Cette mouvance réactionnaire s’inscrit dans une volonté toujours plus accrue d’asseoir le patriarcat au détriment des droits et des intérêts des femmes. Décryptage.

Masculinisme : nom masculin : idéologie d’origine nord-américaine, regroupant une myriade de mouvements – principalement présents en ligne – qui, en réaction aux mouvements féministes dont ils se disent victimes et sous couvert de dénoncer toutes les formes de discrimination, véhiculent des thèses sexistes, complotistes et réactionnaires, à travers un discours misogyne et/ou patriarcal bien rodé. Larousse, édition 2025

Sur les réseaux sociaux – leur terrain de jeu favori – ils se font appelés les mascus. Bien qu’ils ne soient pas tous spécifiquement musclés, les masculinistes défendent l’idéologie du mâle alpha : cet homme fort, transpirant de testostérone, aux abdos saillants, et qui tond la pelouse ; une vraie pub Coca-Cola, finalement.

Mais qui sont ces hommes anti-féministes et de quoi ont-ils peur ? Pour commencer, ils croient dur comme fer que le féminisme est allé trop loin (beaucoup trop loin même) et ils dénoncent une société, qu’ils perçoivent désormais comme gynocentrique. Rien que ça.

En pleine crise identitaire, ces hommes estiment que l’égalité est largement atteinte et qu’elle a même basculé en faveur des femmes. Ce qui les empêcherait d’exprimer leur virilité, et tacitement, leur domination. Comme le dit la sociologue spécialiste de l’anti-féminisme, Melissa Blais, ils ont « la volonté de retrouver ou forger un projet de société qui ramène les femmes à leur place (comprenez à la maison et surtout dans la cuisine), à une féminité soumise que l’on doit séduire et conquérir » car dans leur imaginaire, la femme est un trophée, un objet à posséder au même titre qu’une belle voiture

Ce qui est effrayant : les vidéos sur le sujet cumulent des centaines de milliers de vues sur différents réseaux sociaux. Sur Tiktok, Instagram ou Youtube, des pseudos vidéos de développement personnel, d’entreprenariat ou de coaching en séduction (celles-là sont définitivement les pires !) pullulent et cachent en réalité l’apologie de l’ idéologie masculiniste et tous les sous-discours problématiques qui en découlent. Parce que les femmes ne sont en réalité pas les seules cibles de ces hommes perturbés.

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Pour être tout à fait précise, il faut ajouter que les masculinistes ne forment pas un seul et même mouvement, mais plutôt une manosphère (développée initialement à travers des plateformes comme Reddit, 4chan, YouTube et TikTok) de micro-courants. Qu’ils soient activistes, “motivateurs” sur les réseaux sociaux ou président des États-Unis ; ils ont un point de vue commun et ils répandent à l’envi des théories virilistes et misogynes. Rappelons que le polémiste Eric Zemmour et son ouvrage Le premier sexe sont souvent cités comme référence. Le masculinisme est donc un contre mouvement du féminisme qui défend  également des idées xénophobes, fascistes, complotistes et suprémacistes. Autrement dit, il condense à lui tout seul toutes les abjections du XXIième siècle.

Tout est la faute des femmes

Parmi les masculinistes, les plus virulents – et surtout les plus dangereux – sont les incels, autrement dit les célibataires involontaires incapables de trouver une partenaire amoureuse ou sexuelle. Ils attribuent leur solitude et leur mal-être affectif aux femmes (la remise en question perso, ils ne connaissent pas), et plus particulièrement aux diaboliques féministes.

Selon eux, si l’amour ne vient pas frapper à leur porte, ce serait dû au fait que certaines femmes auraient renoncé à l’essence même de leur rôle traditionnel vis-à-vis de l’homme – être soumises et chercher un mari comme but ultime de leur vie. Animés par un ressentiment profond, proche de la haine, ils stigmatisent les femmes en les qualifiant de menteuses, vénales, manipulatrices et castratrices, et revendiquent le retour à un ordre où elles retrouveraient leur juste « place », à savoir dans la cuisine. Et si elles refusent ? La mort leur semble être un châtiment approprié.

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Se définissant comme l’archétype du parfait gentleman et du gendre idéal, ces hommes déséquilibrés ne comprennent pas pourquoi l’ensemble de la gente féminine ne se prélasse pas à leurs pieds. Derrière ces auto-qualificatifs, tout droit sortis d’un roman d’un autre siècle, se dissimule en réalité un complexe d’infériorité exacerbé, une angoisse du rejet, un sérieux problème de gestion de la frustration et une haine viscérale voire meutrière envers celles qui s’opposeront à leur désir.

Malheureusement, cette faschosphère ne sévit pas uniquement en ligne. Ainsi, en mai 2014, Elliot Rodger, un étudiant de 22 ans de l’université de Santa Barbara en Californie, a publié sur YouTube une vidéo intitulée « Elliot Rodger’s Retribution », dans laquelle il annonçait son intention de punir les femmes de l’avoir rejeté. Dans un manifeste autobiographique envoyé à ses parents et son psychiatre, il exposait son isolement social, sa haine profonde envers les femmes et ses projets de vengeance. Quelques heures plus tard, il a laissé libre cours à sa folie meurtrière en tuant six personnes – dont deux femmes – et en en blessant quatorze autres avant de se suicider. Un passage à l’acte loin d’être isolé.

Les masculinistes influencent des hommes – et même parfois de jeunes garçons – par leur discours incitant à la discrimination et normalisent la dévalorisation des femmes et de la cause féministe, tout en prônant la violence domestique. En France, Mickaël P. avait déclaré dans une vidéo : « Une femme qui vous fait une dinguerie, elle ne doit pas repartir vivante. » Ces paroles, empreintes de haine, ont trouvé leur expression la plus tragique en janvier 2020, lorsqu’il a commis un acte barbare en tuant son ex-compagne, Mélanie G., en lui infligeant quatre-vingts coups de couteau.

Energie “féminine” et énergie “masculine”

Le masculinisme est donc un mouvement conçu par et pour les hommes ; ce qu’on pourrait littéralement reformuler en : une société conçue par et pour les hommes. Une société où l’on cesserait de parler de quotas et d‘inclusion. Une société où l’on reviendrait à l’ordre “naturel” des choses. En somme, une société saturée de testostérone, car c’est bien connu, les hommes sont de meilleurs leaders, à contrario des femmes. C’est d’ailleurs l’idée qu’a récemment défendue Mark Zuckerberg, le CEO de Facebook et fervent partisan de Donald Trump, en parlant d’une “castration du monde entrepreunarial” et en soutenant que ” L’énergie masculine est bonne. La société en est remplie, mais la culture d’entreprise essaie de s’en détourner ” prouvant l’attachement de l’une des sociétés les plus puissantes du monde à un modèle de société sexiste.

 

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Cette théorie de l’énergie “féminine” et “masculine” nous ramène à des rôles genrés, à des cases dans lesquelles il est plus ou moins acceptable de se placer, à des étiquettes à porter – malgré nous, mais surtout pour plaire aux hommes et à leurs désirs de domination de l’autre sexe.

Le masculinisme représente un mode de pensée archaïque, rétrograde, sexiste, fasciste, flirtant avec des discours complotistes et suprémacistes, et surtout terriblement, stérilisant pour la lutte des droits des femmes et de l’égalité – qui rappelons-le, à l’inverse de ce que les mascus peuvent penser, est loin d’être atteinte.

S’il est juste qu’aucun combat ne peut être mené sans son lot de détracteurs, trouvons dans leurs discours extrémistes la ferveur nécessaire pour continuer chaque jour à faire valoir nos droits et nos convictions.