Sur Reddit et bien au-delà, une nouvelle vague de contestation s’organise : le mouvement antiwork.

Et si la phrase choc des employeurs – “Plus personne ne veut travailler” – était finalement vraie ? Mais pas pour les raisons que l’on croit. Ce n’est pas la flemme, ni la paresse, ni une lubie générationnelle. C’est une révolte qui explose à travers des millions de fils de discussion sur Reddit. Bienvenue dans l’ère de l’antiwork, où le rêve d’un CDI bien rangé a laissé place à un monde libéré de toute tyrannie du boulot.

D’utopie à contre-culture organisée

À l’origine, le subreddit r/antiwork – fondé en 2013 – avait des allures de manifeste libertaire, prônant ni plus ni moins que la fin du travail. L’idée était radicale : refuser tout emploi en contestation totale du système. Mais une décennie plus tard, le mouvement a mué. Aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de dire non au travail, mais de s’insurger contre les conditions dans lesquelles il est imposé.

2,7 millions de membres (les “idlers”, ou “oisifs”) s’y pressent pour raconter leur burn-out, dénoncer un management toxique, échanger des conseils pour démissionner avec panache. On y démonte la “hustle culture”, cette idéologie qui glorifie le travail acharné comme unique voie de salut. Et surtout, on y tisse une nouvelle solidarité, loin du mythe du travail épanouissant.

@stephandden Anti-work movement is here and growing 🤧 #MoneyToks #LearnOnTikTok #AntiWork #GreatResignation #ExitInterview #CorporateTikTok #CareerTikTok #QuitJob ♬ Monkeys Spinning Monkeys – Kevin MacLeod & Kevin The Monkey

Une réflexion mondiale

Ce qui aurait pu rester une simple communauté en ligne s’est transformé en véritable contre-pouvoir. Aux États-Unis, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 4,4 millions de travailleurs ont claqué la porte de leur job en 2021. En Chine, la jeunesse adopte le “lying flat” – rester allongé plutôt que se tuer à la tâche. En Belgique et en France, on rêve d’une retraite à 55 ans. Partout, le rejet du salariat prend de l’ampleur.

Et cela ne se limite pas aux discussions sur Internet. Le boycott massif d’Amazon lors du Black Friday ? C’était eux. Le sabotage des recrutements chez Kellogg’s après l’annonce de licenciements abusifs ? Encore eux. Le message est clair : ce mouvement n’est pas juste un état d’esprit, il s’organise et agit.

Une contestation qui trouve écho dans la culture populaire

Ce rejet du travail tel qu’il est imposé ne se limite pas aux forums en ligne ou à des grèves silencieuses. Il imprègne aussi la culture populaire. Sur TikTok, le hashtag #QuitTok regorge de vidéos où des salariés filment leur démission en direct. Les livres et essais sur la “Grande Démission” se multiplient. Des séries et films dénoncent un capitalisme oppressant, à l’image de “Severance”, où les employés sont contraints de scinder leur conscience entre travail et vie privée.

Les récits autobiographiques d’anciens employés – de la fast fashion à la tech – se multiplient, mettant en lumière l’absurdité de certaines exigences professionnelles. Dans la musique, des artistes comme Beyoncé dénoncent la vie de bureau et ses absurdités avec “Break My Soul”. Même le jeu vidéo s’en empare : Animal Crossing ou Stardew Valley offrent des alternatives douces à la pression du monde du travail, tandis que des jeux indés comme The Stanley Parable critiquent directement l’absurdité des tâches répétitives.

@simiibrar You’re right this job isn’t for me, byeeee 👋🏽 I’m so relieved that I don’t have to deal with this person anymore #toxicboss #toxicworkplace #burnout #corporatetiktok ♬ original sound – Kyle & Jackie O

La fin d’un vieux monde ?

Si les employeurs restent perplexes – “Mais pourquoi donc ces jeunes ne veulent-ils plus travailler ?” –, la réponse est sous leurs yeux. Pendant des décennies, on a véhiculé l’idée : “Travaille dur, tu seras récompensé.” Résultat ? Des loyers qui flambent, des salaires qui stagnent, des journées à rallonge et des boulots vidés de leur substance. Alors beaucoup ont fait un choix radical : refuser le jeu.

Le mouvement antiwork ne signe évidemment pas la fin du travail, mais celle d’un modèle de travail. Une volonté de redéfinir la valeur de son temps, à laquelle les entreprises feraient mieux d’être attentives. Un signal que les entreprises auraient tout intérêt à prendre en compte pour rester compétitives dans le futur.