Les nouvelles icônes féministes

Mis à jour le 16 février 2018 par Juliette Debruxelles
Les nouvelles icônes féministes

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Beyoncé, Barbie, Britney, Miley and co revendiquent un féminisme bien burné. Opération de com’ ou volonté de porter la cause hors des milieux autorisés ?

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Le cas Britney

«Work Bitch ! » (« Travaille, salope ! »). Il y a pile un an, en une chanson, Britney Spears reboostait son image et se plaçait au centre d’une polémique. Son titre est-il ou pas le nouvel hymne du féminisme moderne ? Après des années de galère et de troubles bipolaires, un divorce ultra-médiatisé et une carrière moribonde reconstruite par un plan marketing colossal, l’ex-petite fiancée de l’Amérique revenait avec des leçons à donner. « Tu veux un hot body, tu veux une Bugatti, tu veux une Maserati ? Tu ferais mieux de travailler, salope. Tu veux une Lamborghini, siroter des Martinis, être bonne dans ton bikini, tu ferais mieux de travailler, salope… » Les paroles vantent-elles l’autonomie, le courage, l’indépendance financière, ou la recherche désespérée d’une existence futile faite de dépenses inutiles ? Les interprétations varient selon que l’on soit pro ou anti. Dans le camp des défenseurs d’un nouveau féminisme mainstream qui s’adresse à une certaine jeunesse dans un langage qu’elle comprend, Britney devient un exemple. Une femme qui paie une pension alimentaire à son ex. Une femme puissante en bas résilles et minishort.

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Le cas Beyoncé

Le magazine Time la classe en tête des personnes les plus influentes du monde. Et Queen B. en fait un paquet. À son actif, des paroles de chansons ultra-autonomisantes et le détournement de la célèbre affiche de propagande américaine visant à encourager la participation des femmes à l’effort de guerre. Elle est aussi l’un des visages de la campagne « #chimein » lancée par Gucci, qui réclame « éducation, santé et justice pour chaque fille, chaque femme, partout ». Elle reprend dans une chanson un discours de l’écrivaine nigériane féministe Chimamanda Ngozi Adichie, et publie une tribune pour l’égalité des genres sur le site de l’ONG ‘The Shriver Report’. « Nous devons enseigner à nos garçons les règles de l’égalité et du respect afin qu’en grandissant, l’égalité entre les genres devienne un mode de vie. Et nous devons apprendre à nos filles qu’elles peuvent gravir les échelons aussi haut qu’il est humainement possible de le faire. » Ou : « Les femmes représentent plus de 50 % de la population et plus de 50 % des électeurs. Nous devons réclamer de pouvoir accéder à 100 % des opportunités. » Déroutant dans la bouche de cette femme d’affaires redoutables dont le corps est calibré pour répondre aux fantasmes masculins, non ? Faut-il pour autant bouder notre plaisir ?

L’avis de la pro

Bénédicte*, féministe engagée et chef de projet dans une maison de disques internationale. 

« L’hypersexualisation, c’est le trait commun des nouvelles icônes pop féministes. Derrière cette apparente liberté et ces prises de position, il faut tout de même se souvenir que leur premier job, c’est de vendre des disques. Je ne suis pas cynique, et si elles utilisent leur notoriété pour faire passer un message sincère et positif d’émancipation, c’est vraiment bien. La bonne parole d’une grosse star peut constituer une porte d’entrée vers le féminisme, car elles dédramatisent et déringardisent le mot et le concept. Mais il faut absolument aller plus loin pour éviter de tout mélanger, de réduire le féminisme à la seule liberté sexuelle. Elles sont nombreuses à entretenir la confusion. 

C’est bien là que se situe le problème et les incompréhensions. Être une super performeuse qui plaît aux hommes, tirer la langue, montrer ses seins en public ne fait pas d’une femme une traînée, une idiote ou une victime. Mais ça n’en fait pas non plus une féministe. En mettant au même niveau le combat pour l’égalité et le droit à disposer librement de son corps, ces stars choquent plus qu’elles ne fédèrent. Pourtant, tout ça est très travaillé. Il ne faut pas oublier que derrière chaque déclaration d’une mégastar, il y a une armada de pros de la communication. Avant, on parlait de “ trash “ ou de “ pas trash “. Comme pour Madonna qui était “juste“ considérée comme provocatrice et libérée. Mais ça ne suffit plus. Pour le moment, les sujets qui font réagir, et donc vendre, sont l’obésité et le féminisme. Ça se ressent concrètement dans les choix stratégiques des artistes. Des exemples ? Quand Lily Allen sort son “Hard Out Here“, elle ne se contente pas d’une chanson et d’un clip qui sonnent bien. Elle en profite pour dénoncer le sexisme dans le milieu musical et lance une polémique. Quand Miley fait une performance dans une émission télé, on en parle pendant quelques jours. Si elle justifie son geste par un engagement – le féminisme, en l’occurrence –, les “pour“ et les “contre“ s’en mêlent et on en parle pendant des semaines. C’est tout bénéf’. »

* Qui souhaite conserver l’anonymat.

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Le cas Miley

« J’ai l’impression d’être l’une des plus grandes féministes dans le monde parce que je clame aux femmes qu’elles ne doivent avoir peur de rien. Les femmes sont belles », déclarait la jeune pop star suite à son mémorable et très gênant twerk. Bosseuse acharnée de l’entertainment poussif, elle est alors considérée comme l’une des pires incarnations de la vulgarité. Mais elle persiste et signe, notamment à travers les paroles de ses chansons : « On peut baiser qui on veut », « N’oubliez pas que seul Dieu peut nous juger »

Pour les féministes les plus radicales et old school, c’est une récupération marketing insupportable. Pour les plus modérées et celles qui se réjouissent de compter de grands noms dans leurs rangs, c’est un bon exemple à suivre pour permettre au plus grand nombre d’aborder les questions d’égalité. Et si les associations analysaient ces méthodes et adaptaient leurs discours, histoire de convaincre d’autres que les déjà convaincu(e)s … ou pas ?

L’avis de la pro

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Viviane Teitelbaum, présidente du Lobby européen des femmes.

« Si l’on veut faire évoluer les mentalités il faut pouvoir sortir des milieux intellectuels, associatifs et politiques.  Les vedettes, les pop stars, ces “nouvelles icônes”, touchent une population bien plus importante avec un message simple, de manière virale et conviviale. C’est positif. Une photo sur Instagram vaut un long discours ! Il y a forcément plus de femmes et d’hommes qui écoutent Beyoncé que de personnes qui viennent aux conférences ou réunions que nous organisons. Si l’on veut faire avancer la cause féministe, il faut que les jeunes se l’approprient. Que cela devienne mode ou tendance d’être féministe. Que le mot “féminisme” soit connoté positivement.

Il y a différentes manières de dire “je suis féministe” et celle de Beyoncé en est une.Être féministe au XXIe siècle, c’est simple, c’est  inventer de nouvelles réponses à de nouveaux enjeux, relever les défis de l’égalité tout en s’autorisant à se vivre comme on le souhaite, sans moule ou modèle préétabli sur son image ou son rôle. Autoriser chacun et chacune à faire avancer cette cause à sa manière, c’est aussi cela, valider les différences. Le féminisme, c’est refuser que les femmes restent une minorité politique alors qu’elles représentent plus de la moitié de la population.

C’est  mettre le sexisme hors d’état de nuire au quotidien. Pourquoi les pop stars ne pourraient-ils ou elles pas contribuer à l’amélioration du rôle des femmes dans la société, à l’extension de leurs droits, et ainsi aider à lutter contre les discriminations dont elles sont victimes au quotidien ? Ce nouveau visage du féminisme 4.0 signe sans nul doute la fin d’une époque où la femme libérée singeait l’homme. »

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Le cas Barbie 

Pour ce qui est de la carrière et de l’explosion du plafond de verre, on peut désormais compter sur cette figure pop inattendue.

Depuis 1959, on l’a connue housewife, gymnaste ou instit’. Elle devient enfin chef de sa propre boîte, soutenue par des ambassadrices de choix : de vraies femmes, fondatrices de sociétés américaines (dont Reshma Saujani, CEO de Girls Who Code, une initiative pour développer la place des femmes dans le secteur des nouvelles technologies). « Barbie a toujours voulu encourager les petites filles à accomplir leurs rêves. Or cette année, les femmes les plus influentes du monde ont fait la couverture du Times, prouvant qu’elles sont capables de changer le monde », déclare Mattel. Dans le package : tailleur rose sexy, stilettos, it-bag, smartphone, tablette, profil LinkedIn. 

L’entrepreunariat au féminin, c’est vraiment ça ? Aux States, les observateurs s’insurgent et rappellent que le tailleur moulant et le lipstick fuchsia ne sont pas indispensables pour obtenir des financements auprès d’éventuels investisseurs. La réponse de Michelle Chidoni, porte-parole du fabriquant : « Nous essayons toujours d’inscrire Barbie dans l’époque. Les femmes entrepreneurs sont plus nombreuses aujourd’hui. C’est une bonne manière d’encourager les filles à s’intéresser à ce métier. » Ricanements dans la salle. Sauf que depuis 2010, la marque fait vraiment de gros efforts, à travers sa ligne « I Can Be » (Barbie présidente, Barbie astronaute…) pour lutter contre les clichés qu’elle a elle-même contribué à pérenniser. 

Puisqu’il n’est pas imaginable d’interdire à tous les enfants de jouer avec ces poupées, autant se réjouir d’une évolution, même un chouïa déguisée, de l’image qu’elles véhiculent. 

Entre l’image éculée de la frustrée poilue qui hait les hommes et la figure de la nympho qui préfère la nudité au débat, il reste à signer l’armistice. Le féminisme en carton n’a pas tout bon, le féminisme radical et excluant non plus. Et si on composait un bon juste milieu plein de lucidité ?

L’avis de la pro

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Joëlle Lockman, chargée de mission pour Decider’s, cabinet de conseil stratégique en entreprise, très engagé dans l’entrepreneuriat au féminin
(www.deciders.eu). 

« C’est dès le plus jeune âge que les stéréotypes se forment et créent des obstacles. Une Barbie chef d’entreprise, c’est un bon début pour faire entrer les possibles dans l’imaginaire des petites filles. Lancer sa boîte, gérer une entreprise, peu de femmes le font, même si elles en ont la capacité. Les freins sont aussi psychologiques, il faut oser se faire confiance ! Alors, en rêver dès le plus jeune âge, c’est un excellent début ! Le tailleur rose ? J’adore l’idée. Même si ça ne donne rien de chic en vrai. »

Le féminisme 4.0

Outre-Atlantique, on les appelle les « Next Wave Feminists » ou « Digifeminist ». Des filles nées avec un clavier entre les mains, ultra-informées sur les questions de genre, très engagées virtuellement, artistiquement, et disposant d’un esprit critique acéré. Des filles capables de tenir tête, sur les forums internet comme dans la vie, à tous les rétrogrades, arguments massues à l’appui. Des filles souvent très à l’aise dans leur corps et dans leur nudité, qui combattent pour les droits des femmes, et rejettent d’un même cri la transphobie et l’homophobie. Comme Arvida Byström, photographe suédoise en vogue, qui résume ce courant : « Être féministe aujourd’hui ne veut pas dire se caler sur les notions de 1968, mais détecter les nouveaux tabous et zones d’exclusion. »
L’avenir, c’est ça !

À voir, le Tumblr arvidabystrom.tumblr.com