Violences faites aux femmes: comment agir?

Mis à jour le 5 mars 2020 par Laurence Donis
Violences faites aux femmes: comment agir?

Manifs, apéros féministes, pétition online… Si je veux agir concrètement contre les violences machistes, je fais quoi ?

Depuis le début de l’année, au moins 33 femmes ont été victimes de féminicides en Belgique. Traduisez : elles ont été tuées en raison de leur condition de femmes. Le nombre de morts est plus élevé que lors des attentats de Bruxelles, et pourtant, on en parle beaucoup moins. Si le sujet devrait être abordé toute l’année, le 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination de la violence contre les femmes, est l’occas’ d’insister. On est d’accord, c’est un travail de longue haleine qui doit être fait pour supprimer la culture machiste et faire évoluer les mentalités. Ça passe par l’éducation, la justice, les décisions politiques… Mais en attendant, si je veux contribuer au changement maintenant et agir concrètement, je fais comment ? Trois initiatives à suivre. 

1. La manif’ Mirabal

violences faites aux femmes

« De près ou de loin, au cours de sa vie, chaque femme est confrontée à différentes formes de violences, parce qu’elle est une femme. Il ne s’agit ni de cas isolés, ni de ‘faits divers’. Ces violences sont le reflet d’un système qui va à l’encontre des droits des femmes et met à mal leur intégrité et autonomie. Passées sous silence, banalisées, excusées, niées, elles sont rendues invisibles aux yeux du grand public. Largement sous-estimées, ces violences restent également relayées au second plan des priorités politiques. » Pour montrer notre soutien aux victimes et pour que les pouvoirs publics s’engagent davantage, on sort manifester le 25 novembre. De 14 à 16h ce dimanche, une grande marche est organisée au départ de la place Poelart par Mirabal (cette plateforme regroupe une centaine d’organisations autour d’objectifs communs). Une pétition peut également être signée en ligne!

2. L’action réseaux sociaux

violences faites aux femmes

Pour montrer son refus des violences faites aux femmes, et son soutien aux victimes, on poste une photo de sa main peinte en mauve sur les réseaux. Maquillage, peinture, marqueurs, tout est bon ! On inonde Facebook, Insta et Twitter avec les hashtags #StopViolencesFaitesAuxFemmes #25novembre et #MirabalBelgium (ou on l’envoie directement par mail à mirabal.belgium@gmail.com). Pourquoi la couleur mauve ? Parce que c’est le mélange du bleu et du rose, deux couleurs ultra-genrées, deux symboles de notre société patriarcale. Mais le mauve, c’est aussi la couleur du mouvement pour les droits des femmes. Et celle des ecchymoses que peuvent laisser les violences sexistes…

3. L’apéro féministe

violences faites aux femmes

Le poisson sans bicyclette, c’est un café féministe ultra cool qui organise toutes sortes d’évents : ateliers, ciné-club, scènes ouvertes, diffusion de compétitions sportives féminines,… Le dernier en date ? Un apéro « feel good » pour se rebooster, affronter le monde et ses oppresseurs. « L’idée est d’imaginer ensemble des punchlines qui claquent pour répondre aux trolls et autres relous qui nous pourrissent la vie. En équipe et à partir de situations données, vous serez amené.e.s à construire un stock de répliques absurdes, drôles, geek, piquantes… A utiliser ensuite sans modération ! » Parce que les violences faites aux femmes ne sont pas uniquement physiques, mais aussi psychologiques. L’event a lieu le 21 novembre de 18 à 21h à Schaerbeek, plus d’infos sur la page Poisson sans bicyclette.

> Pour aller plus loin, Mirabal a listé toutes les actions locales. Et puis on le rappelle, agir contre les violences machistes, c’est aussi proposer son aide aux femmes qui en ont besoin, interpeller ses proches,  intervenir dans l’espace public et oser parler. Dans cette optique, on a souhaité laisser la place à l'une de nos lectrices qui avait envie de s'exprimer. Une carte blanche importante, qui on l'espère, fera évoluer la situation.

"Lettre au gamin qui m’a agressée sexuellement lors de mes quinze ans 

Lettre à tous les hommes qui ont été gamins et qui ont un jour cru que nous les femmes, les filles, étions à leur disposition 

Lettre à mon prof de latin 

Nous étions deux. Deux jeunes filles heureuses à l’aube de notre féminité de femmes. Deux adolescentes contentes d’assumer notre liberté d’agir et de parler.
C’était censé être un voyage scolaire de découverte. 

Voyage au siège du défunt empire romain. Parcourant ces ruines romaines on ne pouvait s’empêcher de se demander. Pourquoi cet empire s’est-il effondré s’il était si grandiose? Pourquoi devons-nous étudier cette langue si elle est morte? Pourquoi cette fascination de notre professeur de latin pour les envahisseurs, les conquérants de nos ancêtres? Pourquoi cet empire Romain qui reposait sur la domination, la destruction de la diversité linguistique et culturelle, l’hégémonie, le populisme « des jeux et du pain » et surtout sur le patriarcat, méritait-il tant de déférence? Et des heures de devoirs... J’étais loin de me douter qu’il me faudrait plus de trente ans pour élucider cette énigme. 

Un soir d’Italie qui sentait les lilas, nous étions deux adolescentes prêtes à nous révolter contre l’autorité, prêtes à enfreindre quelques règles stupides. Vous étiez deux gamins drôles et curieux. Nous vous avons ouvert une porte : la porte de notre dortoir de filles. C’est la seule porte que nous ayons ouverte. Les autres vous les avez enfoncées. Dans votre cerveau simpliste, vous avez fait un raccourci. Vous avez enfoncé toutes les portes. 

Nous vous avons offert notre rire, vous avez pris notre souffle. Nous vous avons offert de vous asseoir, vous vous êtes couchés. Nous vous avons offert notre confiance, vous avez pris notre innocence. Vous avez fait beaucoup de raccourcis. Vous avez pris votre besoin de domination pour de la masculinité. Vos genoux entre nos jambes pour du désir. Votre étreinte forcée pour une victoire. Nos cris d’appels à l’aide pour un affront. Vous n’avez rien compris. Et vous le saviez. Plutôt que de vous l’avouer, vous avez essayé d’oublier. Oublier notre humanité. Nous étions juste des objets. Objet de vos fantasmes. De vos désirs de supériorité. Vous avez violé notre humanité. 

Quant à vous, Monsieur le professeur de latin, quand vous êtes entré dans la chambre, alerté par nos cris... nous nous sommes cru sauvées. 

Au contraire. Nous nous sommes vu blâmées. Amère déception. Vous aussi vous avez fait des raccourcis. Vous non plus vous n’avez rien compris. Trop aveuglé par la peur. Peur de perdre un statut si fragile. Vous vous êtes protégé. Vous et les gamins. Votre pouvoir était menacé. Vous avez serré les rangs. Et vous vous êtes retournés contre nous. Vous nous avez dénigrées. Deux jeunes filles « dévergondées qui l’ont cherché ». Nous étions devenues symboles de votre autorité dysfonctionnelle. Vous vous êtes déclaré grand jury d’un procès bidon ou nous avons été privées de témoigner. « Je ne veux que les faits », vous avez crié. « Vous leur avez ouvert la porte, vous n’avez que ce que vous méritez» fut votre sentence. 

Ni témoins ni mêmes victimes. Le seul statut qui nous fut accordé était celui de coupable. Privées du droit de parole à notre propre « procès », nous n’avions aucune prise. Chute vertigineuse. Vous aviez gagné. Morfondues de honte, nous n’avons rien dit à notre retour de voyage. 

Persuadée que je décevrais tous ceux qui m’avaient estimée, je me suis tue. Deux gamins avaient annihilé notre innocence. Vous, un homme, avez annihilé ma confiance. Confiance en moi-même. Confiance en la femme que j’étais devenue. En ma capacité de faire valoir ma parole. Ma vérité. Confiance en l’humanité des hommes et des femmes. Confiance en la justice. Confiance en l’autorité. Vous aussi vous avez violé notre humanité. 

Aujourd’hui, je prends la parole. Je nomme ce qui a été. Je fais honneur au pouvoir des mots et de la vérité. Car je sais que mes droits ont été bafoués. Un garçon m’a agressée sexuellement. Un autre a agressé sexuellement mon amie. Un prof les a protégés et ne l’a rapporté à personne. Pire, il nous a fait porter le poids de la culpabilité de notre propre souffrance. Il a enfreint la loi. 

Plus de trente ans plus tard, j’entrevois une justice. Je ne suis ni coupable ni victime. Encore moins responsable des portes enfoncées. Je suis une battante. Une survivante. Je ne suis pas seule. Nous sommes des générations de femmes et de filles à prendre la parole. 

Aujourd’hui, alors que la souffrance des femmes est racontée et reconnue, que les violateurs sont dénoncés, les deux gamins qui nous ont agressées et le prof de latin qui nous a ostracisées se morfondent peut-être. Soit rongés de honte. Soit perdus dans une fuite à l’évitement. Ils ont le choix. Un autre choix. 

Ils peuvent transformer ce malaise en libérant la parole vraie. En osant toucher ce qui les dérange. Ce pan de leur passé qu’ils ont vite oublié. Reconnecter avec leur humanité. L’erreur est humaine. Le reconnaître est signe de croissance. C’est tendre une main. Ce qui est inhumain c’est de nier la souffrance de l’autre. 

C’est malheureusement le choix que certains font. De s’embarquer dans une fuite effrénée pour apaiser la sourde souffrance intérieure qui se développe en écho à celles des autres. S’ensuit une course aux sensations fortes pour tromper le malaise. Surenchère d’auto- gratification aux dépens des autres. Justification par la domination et persuasion qu’il y a supériorité essentielle de l’un sur les autres, sentiment assouvi par les marques de pouvoir. Pouvoir autoritaire, politique, économique, racial, patriarcal... C’est un schéma qui semble se répéter au cours de notre histoire. 

Et aujourd’hui je comprends un peu mieux ce qui a mené les Romains à leur perte. 

Ce régime dictatorial de force militaire brute nourri de l’assouvissement des fantasmes les plus extravagants, orgies alimentaires ou sexuelles a fini par succomber à sa décadence. Ce n’est pas un constat moral mais humanitaire. 

Quand un homme, quand les hommes, quand un peuple a perdu le respect de l’autre dans son humanité; quand il a oublié, aveuglé par son ambition et sa soif de pouvoir, la richesse émotionnelle qu’un simple échange de regard, de parole, de larmes et de sourire peut apporter; alors il a perdu le sens de la vie, de sa vie. Alors plutôt que de mourir, il se met à tuer. Tuer l’innocence. Tuer le rire. Tuer les larmes. Tuer la parole. Dans ce dernier sursaut relationnel, de pure domination, il trouve un bref soulagement à son angoisse existentielle. 

A tous les gamins, à tous les hommes et à tous les prof de latin imbus de pouvoir, vous savez trop bien que c’est un DERNIER sursaut. Un dernier soulagement. Parce que tout comme l’empire romain a fini par pourrir sous sa décadence, le patriarcat est en train de compter ses derniers jours. 

Seulement nous, les femmes, les filles, nous ne voulons pas perdre la richesse des échanges, des larmes, des rires et des paroles avec les hommes. Nous ne voulons pas votre destruction. Encore une fois, nous vous ouvrons la porte. La porte à un nouveau partenariat. 

Maintenant, n’allez pas faire de raccourcis simplistes. Ce n’est pas une invitation à la violation. Juste une main tendue pour une nouvelle danse, une nouvelle ère qui célébrera notre richesse et notre diversité à tous. Tous les peuples. Tous les genres. Trans, fluides, femmes et hommes. Filles et garçons. En toute égalité en tant que simples membres de la même humanité." 

Sophie Rousseau

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