Les guides: le girl power à la Belge ?

Mis à jour le 12 février 2018 par ELLE Belgique
Les guides: le girl power à la Belge ?

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C’est le plus grand mouvement bénévole de filles du monde. Et si les Guides étaient un pilier de l’émancipation ?

Nous sommes en avril 1915, à Bruxelles. Depuis huit mois, la capitale est envahie par les Allemands. L’économie est paralysée. On manque de pain, de sucre, de café. Sur les pavés du quartier des Marolles, le père Melchior Verpoorten, du couvent des capucins de la place du Jeu de Balle, décide de faire quelque chose pour les jeunes filles des familles pauvres, confinées dans leurs maisons insalubres. Il réunit le premier groupe de « Baden-Powell Belgian Girl Scouts », sans se douter qu’il est en train d’écrire les premières lignes d’une formidable page de l’histoire populaire de notre pays.

Depuis les années 1910, à Bruxelles, des garçons se réunissent en uniforme, sur le modèle des Boy Scouts anglais, créés par Lord Baden-Powell. Le projet de l’ancien capitaine de l’armée britannique est de « promouvoir, par le jeu et la vie en plein air, la santé, la personnalité, le sens du service à Dieu et à la société et les connaissances pratiques des jeunes issus des couches populaires ». Dès le début, les filles veulent en être : en 1909 déjà, la sœur de Baden-Powell organise les premiers groupes de « filles scouts ». On les appelle « les Guides » car, fortes de leurs valeurs et de leurs savoir-faire, elles seront à même de montrer la voie et l’exemple. « Une femme qui est capable de se tirer d’affaire toute seule est respectée aussi bien par les hommes que par les femmes », écrit « BP » en 1918.

Ensuite, c’est Olave, l’épouse du lord elle-même, qui prend la direction du mouvement des Guides et des Éclaireuses, Aujourd’hui, cette association mondiale* compte plus de 10 millions de membres dans plus de 145 pays. C’est la plus gigantesque association bénévole du monde dédiée aux filles.

En Belgique, les premières Compagnies de guides poursuivent des objectifs d’émancipation bien terre-à-terre:  apprendre aux adolescentes les rudiments de la cuisine et du reprisage et les sortir au grand air. Mais nos arrière-grand-mères ne rêvent pas que de casseroles et de point de croix. « Très vite, elles viennent chez les guides pour le côté aventureux, les camps, la vie sous tente… », explique Sophie Stevens, présidente fédérale actuelle des Guides catholiques de Belgique. Et elles s’emparent des valeurs du guidisme : la vie en groupe, la débrouillardise, la responsabilisation. Des groupes naissent aux quatre coins de Belgique et jusqu’au Congo belge.

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Pendant la Deuxième Guerre mondiale, l’occupation allemande tente d’étouffer le mouvement. Tout ce qui relève du patriotisme ou qui ressemble à des activités militaires (uniformes, salut au drapeau, cartographie, jeux de piste...) est interdit. Par acte de résistance autant que par envie de s’amuser, les jeunes Belges continuent à se réunir, à la barbe des Allemands. Les Guides s’investissent dans les consultations de nourrissons, les cantines militaires, les hôpitaux… Elles organisent des camps de vacances pour les enfants de prisonniers.

En juin 1945, une fête de la Libération se tient sur la Grand-Place de Bruxelles, en présence de Lady Baden Powell.
Douze mille Guides y participent. Ces filles en uniformes célèbrent aussi une grande victoire pour la jeunesse : entre 1940 et 1945, malgré l’interdiction allemande, leur nombre a triplé.

En 1957, ce sont 50 000 jeunes filles et garçons belges qui fêtent le cinquantième anniversaire du scoutisme en présence du roi Baudouin. On est déjà loin du club de couture pour filles pauvres. Le guidisme devient, petit à petit, cette école de vie plébiscitée par les parents, les employeurs et les jeunes filles elles-mêmes, dans toutes les couches de la population. Depuis les années 60, le mouvement (découpé en sections d’âges : Nutons, Lutins, Guides Aventure et Horizons, Route) est en perpétuelle évolution. Chaque groupe trouve son style : entre les plus tradi et les plus cool, les groupes mixtes ou non, il y en a pour tous les goûts. « J’ai été guide dans deux compagnies très différentes, explique Marion, 24 ans. Dans la première, on portait l’uniforme, mais à la cool, on ne marchait jamais plus de dix kilomètres, on fumait en cachette derrière les tentes. Dans la secondes, rien à voir : c’était l’uniforme strict obligé, les hikes de vingt-cinq kilomètres, plus de discipline. Mais c’est là que je me suis le plus amusée et le plus dépassée. Il faut voir les constructions qu’on faisait ! » Le plaisir, chez les guides, c’est qu’on apprend sans prof. « Pour moi, c’était une sorte de deuxième famille où l’on a appris à devenir responsable et à se débrouiller en toutes circonstances sans qu’on nous donne des cours pour cela, se souvient Sarah, 31 ans. Si je suis plus autonome que mes sœurs, si je sais changer une roue, si je sais gérer des équipes, c’est grâce aux hikes (elle prononce “éék”), ces marches durant le camp qui vous obligent parfois à aller sonner chez les gens pour avoir un toit ou prendre une douche. » « Et moi, j’ai appris à mordre sur ma chique, reconnaît Léa, 19 ans. On ne peut pas aimer tout le monde ni être aimé de tous. Il faut composer quand on vit ensemble pendant quinze jours. ».

Même si certaines sections disent encore la prière avant les repas, il n’y a pas, chez les scouts ou guides belges, le côté « vieilles familles cathos » que l’on retrouve dans d’autres pays, comme la France. Chez les Guides catholiques, on parle aujourd’hui de « catholicisme culturel » et on insiste sur le bon accueil réservé à tous. « Des musulmans ou des athées trouvent tout à fait leur place chez nous », insiste Sophie Stevens.

En Belgique, avoir été animateur de mouvement de jeunesse est considéré comme une plus-value, notamment sur un CV. Stéphanie, 29 ans : « J’ai appris, à 20 ans, à ne pas avoir peur de la paperasse. Cela m’a aidé à me lancer ensuite comme indépendante. » Remplir des papiers mais aussi gérer des courses pour quarante personnes, tenir un budget, faire face aux urgences médicales, tenir un groupe d’enfants ou d’ados,  inventer des jeux et des activités qui ont du sens, gagner la confiance des parents... « Être responsable d’une section a été pour moi la meilleure formation du monde, explique Patricia, 32 ans. Avec le recul, je suis encore étonnée de la confiance que l’on m’a faite. » En moyenne, les animateurs consacrent plus de huit heures par semaine à leur section. Qui a dit que les jeunes étaient égoïstes ?

En 2015, cent ans après sa création, le projet des Guides continue à attirer les jeunes filles. « À l’heure de Pinterest ou de Facebook, il y a des ados de 15 ans qui nous disent n’avoir jamais eu de si grande fierté que d’avoir monté une tente sur pilotis », confie la présidente nationale de la GCB. Les temps ont changé mais les valeurs restent OK. « Nous promouvons la responsabilité, le respect, le partage, l’autonomie progressive, le dépassement de soi. Notre objectif est que les jeunes deviennent ce que nous appelons des CRACS, des Citoyens Responsables, Actifs, Critiques et Solidaires, respectueux de la nature, de la vie en collectivité et de l’équilibre hommes-femmes. » Elle ajoute, avant de refermer ce chapitre sur l’histoire des Guides : « Nous défendons une vision hyper-positive de la jeunesse. ». Et ça, ça fait beaucoup de bien.

Céline Gautier

* WAGGGS (World Association of Girl Guides and Girl Scouts).

En français, AMGE (Association mondiale des Guides et des Éclaireuses).