La Maison Chanel : la stratégie haute couture de cet empire familial

Mis à jour le 19 février 2020 par Elisabeth Clauss et Elisabeth Clauss
La Maison Chanel : la stratégie haute couture de cet empire familial Getty Images

Depuis quatre générations, bientôt cinq, la Maison Chanel grandit au sein de ce qui est devenu un empire. Dans un contexte ultra-concurrentiel et alors que les grands groupes du luxe sont à leur apogée, cette entreprise strictement familiale cultive son indépendance et sa discrétion. Une stratégie haute couture.

On les voit peu. Alain et Gérard Wertheimer, les deux frères si discrets, sont à la tête du groupe qui affichait en 2018 près de 8,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Presque autant que Louis Vuitton, et 25 % de plus que Gucci. Le groupe familial a le vent en poupe : augmentation de 15 % des investissements en 2017, ouvertures de nouvelles boutiques en Asie. Pourtant, à sa mort en 1971, Gabrielle Chanel ne possédait plus un bouton de la marque qu’elle avait créée. De même, à sa disparition, Karl Lagerfeld n’a rien touché du capital de la maison : tous les revenus liés à l’empire Chanel reviennent directement à Alain et Gérard. Comme héritage de leur père Jacques, et avant lui, son père Pierre avec son frère Paul, qu’ils avaient eux-mêmes reçu de leur arrière-grand-père Ernest. Alain, 71 ans, propriétaire du groupe à 51 %, vit à New York, et Gérard, 69 ans, responsable de l’horlogerie Chanel, actionnaire à 49 %, est installé à Genève. Ensemble, ils possèdent un patrimoine qui pèserait une quarantaine de milliards d’euros. Une fortune qui place le groupe selon le palmarès de « Challenge » en deuxième position en France, juste derrière Bernard Arnault (LVMH), mais devant Hermès, et plus en avant encore que la famille Pinault (Kering).

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Un empire né dans les cravates et le fard

Les premières pierres de ce qui est aujourd’hui l’empire Chanel ont été posées à Paris dans les années 20, mais Ernest Wertheimer est né en Alsace. En 1874, il commence à travailler chez un fabricant de cravates de la capitale française. Quelques années plus tard, il crée sa propre entreprise. Son affaire se développe bien, il rencontre à cette époque-là Émile Orosdi. Lui-même fabrique du fard destiné au théâtre, qu’il vend désormais à des clientes privées. Sa petite société s’appelle Bourgeois. Puisqu’il faut des fonds pour développer cette activité florissante, Ernest s’associe à Émile, ils sont chacun actionnaires pour moitié. Paul, le fils aîné d’Ernest, se destine à l’École des hautes études commerciales. Pierre, son cadet, a la bonne idée d’apprendre l’anglais. C’est lui qui installera plus tard Bourgeois à New York. Entre les deux guerres, Pierre, passionné de chevaux, rencontre Gabrielle Chanel sur un hippodrome. La maison de couture fondée par cette jeune femme déterminée fait recette, elle vient tout juste de lancer son Parfum n°5. Le hasard et la parfumerie font bien les choses, les Wertheimer viennent d’ouvrir une usine Bourgeois à Pantin. En 1924, ils fondent ensemble, avec Théophile Bader qui vient de son côté de lancer une petite entreprise, les Galeries Lafayette, la Société des parfums Chanel. La principale intéressée est actionnaire à hauteur de 10 %, Théophile Bader en possède 20 %, et les Wertheimer le reste.

La guerre, les conflits internes, et la reconstruction

Vers la fin des années 20, le torchon brûle entre les investisseurs et Mademoiselle Chanel. Elle les accuse de tous les maux, se méfie, les accable. Le climat politique ambiant fait le reste pour sa défiance envers cette famille d’origine juive. En 1940, Paul et Pierre partent s’établir à New York. Au décès de Paul en 1949, son frère rachète ses parts à sa veuve et à ses deux enfants. Il est désormais le seul capitaine du navire Chanel. Dans la foulée, en 1954, il acquiert toutes les parts des Galeries Lafayette dans les parfums Chanel. Cette année-là, Mademoiselle fait son retour après avoir quitté la scène mode au début de la guerre. Mais la société va mal. Malgré leurs dissensions, Pierre rachète la maison de couture, et lui évite la faillite. Car si en France, les affaires ne tournent pas au mieux, à New York, son style enchante. Par ce pari sur l’avenir, Pierre Wertheimer vient de créer le futur empire Chanel. Son petit-fils, Alain, finira par reprendre le business familial à seulement 26 ans. Diplômé en droit, il insuffle à la Maison vivotante sa vision des affaires, en lançant notamment la ligne de prêt-à-porter. Il a aussi la bonne intuition en 1983 d’engager Karl Lagerfeld pour moderniser la marque. Le Kaiser jouissait d’une liberté totale, avait un contrat réputé « à vie », était rémunéré plusieurs millions d’euros annuellement, mais n’était pas intéressé aux bénéfices.

Une double succession

Depuis sa disparition en février dernier, son bras droit, Virginie Viard, a repris la direction artistique des collections de la Maison. Présente depuis trente ans, elle s’inscrit dans la tradition de discrétion du groupe. Depuis 2016, Alain Wertheimer, qui gérait l’entreprise de « loin » (façon de parler), a senti que l’industrie du luxe vivait l’une de ses transitions majeures, et qu’il devait se faire plus activement présent. On s’en doute, le groupe ne communique pas sur ses prochains déplacements sur l’échiquier, mais l’un des fils d’Alain Wertheimer, fraîchement diplômé de l’université d’Harvard, serait en bonne place pour assurer la relève. La Maison Chanel, à l’abri des intempéries de l’industrie, continue de s’agrandir en famille.

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