Aujourd’hui, de plus en plus de femmes hautement diplômées disent « oui » à des hommes qui le sont… un peu (ou beaucoup) moins. Ce phénomène porte même un nom en sociologie : l’hypogamie. Ce terme un peu barbare de prime abord désigne le fait qu’une femme choisit un partenaire au niveau d’éducation (ou de statut) inférieur au sien. Un renversement des rôles qui est loin d’être nouveau, mais qui se développe de plus en plus. Alors, choix assumé, contrainte démographique, ou simple effet miroir de notre société en pleine reconfiguration ?
Une question de chiffres… et de réalités
D’après les recherches de Christine Schwartz, sociologue à l’Université du Wisconsin, les couples hétéros où les deux partenaires partagent un niveau d’éducation similaire sont en déclin. En 2020, seuls 44,5 % des mariages correspondaient à ce schéma. Parmi les unions dites « mixtes », 62 % étaient des hypogamies. Un chiffre en forte hausse depuis les années 80. Même constat chez Benjamin Goldman, professeur à Cornell : chez les Américains nés en 1930, seulement 2,3 % des femmes diplômées de l’université épousaient un homme qui ne l’était pas. Ce chiffre grimpe à 9,6 % chez ceux nés en 1980.
Et la tendance ne s’arrête pas aux États-Unis. En Europe aussi, le phénomène se développe doucement mais sûrement. Une dynamique qui n’est pas sans lien avec un autre constat bien connu des démographes : les femmes dépassent désormais largement les hommes dans l’enseignement supérieur. En 2021, il y avait environ 1,6 million de femmes de plus que d’hommes inscrits dans des études supérieures rien qu’aux États-Unis. En Belgique, même son de cloche : les campus se féminisent à vue d’œil.
L’amour à l’épreuve de l’offre et de la demande
Le signe d’un grand changement de mentalité ? Oui et non. Plusieurs études suggèrent que ce n’est pas tant un choix qu’un ajustement. Faute de partenaires masculins au même niveau éducatif, les femmes s’adaptent. « Les préférences ne sont pas figées », souligne Christine Schwartz. « Les gens réagissent rapidement à la disponibilité des partenaires. »
Autrement dit : face à une pénurie d’hommes diplômés, les femmes revoient leurs critères. Et ça ne signifie pas pour autant qu’elles se résignent ou baissent leurs standards. C’est peut-être juste que la case « diplôme » n’a plus le monopole du pouvoir d’attraction.
Et dans le couple, ça donne quoi ?
Pas si simple. Si les femmes hypogames sont parfois perçues comme ultra-progressistes, prêtes à briser tous les codes genrés, la réalité est souvent plus nuancée. D’après une étude de la sociologue Nadia Steiber, ces femmes ne sont pas toujours les plus féministes ni les plus rebelles aux schémas traditionnels. Paradoxalement, les hommes moins diplômés conservent souvent des valeurs plus conservatrices.
Quant à l’impact sur la vie de couple, les résultats sont contrastés. En théorie, une femme plus diplômée pourrait tendre vers un meilleur salaire, plus d’autonomie, une organisation plus égalitaire à la maison. Mais dans les faits, beaucoup de couples retombent dans le schéma classique : l’homme travaille et la femme gère (encore) le foyer. Même dans les unions où la femme est plus diplômée, ce n’est pas elle qui gagne le plus. Selon Schwartz, les femmes en situation d’hypogamie gagnent « un peu plus souvent autant ou plus que leur mari », mais ce n’est pas la norme. La figure du « mari pourvoyeur » reste « étonnamment » tenace.
Les clichés ont la dent dure
Et quand c’est la femme qui ramène le plus gros chèque ? Ce n’est pas toujours bien vu. Dans certains cas, l’écart de diplôme ne pose pas de problème. Dans d’autres, il fragilise l’équilibre du couple. L’une des femmes interrogées par The Atlantic racontait comment la carrière politique qu’elle avait pu bâtir grâce à son mari (mécanicien dans le secteur des déchets) avait fini par créer un fossé entre eux. « On vivait dans deux mondes différents », confiait-elle. Sans parler des regards extérieurs. Quand c’est papa qui reste à la maison pendant que maman bosse dans la tech par exemple, ça fait tiquer la famille, les amis, les collègues,… Parce que, mine de rien, la réussite féminine reste une énigme sociale pour beaucoup.
Vers une nouvelle norme ?
Il serait tentant d’y voir un tournant historique. Mais attention à ne pas s’emballer. L’hypogamie reste marginale comparée à l’hypergamie historique. Et si elle devient plus courante, ce n’est pas encore le grand soir de l’égalité conjugale. Mais il y a un frémissement. Des signes que les mentalités bougent, que les femmes cessent de calquer leurs choix amoureux sur des critères hérités d’un autre siècle. Et puis, au fond, peut-être que ce phénomène dit quelque chose de plus simple : les femmes se sentent désormais assez puissantes pour aimer sans se censurer. Peu importe si l’autre n’a pas Bac +5, pourvu qu’il y ait l’étincelle.
Rappelons aussi que, pendant que l’hypogamie gagne du terrain, l’hypergamie – cette tendance à “épouser au-dessus” – reste solidement ancrée. Par choix ou par réflexe social, beaucoup de femmes continuent à valoriser des partenaires au statut plus élevé. Une stratégie souvent intériorisée, nourrie par des siècles de dépendance économique. Un schéma incompatible avec le féminisme ? Pas forcément. Mais tant que grimper l’échelle sociale passe encore par les épaules d’un homme, c’est l’égalité qu’on retarde.