Qui sont les sorcières de Belgique ? Immersion dans la communauté

Mis à jour le 26 novembre 2020 par Laurence Donis
Qui sont les sorcières de Belgique ? Immersion dans la communauté © Joanna Kosinska - Unsplash

A l’étranger mais aussi en Belgique, les sorcières révèlent leurs pouvoirs magiques. Focus sur une communauté mystérieuse, libre et engagée qui n’a pas fini de nous étonner.    

5 millions. C’est le nombre de hashtags recensés lorsque l’on tape « witches of Instagram » sur le réseau social. C’est dix fois plus que pour « dalgona coffee » et « chunky boots » réunis, respectivement les tendances food et mode du moment. Sur Tiktok, un mot propre à l’appli a même été inventé, « witchtok », pour catégoriser ces vidéos où l’on détaille la réalisation de philtres d’amour et autres potions magiques. Urban Outfitters vend sa propre boule de cristal, Dior a sorti son manteau « tarot », et Alexander McQueen son sac « Wicca », du nom du mouvement religieux néo-païen… L’engouement pour les sorcières est certain. Et lorsque l’on commence à s’y intéresser, c’est tout un monde mystérieux qui se dévoile, avec ses propres codes et son propre langage. Souvent insoupçonnée, une vraie communauté existe, y compris chez nous. Dans le groupe Facebook « Les sorcières de Belgique », on s’échange des recettes de gâteaux pour célébrer Mabon (l’équinoxe d’automne) et des tuyaux pour réaliser de l’eau de lune. Le tout très sérieusement.   

Sur la page, le mot « sorcière » est utilisé à toutes les sauces. On y parle pendule, énergies, chamanisme, tarot de Marseille… Mais en discutant avec les membres, une définition commune semble souvent se dessiner. « Les sorcières sont associées à des femmes libres et émancipées, conscientes de leur potentiel, de leur pouvoir sexuel et responsables de leur plaisir », explique l’un d’eux. « Mais ce sont aussi des guérisseuses, elles sont connectées à leur moi profond, à la nature et savent comment utiliser les plantes pour soigner. Elles ont accès à une compréhension de tout ce qui est invisible ». Mona Chollet et son livre « Sorcières » étant passés par là, le terme fait forcément aussi écho aux mouvements féministes. Devenue symbole de la libération des femmes, la sorcière est parfois vidée de sa substance mystique pour ne devenir que politique. Même si les deux vont souvent de pair…

Belgique, terre de sorcières

Si toute cette communauté est active en ligne, elle se réunit aussi dans la vraie vie. Notre petit pays compte une série d’adresses confidentielles que les initiés ont appris à connaître via le bouche-à-oreille. On pense par exemple aux boutiques ésotériques comme « Alternatief Centrum » à Anvers ou « L’Univers Particulier » à Bruxelles. Créée en 1986, cette dernière propose principalement des livres mais aussi des tarots, de l’encens ou encore des talismans. « On a toujours eu une demande importante mais on remarque que depuis cinq ans, la clientèle change. De plus en plus de jeunes viennent nous voir », raconte le gérant, Romain Eeckman. Les adeptes de la lithothérapie (se soigner grâce aux cristaux) trouvent aussi leur bonheur chez nous dans des magasins spécialisés. Et c’est loin d’être terminé : une école de magie existe depuis 2006 en Belgique. On ne parle pas ici d’apprendre à faire sortir un lapin de son chapeau mais bien de vrais cours consacrés à l’ésotérisme et à l’occultisme. 

Elle s’appelle Aether et c’est à Schaerbeek que ça se passe. La formation est donnée un soir par semaine, pendant trois ans, et est ouverte aux plus de 18 ans. Au programme ? Enseignement théorique à distance et leçons pratiques en classe. Ici, on apprend la méditation, l’hypnose ou encore l’incantation mais aussi la maîtrise énergétique, la magie cérémonielle, la transe, la divination, l’invocation des entités de l’invisible.... L’école est à la base une asbl. Elle demande 130 euros par trimestre et organise chaque année un stage gratuit. Autant dire que ce n’est pas l’appât du gain qui motive ses créateurs. « Il existe plusieurs formations en Belgique qui demandent d’adhérer à un ordre, une tradition ou un système de pensée particulier. Quand on a créé l’école avec mon mari, on voulait donner une formation la plus libre et universelle possible, sans connotation religieuse ou autre », raconte Aude, enseignante et initiatrice du projet. « J’avais envie qu’on puisse apprendre la magie comme on prend des cours de dessin dans une académie. Tout le monde peut se former et obtenir des résultats en s’entraînant. Après, certains sont plus doués que d’autres ». 

Si l’école vous tente, ne vous attendez pas pour autant à être accueilli par des profs drapés dans de grandes capes rouges, baguette magique à la main. Ici l’accent n’est pas mis sur le folklore. Et, comme souvent lorsque l’on parle des « pratiques magiques » des sorcières, les enseignements sont finalement assez terre à terre. En tout cas, beaucoup moins perchés qu’ils n’en ont l’air. « Quand j’ai découvert qu’il y avait une école de magie à côté de chez moi, je m’attendais à rentrer à Poudlard », raconte en riant Natacha Péant, une ancienne élève. « En réalité, c’est beaucoup plus sobre que ça, on commence par des méditations guidées. Dans notre vie quotidienne, on est beaucoup dans l’intellectuel, le cérébral. L’idée de l’école, c’est au contraire de nous ramener à la sensation. En s’entraînant, on est tous capable de renforcer ces capacités innées, de sentir ce que l’on sent déjà », poursuit-elle. Elle explique aussi que si certains sorciers portent une cape, c’est loin d’être pour le spectacle. L’outil est utilisé pour s’isoler, mieux se concentrer, un peu comme quand on ferme les yeux pour de l’introspection. 

Ce qu’il faut comprendre, c’est que beaucoup de pratiques magiques font en fait simplement appel à des états modifiés de conscience. Un état dans lequel on se trouve par exemple lorsqu’on médite ou qu’on est en train de faire un rêve lucide (vous vous rendez alors compte que vous rêvez, juste avant de vous réveiller). « A l’époque, on me regardait comme une folle quand je parlais de méditation. Aujourd’hui, les médecins disent que c’est bon pour la santé, alors c’est accepté. L’ouverture vis-à-vis de certaines pratiques prend du temps », raconte Aude. « L’étude de la magie, ce n’est pas l’étude d’un monde parallèle ou du surnaturel. Au contraire, tout ce qu’on enseigne est profondément naturel. C’est apprendre à se connaître soi, mais aussi le monde qui nous entoure et les forces qui ne sont pas encore comprises par la science. » 

Sorcellerie : outil de développement personnel trendy

Aujourd’hui prof de français, Natacha Péant a exercé comme tarologue après être passée par l’école Aether. Ici encore, on est loin des clichés. Dans notre imaginaire, le tarot c’est toujours associé à Madame Irma qui, une bague à chaque doigt, nous annonce d’une voie ténébreuse la mort d’un proche. Oubliez. Qualifié de tarot divinatoire, il est aujourd’hui remplacé par le tarot dit psychologique. L’idée, c’est d’utiliser les cartes non pour prédire l’avenir mais comme instrument de connaissance de soi et outil d’interprétation du quotidien. Et les adeptes seraient de plus en plus nombreux en Belgique. Philippe Koeune est l’un d’eux. Architecte de formation, il s’est consacré à sa marque de mode, OMSK, pendant neuf ans avant de se tourner vers le tarot. « Lorsqu’une femme vient me voir en me demandant ‘Vais-je trouver l’âme sœur ?’, on reformule la question en ‘Que puis-je faire pour trouver l’âme sœur ?’ », explique-t-il. Ici, les clients sont dans une position active : ce sont eux qui tirent les cartes et qui racontent ce qu’ils voient. 

« Je vais guider la personne avec des questions du genre ‘Qui est cette femme sur la carte ?’ ‘Que tient-elle dans la main ?’… Il y a énormément de symboles dans le tarot et comme ils sont polysémiques, chacun va répondre différemment. En décrivant l’image, la personne va forcément parler d’elle car c’est lié à son imaginaire à elle. En trente minutes de tirage, je rencontre parfois quelqu’un de manière plus profonde qu’un ami de longue date », analyse Philippe. « Cette pérégrination dans l’image peut faire remonter des informations fantastiques. Souvent, les gens repartent avec des conseils qui viennent d’eux-mêmes, parce qu’une lumière s’est allumée à l’intérieur et a fait sens pour eux ». Les cartes deviennent alors un élément tiers qui permet d’orienter le dialogue. Et la magie là-dedans ? Pour les praticiens, elle est tout de même présente puisque pour eux, il y a une correspondance entre la question et les cartes obtenues. « Ca m’est arrivé de voir une femme poser une question similaire à deux tarologues et tirer exactement les mêmes cartes. Comme si sa main était attirée par les mêmes images, parce qu’elles symbolisent le nœud du problème. On peut dire que c’est du hasard, mais sur un jeu de 78 cartes, c’est une sacrée coïncidence », raconte Philippe Koeune. 

Il n’empêche que le tarot psychologique s’apparente très fortement à un outil de développement personnel. Tout comme beaucoup d’autres pratiques ou rituels liés à la figure de la sorcière. Pas étonnant que l’univers attire à une époque post-confinement, où de plus en plus de personnes cherchent à se reconnecter à elles-mêmes, à mieux se connaître, à vivre en accord et au rythme de la nature... Le gérant de L’Univers Particulier, confirme : « Il n’y a pas d’engouement particulier pour les grimoires magiques. En revanche, ce qui est plus vogue, c’est la série de livres ‘Rituels de femmes’ par exemple, qui aborde la féminité et le développement de la confiance en soi ». Face à cette demande, le phénomène des « tentes rouges » s’est peu à peu développé chez nous, que ce soit en Wallonie ou en Flandre. Le principe ? Se réunir entre femmes pour apprendre à mieux se connaître et « ouvrir ses connexions à l’invisible ». A la tombée de la nuit, des femmes de toutes les générations se retrouvent dans une tente basse intérieure, éclairée d’une lumière douce. Assises en cercle sur des matelas autour d’un thé et de chocolat, la soirée peut commencer. 

« Elle se déroule généralement en trois phases. Un temps d’enseignement autour d’un thème abordé, via un conte par exemple. Une partie rituel, qui symbolise une intention, ça peut être une danse autour du feu. Et enfin un cercle de parole. Le tout sans jugement », explique Caroline Von Bibikow, communicologue et organisatrice de tentes rouges. « Aujourd’hui, on est tellement déconnectés de la nature qu’on regarde une appli pour voir le temps qu’il fait. Les tentes rouges sont un espace d’apprentissage. L’idée c’est par exemple de réconcilier les femmes avec leur sang, qu’elles puisent dans leurs cycles menstruels une source d’enseignement plutôt que d’y voir un problème. Ce sont des moments où l’on est très intuitive mais pour sentir des choses, il faut s’écouter et à accepter de prendre du temps pour soi ». Ces soirées sont aussi l’occasion pour les sorcières de « renouer avec leur féminin sacré ». Une formulation très mystérieuse qui signifie notamment accepter de vieillir, respecter ses besoins, ne pas agir par peur ou par besoin d’être aimée… Un vrai programme de développement personnel. 

Génération sorcières

Elles sont donc nombreuses ces femmes à se qualifier de sorcières sans en avoir l’air. Aileen Valère-Gille est coach holistique et « libératrice de magie ». Traduisez : elle aide les personnes à libérer leur potentiel, à se débarrasser des freins imposés par la société et l’éducation pour être elles-mêmes. Pour ça, elle travaille avec tout ce qui est énergétique, magnétique et utilise ses mains, même à distance. « Quand mon mec a appris que j’allais faire cette interview, il était étonné que je m’estime assez ‘sorcière’ pour accepter », raconte-t-elle. « Il faut dépasser l’image de la femme sur son balai. Oui j’ai un autel chez moi avec de l’encens et des pierres mais tout est intégré de façon très naturelle dans mon quotidien. On a tous des rituels. Certains vont écrire dans leur journal chaque soir, moi je vais mettre de la cardamone sur ma gorge quand je dois donner une formation ». 

Pour redéfinir l’image de la sorcière, la jeune flamande Lana Bauwens a créé en juin 2019 le podcast « Heksen dragen sneakers » (les sorcières portent des baskets). « J’ai toujours ressenti que je ne correspondais pas au stéréotype. Je suis une fille normale mais j’ai des cristaux intégrés dans mes bijoux et des huiles essentielles à côté de mon maquillage dans mon sac. Pendant mon temps libre, je vais à des soirées mais j’organise aussi des cercles de pleine lune avec mes copines », explique-t-elle. « J’avais envie de rendre la spiritualité plus accessible et compréhensible ». Aujourd’hui, le podcast belge s’est enrichi d’un site et le compte Insta compte plus de 2000 followers. 

Des femmes principalement, relativement jeunes, et ce n’est pas étonnant. Il s’agit du public principal de tout cet univers lié aux sorcières. « Beaucoup de femmes sont en train de trouver leur voix et leur pouvoir, et la spiritualité peut les aider dans cette exploration », analyse Lana. « Les hommes ont moins besoin de prendre leur place et dans le rôle traditionnel que la société leur a attribué, ils doivent être forts, ne pas pleurer, etc. Les femmes sont souvent naturellement plus connectées à leurs émotions, à leur intuition », ajoute Aileen. Pas surprenant non plus que le monde magique attire les millennials et les plus jeunes. On y retrouve des valeurs en parfaite concordance avec les leurs. Souvent décrites comme écologistes, féministes, en quête de liberté et de sens, les générations Y et Z ont trouvé leur nouvelle forme de spiritualité. Résultat ? Une génération de sorcières éclairées. Eclairées à la lampe de sel peut-être, mais éclairées tout de même.            

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