En Belgique, des centaines de bébés naissent chaque année grâce à cette méthode, pourtant encore entourée de tabous et de questionnements. Quels sont les défis auxquels les donneuses, les parents et les enfants issus de dons font face ? Entre processus médical lourd, cadre légal strict et quête d’identité, voici tout ce que vous devez savoir sur le don d’ovocytes en Belgique.

Don d’ovocytes : à ne pas prendre à la légère

En 1984, le premier bébé issu d’un don d’ovocytes est venu au monde en Australie. Aujourd’hui, entre 230 et 350 bébés naissent chaque année en Belgique selon cette méthode.

Astrid Indekeu, psychologue spécialisée dans la procréation assistée par donneur, est la fondatrice de DONAE, Donorconceptie Nazorg en Expertisecentrum (Centre d’expertise et de suivi de la procréation par donneur). En tant que conseillère scientifique, elle est associée à l’ASBL Donorfamilies et mène des recherches sur la procréation par donneur. Astrid Indekeu : « Les donneuses d’ovocytes sont souvent considérées comme des héroïnes qui offrent la maternité à une autre femme, en vertu d’une sorte de sororité. Le don de sperme, quant à lui, est encore parfois mal perçu car on l’associe à la masturbation. La perception est différente : le don d’ovocytes apparaît comme un exemple éclatant de progrès médical. » Le don d’ovocytes prend du temps et impacte le corps de la donneuse. La procédure n’est pas anodine : des hormones stimulent les ovaires pour qu’ils développent des ovocytes matures. Des échographies et des analyses de sang quotidiennes permettent de suivre le processus. Lorsque les follicules (vésicules germinales) sont matures, une ponction est effectuée pour aspirer les ovocytes. La donneuse subit une légère sédation pouvant occasionner des symptômes physiques. Les donneuses sont soumises à un dépistage des maladies génétiques les plus courantes et à des tests visant à vérifier la réserve d’ovocytes. Après un examen psychologique, l’équipe de fertilité décide si la donneuse peut entamer le processus de gestation.

En Belgique, la législation est stricte : le don d’ovocytes n’est pas commercial, les donneuses ne reçoivent qu’une indemnité couvrant les frais occasionnés. Celle-ci varie d’un hôpital à l’autre et s’élève en moyenne à 1.000 euros. Les candidats parents paient également une somme pour ces frais, dont le montant varie entre 2.500 et 12.000 euros (pour une procédure à l’étranger). Les listes d’attente peuvent atteindre plus d’un an. Astrid Indekeu : « Les donneuses choisissent généralement le don pour des raisons altruistes. Elles connaissent par exemple quelqu’un qui a des problèmes de fertilité. Elles ne se considèrent pas comme les mères de l’enfant issu du don : “Mes ovocytes, mais leur enfant.” Les donneuses ne reçoivent aucune information sur les grossesses réussies. Les conditions sont strictes : les donneuses doivent avoir satisfait leur désir d’enfant et être âgées d’environ 36 à 37 ans, selon les centres. Le nombre de dons par donneuse est également limité. »

Qui est ma mère ?

Astrid Indekeu : « En Belgique, les couples hétérosexuels et lesbiens, ainsi que les célibataires, ont accès à ce type de traitement. » Par contrat, les donneurs renoncent à leurs droits et obligations envers les enfants nés après le don. Les candidats parents acceptent les droits et les devoirs de la parentalité en signant le contrat. Les dons sont anonymes, sauf s’il s’agit d’un donneur connu (un ami, par exemple). Le centre de fertilité dispose des coordonnées du donneur mais ne les divulgue pas. Avec l’apparition des tests ADN à domicile, la situation a beaucoup évolué. Les appels à la levée de l’anonymat se multiplient, notamment aux Pays-Bas. À l’heure où nous écrivons ces lignes, la Cour constitutionnelle juge que les enfants du don ont le droit d’obtenir des informations sur le donneur ou la donneuse. Un nouveau cadre juridique devrait être mis en place d’ici le 30 juin 2027. Tamara, donneuse d’ovocytes et elle-même mère d’un enfant issu d’un don de sperme : « Notre fille est en deuxième année à l’école secondaire. Ses besoins en matière de filiation commencent à changer. Savoir que je pourrai peut-être l’aider à reconstituer le puzzle de son identité à l’avenir me rassure. »

don d'ovocytes

© Klaartje Busselot

Des conseils durables

Les candidats parents se sentent-ils comme de « vrais » parents ? Astrid Indekeu : « Les mères expriment parfois leur inquiétude quant à la possibilité de ressentir immédiatement un sentiment d’attachement maternel. Vu de l’extérieur, ce dernier est parfois défini de façon superficielle : la mère est celle qui porte l’enfant et le met au monde. Pour les candidats parents, il est important de conclure leur processus de deuil d’une fertilité propre avant de s’engager dans un parcours adapté. » Il convient aussi qu’ils se projettent au-delà de la grossesse et de la naissance : « L’approche actuelle est la suivante : l’enfant est né – problem solved. Or, pour la famille, ce n’est qu’un début. Les cadres durables manquent : pour les donneuses, les (candidats) parents et les enfants nés du don. En outre, les études scientifiques sont rares. Qu’est-ce qui attend les donneurs à l’issue de leur parcours ? Comment les parents vivent-ils la procréation par don pendant la puberté ? Quelles sont les questions que se posent les enfants de dons lorsqu’ils grandissent et ont eux-mêmes des enfants ? Et quelle place accorder à la donneuse au sein de la famille ? »

La poule et l’œuf

Astrid Indekeu : « La transparence en matière de procréation par donneur a été longtemps taboue. Les médecins invitent à garder le silence afin de ne pas imposer de contraintes supplémentaires aux enfants. Mais les études montrent que les enfants issus d’un don qui grandissent dans une famille stable et chaleureuse, où la question de la procréation par don peut être abordée ouvertement dès le plus jeune âge, sont heureux. La donneuse doit être nommée et avoir sa place au sein de la famille. Les enfants recherchent parfois des informations sur la donneuse pour mieux se connaître eux-mêmes. Même si votre enfant est déjà adolescent, discutez-en et évoquez la création de votre famille. »

À 16 ans, mes filles crieront-elles « Tu n’es pas ma mère » parce qu’elles n’ont pas le droit de se tatouer le nom de leur chéri sur les fesses ? Bien sûr. Leur répondrai-je alors : « Techniquement, non, mais j’ai changé tes couches, j’ai rempli le frigo et je t’aime » ? Bien sûr. Astrid Indekeu : « Les adolescents ne vont pas vous ôter votre titre de mère, mais ils aiment casser la vaisselle mentalement. Comme tous les combats adolescents, cette rébellion s’estompe. Les tout-petits sont faciles, ils connaissent bien les histoires de poule et d’œuf. À l’école primaire, les enfants de dons trouvent leurs histoires particulièrement spéciales. Lorsque les adolescents entament leur quête de soi, c’est un peu plus difficile. En raison de l’anonymat, il leur manque un élément d’information. »

Agir normalement

La science peut faire beaucoup, mais il faut veiller à respecter certaines limites. Astrid Indekeu : « La donneuse est soumise à une limite d’âge, mais l’âge de la receveuse est sans cesse repoussé. Techniquement, les femmes de 60 ans peuvent tomber enceintes grâce aux ovocytes d’une donneuse, mais la médecine reproductive doit rester responsable pour éviter de se muer en une industrie. » Le don d’ovocytes constitue une magnifique occasion pour de nombreuses familles. « Les conseils et le suivi pourraient cependant être meilleurs, surtout après la naissance, car c’est à ce moment-là que tout commence. C’est pourquoi le DONAE a été créé. Si le don d’ovocytes se normalise, les mères pourront ou oseront en parler davantage. Elles se sentiront mères à part entière, ayant tout autant le droit de se mettre en colère lorsque leur enfant ne range pas ses Lego. »