’ordre où les corps des femmes seront scrutés et jugés, pour ne pas changer. Un glissement en filigrane vers un monitoring du corps féminin.

Le style, outil d’émancipation

Le problème n’est donc pas esthétique mais politique. Tout le monde le sait, depuis plusieurs années, la mode est devenue un espace de réappropriation des corps, une manière pour les femmes de revendiquer leur droit à la sensualité, au show, mais aussi à l’ambiguïté. Porter une robe échancrée, ce n’est pas se soumettre au regard masculin, c’est parfois même le détourner, le piéger, le narguer. C’est dire : je m’exhibe parce que j’en ai envie, pas parce qu’on m’y oblige.

À l’heure où l’on se bat pour que les femmes puissent allaiter en public, s’habiller comme elles le souhaitent dans la rue ou encore s’affirmer dans l’espace public, difficile de ne pas voir cette mesure comme un recul. Une tentative de faire rentrer les corps dans le rang. D’imposer une nouvelle bienséance glamour, policée, instagrammable, mais sans excès. Un « chic » bourgeois et aseptisé qui ne sent pas bon l’émancipation.

Le tapis rouge, théâtre de contrôle des corps ?

Ce n’est pas la première fois que Cannes flirte avec un certain conservatisme vestimentaire. En 2015, un groupe de femmes s’est vues interdire une projection car elles portaient des talons plats. Thierry Frémaux avait alors reconnu un « petit moment de zèle » dont il « s’excusait ». Sans parler des polémiques récurrentes sur les tenues jugés « inappropriées ». Le tapis rouge est-il en train de devenir un terrain de sélection ? Avec des corps calibrés voire censurés à l’avenir ? Pourtant, la transparence tutoie la convenance cannoise depuis des décennies, de Bianca Jagger en robe bustier translucide en 1975 à la robe cut out seins nus de La Cicciolina en passant par la robe complètement transparente de Mélanie Thierry en 2021.

 

Voir cette publication sur Instagram

 

Une publication partagée par @fantomes_esthetiques

Le vrai chic, c’est la liberté

Il ne s’agit évidemment pas de revendiquer la nudité à tout prix – les organisateurs cannois ont-ils été à ce point traumatisés par l’apparition entièrement nue de Bianca Censori aux côtés de Kanye West sur le tapis rouge des Grammy ? Il s’agit simplement de défendre le droit pour chacun.e de choisir son armure, d’accepter que la mode est un mode d’expression comme un autre, et la provocation un acte féministe, un clin d’oeil politique, une revanche sur des siècles de corsets. À l’heure où l’on réclame davantage de diversité, de parité et de libertés, vouloir rhabiller les corps ressemble un peu trop à une stratégie pour les faire taire.