Tout commence par un message sur WhatsApp : « Les filles, aidez-moi à trouver un nom pour le groupe d’activités de Victoria ! » Un « groupe d’activités » ? Intriguée, j’enquête… et me retrouve au cœur de l’univers feutré des rallyes mondains.

Sur fond de « Girls Just Want to Have Fun », des adolescents tirés à quatre épingles, coupe de champagne à la main, dansent et conversent sous le regard protecteur de leurs darons. Au plafond, des lustres en cristal complètent le décor un brin anachronique. La scène pourrait être tirée de la série Netflix « La Chronique des Bridgerton »… Il n’en est rien. Postée sur TikTok, cette vidéo montre en réalité un rallye mondain, un des rites sociaux les plus anciens de la jeune bourgeoisie belge. Décryptage.

Snobisme et tradition

On entre dans un groupe d’activités parce que « ça se fait », me raconte mon amie Jess. Et ça se fait surtout quand « les parents sont mondains, qu’ils ont de l’argent, un nom à particule ou encore mieux, un titre de noblesse ». Mais c’est quoi exactement, un rallye mondain ? « Grosso modo, ce sont des fêtes organisées par des familles aisées, qui permettent à leurs ados riches de faire la fête entre… ados riches », résume-t-elle en se marrant. La recette de ce concept élitiste est vieille comme le monde : prenez quelques mères de bonne famille attentives aux fréquentations de leurs filles. Les réunir avec d’autres mamans soucieuses des bonnes relations de leurs fils. Y ajouter quelques activités B.C.-B.G les dimanches après-midi. Regroupez ensuite tout ce petit monde lors de grandes soirées dansantes et vous obtiendrez un groupe d’activités digne de ce nom.

Après-guerre, ces clubs privés étaient conçus pour marier les jeunes filles au gendre idéal – entendez par là : issu du même rang social et de la même religion qu’elles. 75 ans plus tard, même si quelques règles surannées perdurent, leur objectif a été dépoussiéré. « On n’y va plus pour trouver un mari, mais pour faire la fête et se faire des amis », assure Valentine, 17 ans. Sous la surveillance des parents (des mères en particulier), ces réceptions constituent donc l’ultime étape d’un parcours codifié. Les groupes se forment quand les ados ont 14 ans pour les filles et 15 ans pour les garçons. La première année, les mamans des
garçons organisent une série d’activités : visites culturelles, concours « Top Chef », parcours « Koh-Lanta » ou encore cours d’impro… Rien n’est trop beau ! L’année suivante, les premières soirées sont organisées (par les mamans des filles cette fois), le vendredi ou samedi soir jusqu’à minuit, soit dans la propriété familiale, soit dans une salle louée pour l’occasion. Au début, l’alcool est prohibé, exception faite d’une sangria savamment dosée. Enfin, la dernière année, les jeunes gens ont 18 ans. La majorité leur confère des droits sur l’alcool (à volonté) et sur les horaires (jusqu’à l’aube). Laura, jeune Bruxelloise étudiante en droit, se souvient de la tenue qu’elle portait lors de sa première soirée rallye : robe bustier noire et gants blancs. « Le thème, c’était Casino royal », confie-t-elle. « C’est une chance de pouvoir participer à ce genre de fêtes où les petits plats sont dans les grands. C’est mieux que de passer ses samedis soir dans un bar ou sur les écrans. » Son père, chef d’entreprise et membre d’un rallye dans les années 1980, appuie ses propos : « Ça lui évite de faire de mauvaises rencontres, mais aussi de se construire un solide réseau qui l’aidera plus tard. »

Un principe : l’entre-soi

« On n’organise pas une soirée rallye n’importe comment ! », prévient Alicia, maman extrêmement investie dans le groupe d’activités de sa fille qui compte 60 membres triés sur le volet. Le rituel est précis. D’abord, le dresscode. Il doit être indiqué sur le carton d’invitation envoyé par la poste. Dans ce cas-ci, le thème est traditionnel : robe longue avec une touche dorée pour les filles, costume sombre pour les garçons. Après six mois de préparation, tout est prêt. Ce samedi soir d’octobre, c’est au Chalet Robinson, une des salles les plus prisées de la ville, que le rendez-vous est fixé. Dans le boudoir attenant, les parents reçoivent leurs relations. Dès 19 h, les jeunes gens se pressent à la porte. L’arrivée à la soirée est à elle seule un cérémonial. D’abord, à l’entrée, la vérification d’identité, destinée à éviter toute intrusion d’éléments extérieurs. « Parfois un aboyeur déclame votre nom à l’assistance », raconte Camille, 17 ans « mais ça se fait de moins en moins ou alors dans des groupes très aristo. Souvent, les mamans qui invitent et leurs filles sont plantées à l’entrée, pour recevoir les salutations des invités. » Il y a ensuite le dîner assis où filles et garçons sont placés en alternance pour faire connaissance. À table, on converse (les téléphones restent au vestiaire !) des études ou de religion, souvent, de l’avenir, de temps en temps, de politique rarement. Mais toujours sur le même ton : copie conforme à l’original parental. Pas de problème de communication entre ces jeunes gens : ils sont du même monde, ont la même éducation, les mêmes valeurs, les mêmes préoccupations.

Bridgerton

© Netflix

Enfin, vers 22 h, la salle de danse ouvre ses portes : 300 personnes s’y côtoient, les couples de danseurs se forment, les flirts naissent. Car, « là comme ailleurs la raison d’être de la soirée, c’est la drague », note Agathe, 18 ans, le cheveu tiré en chignon pour l’occasion. « On essaye de bien se tenir et de ne pas trop boire pour éviter d’avoir une mauvaise réputation qui te colle à la peau. Si on se conduit mal, ça peut aller jusqu’à l’exclusion ! », explique-t-elle. Vers 4 heures du matin, la soirée se termine. « Il y en a toujours bien un ou une qui a vomi dans les toilettes ou qui est trop bourré pour rentrer à la maison. Pour les autres, c’est rendez-vous au prochain rallye… Dans un mois déjà. » En attendant, elle n’oubliera pas d’écrire à la main un petit mot de remerciement – avec les formules de politesse de rigueur – pour remercier les parents pour la magnifique soirée passée. « Sur papier, on pourrait croire que ce sont des vieilles traditions qui n’intéressent plus les jeunes, mais c’est tout le contraire ! », s’exclame Alicia. Et force est de constater qu’elle a raison…

Business juteux

En 2024, les rallyes mondains se portent bien, très bien même, et la jeunesse dorée semble très friande de ces fêtes communautaires. Chloé, 17 ans, explique par exemple que ses grands-parents et ses parents se sont rencontrés dans un rallye et qu’elle aussi, a rencontré son petit copain de la même manière. « Ma mère y était inscrite, même chose pour mes grands-parents. J’ai du coup demandé moi aussi de faire partie d’un groupe d’activités. Il s’agit d’une tradition familiale que j’ai envie de perpétuer. » Depuis ses 14 ans, Charlotte issue de la noblesse, elle aussi, fait partie du même groupe d’activités que Chloé dans lequel on ne peut entrer sans être recommandé : « Dans mon groupe d’activités, nous ne nous connaissons pas forcément à la base, mais nous avons tous reçu la même éducation et avons les mêmes centres d’intérêt. » Un rien gênée, elle ajoute qu’il est rare qu’une personne puisse participer à ce genre d’événement si « elle vient de nulle part ». Le critère de sélection le plus fiable ? Être répertorié dans le High Life de Belgique, petit répertoire à la couverture bleue reprenant les coordonnées de plus de dix mille familles de la haute société, belge ou étrangère. « Tu peux seulement inviter des amis de l’extérieur quand c’est toi qui organises la soirée, sinon ça ne se fait pas. » Du coup, la jeune fille raconte que beaucoup de couples dans son entourage sont issus de ces rallyes. « Il faut avouer que c’est un truc de gosses de riches et un monde qui manque clairement d’ouverture », admet-elle avec d’ajouter : « Mais ce sont aussi de très belles fêtes où on peut faire de très belles rencontres. » Le coût de ces réceptions mondaines ? Celui d’un petit mariage. Entre 15.000 et 50.000 euros par soirée environ. Location de la salle, traiteur, photographe, sécurité, transport… Ces rallyes visent un certain standing et représentent par conséquent un marché juteux. « Il faut savoir que quand on est une fille et qu’on s’inscrit dans un groupe d’activités, on s’engage à organiser une soirée où on invite l’ensemble des membres du rallye, soit minimum 200 personnes. Ça représente un certain investissement en termes de temps, mais aussi d’argent. Du coup, les mamans se mettent souvent à plusieurs pour les organiser, souvent avec l’aide d’un event planner », nous explique la boss de la boîte d’événements InviteOut avant d’ajouter : « Il y a des prestataires qui ont des formules spéciales “Rallye”. Les traiteurs rodés à l’exercice proposent des packs all in avec des menus adaptés aux différents thèmes (fish & chips pour une soirée “La croisière s’amuse” par exemple) et un open bar all night long. L’alcool est évidemment un élément important dans ce genre de fête. Souvent, il coule à flots. Les parents engagent alors un chaperon qui vérifie que les gamins rentrent en sécurité chez eux. Parfois, ils prévoient même des tentes dans le jardin du château pour dormir sur place… »

Sous les lustres en cristal, les rallyes mondains ont encore de beaux jours devant eux. Toujours aussi chics et fermées, ces fêtes restent un des derniers bastions de l’entre-soi élitiste, où l’inclusion et la diversité n’ont toujours pas droit à leur carton d’invitation.