Il y a des voyages qui cochent toutes les cases et puis il y a ceux qui les effacent. Le Kirghizistan, je ne l’avais jamais envisagé. Trop loin, trop flou sur la carte, trop difficile à prononcer. Mais quand j’ai reçu l’invitation de Décor & Émotion, j’ai dit oui tout de suite, sans trop réfléchir. Peut-être parce que le programme était trop beau pour être vrai. Peut-être parce que j’avais besoin d’ailleurs, précisément à cette période de ma vie. Je n’imaginais pas qu’un pays allait autant me surprendre et me remuer.
Dès l’atterrissage à Bichkek (la capitale), le décor est posé et il est assez particulier : larges avenues aux accents militaires et statues monumentales, bazars colorés rappelant les souks arabes, églises et temples paisibles, mosquées imposantes, partout un mélange incongru témoin d’influences soviétiques, arabes et asiatiques. La capitale semble figée entre différentes époques et cultures. Le Kirghizistan est un patchwork culturel. Une identité complexe mais fascinante, qu’on découvre à travers les visages, les plats, les habits, les mots. Ici, on mange du plov (souvent appelé osh), on boit du lait de jument fermenté, on salue d’un simple geste de la main. Les produits sont frais et les repas sont pris en commun, dans une atmosphère simple mais généreuse. Pas de chichis. Mais beaucoup de dignité. Et une hospitalité désarmante. Dès le premier repas, c’est le bonheur et le soulagement. J’avoue que la nourriture est centrale dans ma vie. Je prends plaisir à bien manger et je découvre que les mets traditionnels sont variés, très bons et les quantités plus que généreuses.
Dès le lendemain, on quitte la ville et son béton pour s’enfoncer dans des paysages plus grands que nature : plaines, montagnes, canyons, lacs, partout des étendues à perte de vue. Ce qui me frappe tout de suite : l’immensité et le sentiment de liberté qui l’accompagne. Chaque route est un décor de cinéma. Chaque virage dévoile une nouvelle carte postale. Direction Karakol en passant par les vues panoramiques d’Issyk-Kul. Je m’amuse de ce perpétuel mélange des genres. À quelques mètres l’une de l’autre, une église orthodoxe russe en bois bâtie sans un seul clou et une mosquée Dungan d’inspiration chinoise : chaque lieu raconte un pan de cette société métissée.
Le lendemain, on repart de plus belle. Je me dois de vous prévenir, les routes sont longues, cabossées, le confort n’est pas toujours au rendez-vous mais je pense qu’en voyage, on a rien sans rien et que dans le cas du Kirghizistan, chaque secousse vaut son pesant d’or. La récompense est au bout de chaque trajet. Certaines escales m’ont hérissé les poils et coupé le sifflet. Et il en faut beaucoup pour me faire taire… En longeant les rives du lac Issyk-Kul, on s’arrête au canyon de Skazka, aussi baptisé Faire Tale Canyon, célèbre pour ses formations rocheuses rouges façonnées par le vent et le temps et qui rappelle certains paysages sauvages américains. Après plusieurs jours, l’effet wow est toujours là. Je sais maintenant qu’en fait, ce n’était que le début.
©Nakul Sharma
Un pays qui bouleverse
Tant dans les hôtels, les restaurants, les lieux culturels, je ressens la chaleur de l’accueil kirghize. Les sourires, les signes de main, les petites attentions. Ce peuple est vrai, sincère et tellement gentil. Et puis il y a cette rencontre, unique et totalement hors du temps, avec les chasseurs d’aigles (appelés berkoutchi en kirghiz). Ils ne posent pas pour amuser la galerie. Ils sont fiers. Leur regard est celui de ceux qui ont vu le monde changer et qui tiennent bon. Ce ne sont pas des figurants, mais les héritiers vivants d’une tradition rare, en voie de disparition, qui se transmet à l’oral de génération en génération. Ce rendez-vous improbable au milieu d’une plaine est un souvenir indélébile pour moi. Admirer, toucher, écouter un aigle a été l’un des moments les plus intenses du séjour.
Un peu plus tard, mon groupe assiste à une démonstration de montage de yourte. Cet habitat traditionnel, toujours utilisé par les familles nomades, se construit à mains nues en quelques dizaines de minutes, avec une ingéniosité désarmante. Ce n’est pas qu’une maison : c’est un symbole d’ancrage et de mouvement, d’appartenance et de liberté.
Nous faisons halte au Camp Bel Tam où je passe ma toute première nuit en yourte. C’est à cet instant que je mesure le plus ce que veut dire « sortir des sentiers battus ». Réseau et wifi instables, peu d’électricité, toilettes et douches communes (mais très propres on vous rassure tout de suite), repas convivial et festif, feu de camp et ciel étoilé. Et les montagnes protectrices en toile de fond.
©Nakul Sharma
Dormir sous les étoiles
A ce stade du voyage, je suis en pleine réflexion personnelle. La gentillesse des locaux, la beauté des paysages, ça fait réfléchir. Mon stress quotidien me lâche (rien qu’un peu et c’est déjà beaucoup) et j’ai l’impression de pouvoir mieux respirer malgré l’altitude. Sans connexion, je suis obligée de ralentir, et inévitablement, je baisse ma garde et mon esprit s’emballe. Tournent en boucle dans ma tête toutes ces questions existentielles qui accompagne ma quarantaine plus si lointaine : Pourquoi est-ce que je cours autant ? C’est quoi le confort ? Comment j’ai pu oublier si vite la beauté du monde ? C’est l’effet Kirghizistan. Il t’oblige à ralentir, à regarder, à être là. On se sent minuscule et infiniment vivant à la fois.
Bingo ! J’ai très bien dormi. Le silence, l’obscurité, quelques bruits lointains d’animaux qui broutent paisiblement. Nouvelle salve de pistes rocailleuses avant de poser les yeux et les pieds autour du lac Son Kul, dernière étape du voyage, un lac situé à plus 3000 mètres d’altitude. Une fois sur les hauteurs, nous découvrons ces familles nomades qui vivent avec leurs animaux : chevaux, vaches, chiens de berger au regard perçant, yaks tranquilles. À la tombée du jour, un troupeau traverse le campement. Au loin, on aperçoit même quelques chameaux sauvages. Une vision quasi irréelle. Tout ici semble avoir une fonction, un rythme, une logique qui échappe à nos modes de vie urbains. On dort sous la yourte, on partage les repas, on se réchauffe autour d’un feu de bois. On rit, on parle, on regarde les étoiles. Le silence est immense. Il enveloppe, je dirais même qu’il nettoie.
Moment suspendu : au réveil, on découvre un festival local en l’honneur de Manas, héros mythique et semi-divin du pays. Au programme : danses, chants, démonstrations de jeux nomades, courses de chevaux, port de costumes traditionnels. Une fête populaire sincère et fière, sans mise en scène pour touristes. On est spectateurs émus, parfois même invités à danser. Le dernier jour, juste avant de reprendre l’avion, on retrouve le tumulte du gigantesque bazar d’Osh, à Bichkek. Un labyrinthe de couleurs, d’épices, de tissus, de conversations vives. Un vrai bain de foule où l’on marchande des abricots secs et des chapkas artisanales. On y croise autant de visages que de cultures. Une immersion finale, brute et grisante.
©Nakul Sharma
Un autre regard sur le voyage
Si ce voyage a autant de saveurs, c’est grâce à Nathalie Garcia et Nakul Sharma. Nathalie, fondatrice de l’agence Décor & Émotion, est de celles qui voient l’invisible. Qui sentent ce qu’un groupe peut recevoir, vivre, digérer. Elle parle peu, observe beaucoup. Chaque soir, elle glisse un mot, une carte, un geste. Nakul, son complice, photographe professionnel et guide touristique, est un puit de connaissances. Il raconte, traduit, transmets et veille. Il a arpenté ces montagnes plusieurs fois (et tellement d’autres aussi), mais il regarde encore chaque paysage avec le même enthousiasme. Leur duo fonctionne comme un fil conducteur discret mais solide. Chaque lieu est testé en amont. Chaque chauffeur, chaque hôtel, chaque campement est sélectionné avec soin. Et ça change tout. On se sent attendus. Ils ne cherchent pas à en mettre plein la vue. Ils veulent que ça touche juste. Et il faut reconnaître qu’ils maitrisent leur sujet.
Décor & Émotion ne vend pas des voyages, mais une manière de voyager et d’être au monde. C’est précieux. Et de plus en plus rare. Dans un paysage saturé d’offres alléchantes, low cost, et d’hébergements de masses standardisés, leur démarche détonne : humaine, sensorielle, engagée. Chaque aventure est conçue comme une respiration. Un moment pour se recentrer. Ce n’est pas un voyage de luxe au sens classique du terme. C’est un luxe émotionnel. Celui de se sentir vivant, aligné, connecté. Une invitation à décentrer son regard, à voyager en conscience, à poser un pas léger sur la terre que l’on traverse. Voyager durablement, ici, ce n’est pas une posture. C’est une nécessité. Respecter les rythmes locaux, privilégier les circuits courts, rémunérer justement les guides, les artisans, les familles d’accueil. Prendre le temps. Ne pas venir consommer un exotisme, mais s’inscrire dans une rencontre. Et tout ça, Nathalie et Nakul l’ont intégré dans chaque détail. Rien n’est laissé au hasard. Tout est pensé pour que l’empreinte laissée soit la plus douce possible. Pour que le souvenir, lui, soit indélébile.
Je suis revenue avec de la poussière sur les chaussures et des questions plein la tête. Le vrai luxe ? Pouvoir marcher pendant des heures sans croiser personne. Être accueilli avec un thé brûlant et trois mots maladroits mais sincères. S’émerveiller d’un ciel immense, d’un troupeau de yaks, d’un enfant qui rit aux éclats alors qu’à nos yeux il n’a rien mais qu’en vrai il possède ce qui compte le plus : amour, santé, liberté. Le Kirghizistan est un voyage à mille étoiles. Au sens propre. Et au sens figuré. Je ne sais pas si j’y retournerai. Je ne sais pas s’il faut y retourner. Mais je sais que je ne verrai plus jamais les montagnes de la même façon. Ni les chevaux. Ni les silences. Ni les routes en lacet qui mènent ailleurs.
Infos pratiques : le prochain voyage au Kirghizistan avec Décor & Émotion aura lieu du 1er au 12 juillet 2026. Un circuit immersif de 11 jours.