Plus on grimpe dans les diplômes, plus on augmente son risque de cancer du sein. C’est ce que révèle une vaste étude européenne publiée début avril dans l’International Journal of Cancer. Un travail de fourmi mené sur plus de 311 000 femmes, issues de neuf pays du Vieux Continent, qui met en lumière une corrélation contre-intuitive : le niveau d’éducation élevé serait associé à un risque plus important de développer un cancer du sein.
Le poids du mode de vie
Généralement, dans les maladies chroniques, les inégalités sociales jouent en défaveur des classes populaires. Obésité, diabète, maladies cardiovasculaires… autant de pathologies qui frappent plus durement les milieux précaires. Mais dans le cas du cancer du sein, le scénario s’inverse. « Ce cancer fait figure d’exception », pointe Margherita Pizzato, chercheuse à l’université de Milan et au Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), coautrice de l’étude.
Alors, comment expliquer ce paradoxe ? En partie par des choix de vie. Les femmes plus éduquées ont tendance à retarder leur première grossesse, à avoir moins d’enfants, et à consommer davantage d’alcool. Autant de facteurs qui, pris ensemble, pèsent dans la balance du risque. L’étude, basée sur les données de la cohorte EPIC (European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition), révèle ainsi que les femmes n’ayant pas poursuivi d’études au-delà du primaire voient leur risque de cancer du sein réduit de 39 % pour les formes précoces, et de 19 % pour les formes invasives, par rapport à celles qui ont poursuivi après le bac.
Même tendance — moins marquée mais bien réelle — chez les femmes arrêtées après le secondaire : elles présentent une diminution du risque de 26 % pour les formes précoces et de 9 % pour les formes avancées. Mais attention, il ne s’agit pas de diaboliser l’instruction ou de prôner le retour aux années 50. L’étude souligne elle-même que les facteurs reproductifs et comportementaux n’expliquent qu’une partie de cette disparité. Entre 20 % et 40 % de l’écart observé, selon les types de cancers. Le reste ? C’est encore un grand point d’interrogation.
Mieux éduquées, mieux dépistées
Autre donnée clé : les femmes diplômées participent aussi davantage aux programmes de dépistage. Ce qui implique une détection plus précoce, notamment pour les formes hormonodépendantes, plus faciles à soigner. Le revers de cette vigilance ? Une hausse statistique des cas recensés, puisque certaines tumeurs, qui seraient passées inaperçues chez d’autres, sont ici identifiées très tôt. En d’autres termes, plus on cherche, plus on trouve.
« Les formes les plus agressives, comme le cancer du sein triple négatif, sont souvent absentes de ces statistiques, car elles évoluent rapidement et peuvent échapper au dépistage systématique », explique Gianluca Severi, épidémiologiste à l’Inserm. Résultat : l’augmentation des cas chez les femmes les plus diplômées concerne surtout les tumeurs plus “dociles”, au pronostic souvent plus favorable.
L’éducation et la santé en cause
Loin de clore le débat, cette étude invite surtout à repenser la manière dont on communique sur le cancer du sein. Adapter les campagnes de prévention aux différents milieux socio-économiques pourrait améliorer leur efficacité. « Il est crucial de ne pas aborder le dépistage et la prévention avec une approche unique », insiste Margherita Pizzato. Comprendre les habitudes, les freins, mais aussi les priorités des différents groupes sociaux, pourrait faire une vraie différence dans les années à venir.
Si le cancer du sein s’invite dans le débat socio-éducatif, c’est pour mieux nous rappeler que la santé ne dépend pas uniquement des gènes ou de la chance. Elle est aussi modelée par nos parcours de vie, nos décisions, nos conditions matérielles, et les normes sociales qui les sous-tendent.