Dans un contexte où les victimes d’agression sexuelle sont encore trop souvent minimisées ou remises en cause, une technique particulière, subtile mais redoutablement efficace, commence à attirer l’attention des experts : la technique Darvo.
Qu’est-ce que la technique DARVO ?
L’acronyme DARVO se décompose en trois étapes : Deny (nier), Attack (attaquer) et Reverse Victim and Offender (inverser les rôles de la victime et de l’agresseur). Ce mécanisme a été introduit à la fin des années 90 par Jennifer Freyd, chercheuse américaine spécialisée dans les abus sexuels et les traumatismes psychologiques. C’est dans une publication du trimestriel Feminism & Psychology en 1997, dédié aux théories féministes en psychologie, que Freyd décrit pour la première fois ce processus de manipulation. Elle le définit comme une tactique qui plonge les personnes confrontées à des abus dans une spirale de confusion et de souffrance, les empêchant de demander justice ou de confronter leur agresseur.
Concrètement, la technique DARVO consiste, pour l’agresseur, à nier les faits, attaquer la victime en la discréditant, puis inverser les rôles en se posant en victime. On pense aux procès médiatisés opposant Amber Heard à Johnny Depp, ou plus récemment à la plainte de Blake Lively contre son partenaire à l’écran Justin Baldoni dans It Ends with Us.
Un mécanisme de manipulation psychologique
L’objectif de DARVO ? Semer le doute dans l’esprit des témoins, des enquêteurs, mais aussi de la victime elle-même. En inversant les rôles, l’agresseur instille chez la victime un sentiment de culpabilité, tout en portant atteinte à son image publique. Cette technique est souvent particulièrement insidieuse : l’agresseur va exploiter les faiblesses perçues de la victime (incohérences dans ses déclarations, comportement erratique) tout en mettant en avant des éléments de sa propre histoire qui pourraient le faire passer pour la véritable victime. Le but est de déstabiliser complètement la situation et de renverser la perception des rôles.
Des exemples célèbres viennent à l’esprit : Donald Trump, qui après des accusations portées contre lui, s’est présenté comme la victime d’un complot du camp adverse ; ou encore R. Kelly, condamné à 30 ans de prison pour exploitation sexuelle de mineures et extorsion, qui s’est défendu en se déclarant victime d’une supercherie. Un même mécanisme se cache derrière ces stratégies : inverser la réalité, manipuler l’opinion publique, et faire passer l’agresseur pour une victime.
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Le danger ?
Le danger, c’est que cette stratégie place les victimes dans une position extrêmement vulnérable. Celles-ci peuvent se retrouver à remettre en question leur propre perception des événements, surtout si elles sont confrontées à des pressions sociales ou à des jugements externes. Une situation qui peut entraîner l’isolement de la part de victimes désemparées, dévalorisées et parfois même accusées de comportements inappropriés. “Les proches vont se dire que c’est lui qui a raison, que c’est la victime qui n’est jamais contente, toujours de mauvaise humeur, jamais souriante et agréable, voire hystérique dans les moments de colère…Sauf qu’ils ne pensent pas à la violence et à la manipulation qu’il y a eu au préalable et qui a causé ce comportement”, explique maître Bonnaggiunta, avocate spécialiste à Madmoizelle.
À côté, cette stratégie peut évidemment créer des doutes chez les témoins et nuire à la crédibilité de la victime. De quoi rendre l’accès à la justice encore plus complexe et décourageant pour les victimes d’agressions sexuelles. D’ailleurs, à côté des procès ultra médiatisés, cette stratégie est très répandue du côté des agresseurs dans les affaires de violences conjugales ou de violences intrafamiliales. Dans la quasi-totalité des cas, on retrouvera en effet des coupables qui se disent eux-mêmes victimes de leurs épouses, de ses sautes d’humeur, de son comportement,… À l’inverse, l’agresseur adoptera le plus souvent une stature calme, confiante, stable et sûre de lui. De quoi faire bonne figure devant les juges.
C’est l’un des problèmes majeurs. La spécialiste en analyse du comportement criminel Danièle Zucker nous l’a expliqué maintes fois : tant que nous ignorerons en quoi consiste réellement les violences sexistes et sexuelles, nous serons incapables de le contrer. Ici, il s’agit de former les institutions et les professionnels confrontés à ce genre de faits aux méthodes employées de façon commune par les agresseurs, afin de les identifier et de reconnaître les agresseurs derrière le masque de la manipulation.
Comment contrer cette stratégie ?
Voici une liste des choses à faire pour reconnaître et contrer la technique DARVO :
- Rester fidèle à votre version des faits : Ne laissez pas l’agresseur vous faire douter de votre perception de la situation.
- Documenter les événements : Gardez une trace écrite (messages, journaux, témoins) des incidents pour prouver votre version des faits.
- Chercher un soutien externe : Consultez un thérapeute, un avocat ou un autre professionnel pour vous aider à naviguer dans cette manipulation.
- Éviter de réagir de manière impulsive : Ne vous laissez pas entraîner dans les attaques ou tentatives de culpabilisation.
- Sensibiliser vos proches : Expliquez-leur la technique DARVO pour qu’ils puissent mieux vous soutenir et repérer cette tactique.