Un chatbot pour lutter contre les agressions sexuelles en festival

Publié le 18 juillet 2019 par Elisabeth Debourse
Un chatbot pour lutter contre les agressions sexuelles en festival Rien que cette année à Dour, trois plaintes pour viol ont été déposées.

Esperanzah! marque des points et fait tout pour s'assurer la bonne réputation du festival le plus safe de Belgique, grâce à la mise en place d'une campagne costaude contre le harcèlement et les agressions sexuelles, et un chatbot développé spécialement pour l’évènement.

D’année en année, le sujet fait l’effet d’un douloureux marronnier : les festivals, grandes messes estivales de la musique, sont aussi des lieux d’agressions sexuelles répétées, du harcèlement au viol. Dramatiques, les titres de la presse font l’effet d’un coup de poing, qui se répète à chaque viol perpétré dans nos festivals préférés. En 2019, être une femme en festival, c’est encore risquer son intégrité physique et mentale par la faute de quelques individus qui n’ont toujours pas intégré la notion de consentement.

Longtemps, les festivals eux-mêmes ont été pointés du doigt. Bien sûr, la responsabilité des violences sexuelles ne leur incombe pas. Mais ils ont bien celle d’offrir aux festivalières — qui constituent en moyenne la moitié de leur public — un évènement aussi sécure que possible, où tout est mis en œuvre pour diminuer le danger. Et cela, certains l’ont enfin compris. C’est le cas d’Esperanzah!, qui coordonne pour la deuxième année d’affilée le plan SACHA, un plan de lutte contre le harcèlement et les agressions sexistes et sexuelles, spécialement conçu pour les milieux festifs. « Admettre la réalité du phénomène, c’est assumer que ces évènements ont lieu, mais qu'ils sont banalisés et invisibilisés. C’est la première étape pour une véritable prise en charge », estime Amandine Verfaillie, la coordinatrice du plan SACHA. Et cette année, le festival vient ajouter une nouvelle arme à son artillerie anti-agressions.

Un « bot » pour orienter les victimes d’agressions

Un chat, mais du genre Messenger, viendra désormais répondre aux questions de victimes ou témoins de violences sexistes et sexuelles. Le dispositif vise notamment celles et ceux qui n’osent pas déclarer immédiatement les faits auprès de la police ou sur le site du festival, où une cellule d’accueil et d’accompagnement est installée. « C’est un outil de détection et d’orientation », décrypte Amandine Verfaillie. « Les questions et réponses prédéfinies aident à définir et identifier ce qui a été vécu. Ensuite, il s'agit d’orienter vers la bonne personne ou association du réseau pour réagir ».

Le « SACHA bot » permettra aussi de recueillir des statistiques sur l’ampleur du phénomène, et notamment sur les lieux d'agressions signalées. « Certains ne veulent pas forcément s’orienter vers des psys par exemple, mais simplement laisser une trace de ce qui est arrivé », explique la coordinatrice de l’action. Parce que visibiliser, c’est déjà lutter. Mais ce n’est pas la seule action de la campagne.

Fin de la zone grise

En amont d’Esperanzah!, une équipe de « Super SACHA’s », soit une trentaine de bénévoles, a été formée à la problématique particulière des violences sexistes et sexuelles. Ces super-héros de plaine de festival sensibiliseront à leur tour le public, en lui partageant par exemple des outils d’auto-défense verbale. Une opportunité de claquer le clapet de ceux qui se permettent remarques et attouchements, tout en alertant les festivaliers alentours. Tout le staff du festival, du camping au bar, a également été formé à une procédure spécifique en cas d’agression.

Esperanzah! mène en parallèle une campagne de prévention et de sensibilisation visuelle, et des stands proposent des informations sur des sujets aussi éclairés que le consentement et la notion d’allié. Pour Amandine Verfaillie, « les gens ne sont toujours pas très au clair par rapport à ce qui constitue du harcèlement ou une agression. On parle de « zone grise », pour justifier le non-dit et enfreindre la liberté de l’autre. Mais cette zone grise n’existe que parce qu’on ne nomme pas les choses : on les contourne. On a encore une vision très érotico-romantique de la séduction, où tout doit se passer dans le non-verbal. Il faut déconstruire ces postures culturelles stéréotypées où la femme se refuse pour mieux accepter ensuite. Et pour cela, on s’adresse aussi tant aux hommes qu’aux femmes ».

festival

Une cellule de prise en charge psycho-sociale est également répartie sur deux « safe-spaces ». Cette année, SACHA s’attèle en plus à éduquer les festivaliers à démasquer leurs privilèges (hétérosexuels, blancs, cisgenre, etc.) via un plan d’action à part et un test en ligne. Un sacré plan d’attaque.

Gare au victim-blaming

Si toutes ces actions sont bénéfiques, force est néanmoins de constater que la plupart restent adressées aux victimes et à leur entourage. Pourtant, comme l’exprimait encore l’autrice et membre de l’ASBL Garance pour la RTBF, « les responsabilités ne sont jamais du côté de la victime, ni même "partagées" : le seul responsable d'un viol, c'est l'agresseur. Et c'est donc à lui que doivent s'adresser les messages de prévention, c'est lui qui doit être encadré et c'est à sa "liberté" à lui qu'il s'agit de mettre des limites ». Un changement des mentalités nécessaire et qui se fait progressivement, mais toujours un peu trop lentement. Amandine Verfaillie estime également que s’adresser directement aux agresseurs reste relativement inefficace : « personne ne s’identifie jamais directement à eux. C’est une question très délicate sur laquelle on travaille. Pour nous, il s’agit d’abord de savoir comment on peut réagir face à des agresseurs. J’ai peur que si on pointe directement les hommes comme de potentiels agresseurs, notre discours soit immédiatement rejeté. Quand on s’adresse aux hommes aujourd’hui à ce sujet, ils sont nombreux à se sentir attaqués ».

Esperanzah!

Sujet délicat, donc, mais pas impossible à aborder, comme le prouvent les affiches qui seront présentées à Esperanzah! les 2, 3 et 4 août prochain : « de la cour au jardin, mon cul ne veut pas de ta main », ou encore « mon corps n’est pas un sujet de débat », peut-on y lire. Car le problème, à trop craindre de s’adresser aux agresseurs, c’est de reporter éternellement la faute sur les victimes. « Dire aux femmes de faire attention à leur environnement, c’est inutile : c’est déjà ce qu’elles font. Leur rappeler des stratégies de défense et de survie, c’est leur faire violence, en fait. Ça n’a pas beaucoup de sens », revendique Amandine Verfaillie.

En attendant, le plan SACHA semble déjà un bon début, pour tout évènement pro-actif contre les violences sexuelles et sexistes. Il sera d’ailleurs répliqué aux Solidarités, au Jivazik, aux 24 Heures Vélo de Louvain-La-Neuve et sur le campus de l’ULB. On avance.

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