Jeanne Toussaint : la belge derrière la création mythique de Cartier

Mis à jour le 5 juin 2020 par Juliette Debruxelles et ELLE Belgique
Jeanne Toussaint : la belge derrière la création mythique de Cartier © Getty Images

Chaque mois, ELLE revient sur le destin de femmes qui ont changé la face du monde. Qui était Jeanne Toussaint, la femme surnommée la Panthère et qui a créé des bijoux mythiques.

Venir de Charleroi, vivre des horreurs durant son enfance et finir figure incontournable de la plus prestigieuse maison de joaillerie de Paris… Il fallait le faire, et elle l’a fait.

Jeanne Toussaint, femme libre, créative, autoritaire, respectée, unique. Jeanne, gamine abusée par un porc de beau-père après le décès de son papa, commerçant de dentelle. Une petite fille qui fait tout pour s’extraire de sa condition et y parvient, à coups de rencontres et d’œillades.

Alors qu’elle a 13 ans, du haut des terrils (on romance), elle repère Pierre de Quinsonas, aristo français installé à Bruxelles (non, l’exil fiscal n’existait pas). Elle devient sa maîtresse et lorsqu’elle a 16 ans, il l’emmène avec lui et la présente à sa famille. Elle est recalée : la haute société a autre chose à faire que d’accueillir une « pauvre fille ». Le mariage est refusé aux amoureux : pas de mésalliance en vue. Pierre, moitié classe, installe Jeanne dans un hôtel particulier sur les boulevards parisiens.

Sa sœur aînée, Charlotte, elle aussi exilée, a entre-temps tissé de chouettes liens avec du notable. Elle emmène sa cadette à la découverte d’un milieu qui deviendra pour Jeanne le parfait aquarium : celui du luxe et des « demi-mondaines ». En ce temps-là, on ne parle pas de « sugar daddy », mais c’est l’idée. Les femmes comme Jeanne, poules de luxe accompagnant de fortunés messieurs dans des virées généreuses, on les appelle des « cocottes ». Et de fait, ça caquette. On parle d’elle, on se dispute sa compagnie, on se l’offre à coups de bijoux.

Sa BFF, Coco Chanel, lui propose de dessiner des accessoires pour sa maison de couture. Jeanne devient la « socialite » qu’il faut avoir dans son réseau. Elle est forte, brillante, différente. « La panthère », c’est son surnom, et certains se damneraient pour se faire griffer.

Puis BAM, Première Guerre mondiale : 1914-1918. Genre confinement, mais avec des champs de bataille, des bombes et zéro internet. Elle se refait une petite santé morale et décide de cleaner sa réputation. Elle est la compagne du baron Pierre Hély d’Oissel, qui ne l’épousera, une fois sa famille calmée, que 40 ans plus tard, lui donnant accès au titre de noblesse qu’elle méritait.

Mais juste avant les hostilités, elle avait rencontré un gars bien : Louis Cartier. La famille n’est pas ravie-ravie non plus (ça commence à faire beaucoup), d’ailleurs ils ne pourront jamais officialiser, mais c’est lui qui va lui permettre de se révéler. En 1917, Louis lui offre un étui à cigarettes décoré d’une panthère entre deux cyprès. En 1919, elle lui commande un vanity case en or et émail Pékin noir, à nouveau décoré de son animal fétiche.

Le bracelet Panthère de Cartier, une création mythique de Jeanne Toussaint.
Le bracelet Panthère de Cartier, une création mythique de Jeanne Toussaint.

Ses idées fusent, elle rejoint la célébrissime maison et crée des sacs et accessoires. Cinq ans plus tard, elle est nommée responsable du département « S » (comme Silver). C’est là que sont conçues les collections « boutiques », plus accessibles que la haute joaillerie. En 1933, nouvelle promo : elle devient directrice de la création. Inédit pour une femme. Les artisans, sertisseurs, dessinateurs se plient à sa vision. Le monde de Cartier tourne autour de ses brillantes idées. 

Et une guerre, encore ! Elle organise la planque des bijoux de ses clients en zone libre, à Biarritz. Pour provoquer l’ennemi et affirmer que ses collègues et elle entrent en résistance, elle crée une broche en forme d’oiseau bleu, blanc et rouge en cage. La Gestapo la convoque après qu’elle a fait exposer le bijou dans la vitrine de la rue de la Paix. Plus tard, à la Libération, elle conçoit une cage ouverte et un oiseau libéré, les ailes déployées. Entre-temps, Louis est mort. Mais elle garde
le cap, portée par la confiance des troupes.

Son art n’a pas de limites et les moyens mis à sa disposition semblent inédits : cascades de diamants, grappes de pierres précieuses, gemmes aussi rares qu’énormes… Un talent qui séduit ses plus grands fans : les Windsor. Elle dessine pour la duchesse des broches mythiques, des panthères insensées. Les grandes stars de l’époque ne jurent que par ses animaux uniques, lézards, serpents, qu’elle transforme en colliers, boucles d’oreilles, bracelets d’or, d’émeraudes, de platine, d’émaux colorés... 

Ce qu’il reste d’elle, disparue en 1976 : tout. Une maison Cartier à jamais reconnaissante, des pièces de joaillerie exceptionnelles, un certain sens de l’élégance, une story à inspirer toutes celles qui ont un genou à terre et un Institut : celui de la parure et de la bijouterie Jeanne Toussaint, à Bruxelles. Un établissement accessible à tous, sans distinction de sexe, d’origine ethnique, de convictions politiques, philosophiques ou religieuses où l’on apprend, entre autres, la bijouterie et la maroquinerie.

Pour que d’autres femmes, elles aussi, tracent devant elles le destin qu’elles méritent.

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