Miley Cyrus : « Nous traitons la planète comme nous traitons les femmes »

Mis à jour le 9 août 2019 par Molly Lambert et ELLE Belgique Photos: Mario Sorrenti
Miley Cyrus : « Nous traitons la planète comme nous traitons les femmes » Photo by Mario Sorrenti

Dans un épisode de la série « Black Mirror », sur Netflix, 
Miley Cyrus incarne une chanteuse programmée pour être une pop star. C’est ce qu’elle a été réellement pendant longtemps, mais ce temps est révolu. Avec son septième album, Miley se sent aujourd’hui autonome et plus forte que jamais. Même si elle reste réaliste : 
« Les gens ne reçoivent pas toujours ce qu’ils méritent. »

Sommaire

Nous sommes dans le salon de la maison qu’elle a achetée à l’âge de 18 ans, sur les collines de la vallée de San Fernando. D’abord transformée en bureau, la demeure a été réinvestie par le couple Miley Cyrus-Liam Hemsworth après que leur maison a brûlé lors du « Woolsey Fire », un feu de forêt qui a ravagé la Californie en novembre dernier (ils se sont mariés un mois plus tard dans sa ferme du Tennessee). Au mur sont accrochés des portraits d’Elvis et de Dolly Parton. La pièce offre une vue imprenable sur la piscine extérieure. Deux de ses chiens sont lovés entre nous sur le canapé. Miley Cyrus pose son ordinateur portable sur ses genoux, s’éclaircit la voix et commence. « Mon nouvel album s’appelle “She Is Miley Cyrus”. “She” ne fait référence à aucun genre. “She” ne désigne pas seulement une femme. “She” ne renvoie pas au vagin. “She” est une force de la nature. “She” est puissante. “She” peut être ce que vous souhaitez. “She” est un tout. “She” est un être merveilleux. “She” est un super-héros. “She” est une “She-E-O” (une communauté d’entrepreneuses féministes, NDLR). »

Miley Cyrus quitte le canapé pour arpenter la pièce tout en m’expliquant que « She » est la version la plus confiante d’elle-même. Elle ajoute que la gent féminine reprend le pouvoir, avec toute sa férocité et son énergie. Son discours s’anime lorsqu’elle évoque la manière dont les femmes sont le moteur de la vie, ce qui est « à la fois une bénédiction et une malédiction ». Elle regrette les attentes dont est victime le sexe féminin : « Il nous incombe d’assurer la survie de l’espèce humaine. Quand nos projets s’éloignent de cet objectif, nous devenons la cible de tant de critiques et de colère que certains s’efforcent de modifier les lois, et ce, même si une grossesse est le fruit d’un acte violent. Les gens méprisent les femmes qui ne veulent pas d’enfants, comme s’il s’agissait de traînées insensibles, incapables d’aimer. » Miley Cyrus déteste le terme « égoïste ». « Pourquoi l’amour est-il devenu synonyme d’abnégation au profit de ceux qui nous sont chers ? Que se passe-t-il quand on s’aime soi-même ? On passe en premier. » Sa mine sérieuse laisse alors place au sourire rayonnant qui la caractérise, alors qu’elle se laisse tomber sur le canapé. « C’est mon leitmotiv. »

Nous finissons par abandonner le canapé aux chiens pour nous asseoir en tailleur sur un tapis blanc, au sol. Dans un nouvel épisode de la série « Black Mirror », Miley Cyrus joue Ashley O, une pop star qui nous rappelle son ancienne vie, lorsqu’elle incarnait Hannah Montana pour Disney. Elle est également de retour sur la scène musicale avec le premier EP d’une trilogie qui formera ce septième album. La musique est asexuée et, comme la chanteuse, a le don d’ubiquité. Miley Cyrus s’est longuement interrogée sur son identité et en a conclu que la réponse était multiple. À 26 ans, elle dresse le bilan des différentes phases de sa vie (très) publique. Elle analyse la manière d’utiliser son audience pour sensibiliser le public aux sujets qui lui tiennent à cœur, comme le changement climatique, le droit à l’avortement et les inégalités en matière de logement. Elle est fondamentalement douée d’empathie et exprime le souhait de prendre d’autres âmes vulnérables sous son aile.

Miley Cyrus
Photo by Mario Sorrenti

Il semble que vous ayez beaucoup réfléchi à la capacité des femmes de disposer de leur corps ?

Miley Cyrus : Oui, énormément. Je pense trop, en fait, mais je ne me suis jamais sentie aussi puissante qu’aujourd’hui. J’aime le sentiment que me procure la sexualité, mais je ne me produis jamais sur scène pour les hommes. Ils ne devraient pas croire que mes choix de carrière ont un quelconque rapport avec leur satisfaction. Je n’agis pas en pensant que ceux qui me trouvent sexy vont acheter mon album. Cela me desservirait.

Viennent ensuite le mariage et l’idée selon laquelle la vie d’une femme s’arrête là.

Mon mariage a dérouté les gens, mais notre relation est unique. Je ne suis pas sûre que je vais laisser le public s’immiscer un jour dans cette relation, parce qu’elle est tellement complexe, moderne et nouvelle que je ne crois pas qu’il comprendrait. Je ne suis pas du genre à porter un tablier de cuisine. Nous formons un couple hétérosexuel, mais je reste attirée par les femmes. C’est un fait : même si les végétariens ne mangent pas de viande pour leur santé, le bacon, c’est délicieux. J’ai choisi un partenaire, une personne capable de me soutenir entièrement. Je n’entre définitivement pas dans le stéréotype d’épouse. Je n’aime d’ailleurs pas ce mot.

Il paraît que vos parents s’entendent bien. C’est un atout ?

Ils ont toujours été partenaires. C’est pourquoi je préfère ce terme. Époux et épouse semblent tout droit sortis d’une publicité pour des cigarettes des années 50. Je repense souvent au morceau « Stand By Your Man », qui figure parmi les favoris de ma mère. Je me demande si elle en avait compris les paroles. En gros : soutiens ton homme après qu’il s’est pris une cuite et t’a trompée car c’est toi qu’il aime, finalement. Ce n’est qu’un homme. Il avait juste tellement envie de baiser qu’il en a oublié tes sentiments...

Dans « Never Be Me », je chante que je ne serai jamais quelqu’un de fidèle. Jamais quelqu’un de stable. Lorsque je l’ai jouée devant mon producteur, Mark Ronson, il m’a dit que je ne pouvais pas dire ça. Que j’avais des hommes parmi mes fans et qu’ils ne me comprendraient pas. Et que lui-même ne me comprenait pas. Ce à quoi je lui ai répondu qu’il n’aurait pas bronché si un homme lui avait proposé ce morceau. Deux jours plus tard, il me rappelait pour me dire que j’avais entièrement raison et qu’il avait parfaitement saisi mon point de vue.

Ça effraie les hommes ?

Joan Jett m’a raconté que la première fois qu’elle avait chanté « I Love Rock ‘n’ Roll », le producteur Clive Davis lui avait dit qu’il n’y avait pas de place pour cette musique. Que personne n’avait envie de voir une fille aux cheveux courts jouer de la guitare.

Les hommes hétéros dans l’industrie se demandent tous s’ils veulent coucher avec la chanteuse. Mais les lesbiennes aussi veulent coucher avec Joan Jett. Un tas de gens veulent coucher avec Joan Jett. Même les femmes hétéros.

Je suis entièrement d’accord.

Elle est comme Mick Jagger.

Aujourd’hui, quand quelqu’un me dit non, je lui dis : « Tu sais quoi ? Des gens ont envoyé balader Joan Jett et son “I Love Rock ‘n’ Roll.”» On n’aurait pas dû me raconter cette histoire car elle est devenue mon principal argument.

Les hommes ne comprennent pas quand on leur dit non. Alors l’idée selon laquelle une femme aussi puissante que vous dans l’industrie musicale en aurait le droit est insensée.

La musique d’aujourd’hui raconte cette histoire, tout comme l’épisode de « Black Mirror » dans lequel j’ai joué. Le personnage me correspond. L’industrie déjà bien sombre l’a perverti, comme toujours. J’ai réellement ressenti ce qu’éprouve Ashley O lorsque j’ai enregistré cet album. Et je le ressens encore.

C’est Charlie Brooker (l’homme derrière le phénomène « Black Mirror », NDLR) qui vous a contactée ?

Absolument. Il m’a remis le script et m’a demandé si j’étais intéressée. Lorsque je l’ai lu, je me suis dit : la question n’est pas de savoir si je suis intéressée ou pas. C’est juste que personne n’est mieux placé que moi pour jouer ce rôle. Comme si ma vie avait été couchée sur papier.

Je sors d’un déjeuner avec mon père où j’ai tenté de lui expliquer 
« Old Town Road ». Ce morceau allie le meilleur des deux mondes. Il sonne merveilleusement bien à la radio et fédère les foules. Mais c’est surtout un message politique fort.

Il constitue indubitablement un moment décisif pour la country, ce que votre père, Billy Ray, a confirmé en le reprenant et en en faisant un tube.

Mon père déteste qu’on lui dise non. Il aime les opprimés et a toujours cherché à les défendre. Il préférera faire ce qui est juste et perdre plutôt que de tricher pour gagner. Cela a toujours été mon cas également. Je préfère échouer qu’avoir à tricher. J’ai enregistré un nouveau morceau, « Bad Karma », même si le karma n’existe pas. C’est une simple relation de cause à effet. Autrement, Donald Trump n’aurait jamais été élu président.

Miley Cyrus
Photo by Mario Sorrenti

C’est vrai, le succès des mauvaises personnes est déconcertant.

C’est le principe de causalité. Avec beaucoup d’argent et de conneries, certains réussissent. Cela ne signifie pas pour autant que personne ne les fera tomber. Mais je ne pense pas que chacun ait ce qu’il mérite. Avec Happy Hippie (la fondation de Miley Cyrus qui défend les jeunes sans-abri, la communauté LGBTQ et les personnes vulnérables, NDLR), j’ai rencontré des gens exceptionnels qui vivent dans la rue, des artistes bourrés de talent qui n’ont pas eu leur chance. Le karma, c’est n’importe quoi.

Je suis originaire de Los Angeles où le problème des SDF est considérable. J’ai du mal à croire que certaines personnes passent devant eux chaque jour en les ignorant.

J’ai grandi en travaillant à la chaîne KTLA sur Sunset Boulevard où il y a énormément de sans-abri. En retournant sur mon ancienne plaine de jeux, j’ai vu des enfants avec des T-shirts Happy Hippie. Cela m’a rendue bien plus fière que d’être nommée aux Grammy Awards. Après le « Woolsey Fire », j’ai pensé à la manière dont nous avions soutenu plus de 120 familles qui avaient perdu leur foyer. Depuis 2014, nous avons aidé près de 1.300 enfants sans-abri par an à Hollywood. L’année dernière, nous avons permis à 270 enfants de trouver une maison et distribué quelque 32.000 repas. Tout cela ne brûle pas. Cette histoire m’a appris à relativiser.

Les incendies permettent de remettre les choses en perspective.

Avec les catastrophes naturelles, on n’a pas le choix. Il faut capituler.

Personne ne peut vaincre Dame Nature.

Exactement. Et la nature est une femme. Quand elle est en colère, mieux vaut ne pas s’y frotter. C’est précisément l’état d’esprit des femmes aujourd’hui. La planète est en colère.

Nous l’avons maltraitée.

Nous traitons la planète comme nous traitons les femmes. Nous faisons inlassablement appel à elle et en voulons toujours plus. Elle est fatiguée et se tarit. Je refuse de laisser une terre dévastée à mes enfants. Tant que je ne serai pas sûre qu’ils vivront à côté d’océans remplis de poissons, je n’abandonnerai pas la lutte.

J’ai l’impression que le sujet préoccupe l’ensemble de la génération Y.

Effectivement. Nous ne souhaitons pas nous reproduire car nous savons que la Terre ne pourra pas y faire face.

Avez-vous eu envie de briser le moule de Hannah Montana lorsque vous tourniez la série ?

Je l’ai fait une fois, quand j’avais 18 ans, car je me sentais ridicule. À la minute où j’ai eu des relations sexuelles, je n’ai plus eu envie d’enfiler cette bête perruque. Un sentiment étrange…

Vous aviez grandi.

J’avais grandi.

Et vous portiez les mêmes vêtements que ceux que vous aviez depuis que vous étiez enfant.

Un jour, dans les coulisses de Disneyland, j’ai vu Peter Pan fumer une cigarette. Je me suis alors dit : « C’est moi. C’est ce genre de rêves que je détruis. » Mais je ne suis pas une mascotte Disney. Je suis bien réelle.

Miley Cyrus
Photo by Mario Sorrenti

Pensez-vous que le public ne vous considère pas suffisamment comme une musicienne ?

Je pense que je suscite aujourd’hui le respect que je souhaite. Lorsque j’entre dans une pièce, le public peut voir que je ne porte pas de T-shirt, mais aussi entendre que j’ai une voix incroyable. C’est tout ce qui m’importe.

C’est l’héritage Barbie.

Exactement. Elle vous dirait : « Ne vous laissez pas duper par cette chevelure dorée. Je suis indépendante. » C’est une femme d’affaires brillante.

Cet épisode de « Black Mirror » s’inscrit comme un exorcisme dirigé vers Hannah Montana et toutes vos expériences d’enfant star ?

En effet, je n’ai plus honte de tout ça. C’est même plutôt chouette d’apprendre que Cardi B écoutait Hannah Montana au lycée.

Cet épisode est d’autant plus réussi qu’il montre comment cette musique permet aux enfants solitaires et binoclards de se sentir bien. Et toute musique qui procure un sentiment de bien-être est utile. L’épisode offre également une image réaliste de la célébrité en tant qu’enjeu psychologique insaisissable pour les autres.

J’ai entamé une thérapie à plusieurs reprises. Tous les psys m’ont traitée comme s’ils avaient quelqu’un d’autre en face d’eux. Ils me disaient que j’étais probablement paranoïaque parce que je fumais de l’herbe. Je leur répondais alors que j’étais parano parce que des drones survolaient mon jardin. Un jour, un drone a débarqué alors que j’étais nue sur un faux cheval. Honnêtement, je n’aurais pas choisi de meilleur moment. Au moins, ce n’était pas l’image ennuyeuse d’une célébrité tranquillement assise à boire un café. Mais aujourd’hui, je pense que les gens portent moins d’intérêt à mon côté rebelle.

Effectivement. Pendant la crise de la vingtaine, il est courant d’avoir envie de tester ses limites et d’essayer un tas d’identités pour trouver la sienne.

Je pense que c’est ce qui est en train de m’arriver. J’endosse différentes identités pour savoir qui je suis. L’incendie m’a forcée à sortir de ma zone de confort. J’ai dû trouver un nouveau chez moi et j’ai compris que j’avais amassé toutes ces choses, pendant toutes ces années, sans qu’elles me représentent.

Coiffure : Bob Recine pour Rodin
Maquillage : James Kaliardos @Art + Commerce

Manucure : Lisa Jachno pour Dior
Production : Kyd Drake @North Six

Photos: Mario Sorrenti
Stylisme: George Cortina
Traduction: Virginie Dupont

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