Dans le cadre d'une collaboration exceptionnelle, l'artiste plasticienne japonaise Yayoi Kusama, impératrice de l'art infini, de marque son empreinte unique l'univers de Louis Vuitton. Il s'agit d'un pas de deux vertigineux et pop en deux actes*, qui réaffirme avec force la relation entre mode et art.
Yayoi Kusama a reçu carte blanche pour insuffler son génie à tous les produits de la marque
Yayoi Kusama, 93 ans, nâa pas usurpeÌ son statut dâartiste culte. Son look enfantin et iconique leÌgendaire perruque rouge et robes choisies avec soin pour refleÌter ses creÌations , semblant tout droit surgi des pages dâun conte de feÌes hallucinogeÌne, lui vaut dâeÌtre idolaÌtreÌe autant que respecteÌe pour son travail. Ce dernier fait en effet reÌgulieÌrement lâobjet dâexpositions dans les plus prestigieux museÌes du monde entier. Yayoi Kusama est connue pour ses installations truffeÌes de pois, ses ondulations organiques et ses miroirs reÌpeÌteÌs aÌ lâinfini entraiÌnant les spectateurs dans un voyage vertigineux. Dernier fait dâarmes de la bien nommeÌe Princesse aux petits pois ? Une collaboration XXL avec la marque Louis Vuitton. Tout a commenceÌ par une malle que lâartiste a deÌcoreÌe de ses embleÌmatiques pois, quâelle a ensuite preÌsenteÌe au malletier dans le cadre de leur premieÌre collaboration. CâeÌtait en 2012. VeÌritable chef-dâĆuvre, la proposition de lâartiste japonaise a susciteÌ chez Vuitton le deÌsir de repousser encore plus loin les limites de lâexpertise artisanale de la maison. LâideÌe est neÌe de travailler main dans la main avec la creÌatrice, lui laissant cette fois carte blanche pour quâelle puisse insuffler son geÌnie aÌ tous les produits de la marque : sacs, mode feÌminine et masculine, chaussures, lunettes de soleil, bijoux et meÌme parfums, dont certains se nichent dans une mini-malle qui semble directement inspireÌe de celle imagineÌe par la creÌatrice.
Cette collaboration exubeÌrante et deÌcaleÌe se deÌclinera en deux actes, dâabord deÌbut janvier, puis le 31 mars, dans des environnements immersifs creÌeÌs par lâartiste elle-meÌme aÌ lâoccasion dâune mise en abyme. La collection reprend la quasi-totaliteÌ des symboles chers aÌ Yayoi Kusama, y compris ses pois peints, ses boules miroitantes, ses fleurs psycheÌdeÌliques et ses ReÌseaux dâinfini, au cĆur dâune reÌtrospective preÌsenteÌe sous le prisme de la mode qui voit les pois occuper fieÌrement le devant de la sceÌne.
Pour comprendre lâobsession de lâartiste pour ces eÌleÌments visuels, il faut remonter aÌ son enfance, au cours de laquelle elle a eÌteÌ confronteÌe pour la premieÌre fois au monde de la mode. NeÌe en 1929 dans un Japon treÌs traditionaliste, Yayoi Kusama est hanteÌe deÌs son plus jeune aÌge par des hallucinations. AÌ dix ans, apreÌs avoir aperçu un motif de fleurs rouges sur une nappe, celui-ci sâest instantaneÌment graveÌ sur sa reÌtine, apparaissant ensuite partout ouÌ son regard se posait dâabord sur le plafond, puis sur les murs et le sol, et finalement sur son propre corps. Les fleurs rouges ont exploseÌ pour donner naissance aÌ des gouttes, devenues aÌ leur tour des pois. Ceux-laÌ meÌmes qui constellent maintenant ses creÌations, ses sculptures molles, ses peintures et les murs de ses installations, au point dâengloutir le spectateur dans la reÌpeÌtition infinie du meÌme motif. Une façon pour lâartiste de reprendre possession dâun monde quâelle ne maiÌtrise pas. Lâart sâaffirme alors comme seul moyen viable de gueÌrir ses blessures mentales. AÌ 28 ans, Yayoi Kusama part tenter sa chance aux EÌtats-Unis. Une fois installeÌe aÌ New York, elle multiplie les performances sauvages, eÌrigeÌes au rang dâaudacieux bruÌlots sociaux. Un happening deÌfraie tout speÌcialement la chronique, lorsque des danseurs nus aux corps peinturlureÌs de pois descendent dans la rue en brandissant des pancartes pour exprimer son opposition aÌ la guerre et deÌfendre la libeÌration sexuelle. Câest pendant son seÌjour aÌ Manhattan quâelle deÌcide pour la premieÌre fois dâutiliser les veÌtements pour exprimer son art, elle qui confectionnait ses propres tenues depuis lâadolescence. Elle creÌe sa propre marque eÌponyme, Kusama Fashion, annonçant son lancement par un communiqueÌ de presse provocateur : « Pourquoi ressembler aux autres ? DeÌfiez lâordre eÌta- bli ! Vous nâavez donc pas de personnaliteÌ ? Exprimez-la ! »
« AÌ lâeÌpoque, la mode et lâart eÌtaient deux spheÌres totalement distinctes, mais je me suis toujours moqueÌe de cette dichotomie », confiera-t-elle plus tard. « La mode me permettait dâexplorer de nouveaux univers. » Sa collection inaugurale est un feu dâartifice de pantalons aÌ pois et robes psycheÌdeÌliques quâelle porte elle-meÌme lors de ses performances iconoclastes. AÌ pied dâĆuvre dans son loft de Greenwich, elle dessine, coupe, coud et assemble, entoureÌe de professionnels de lâindustrie qui lâaident aÌ commercialiser plusieurs collections ouÌ les textiles sont autant de toiles donnant corps aÌ son Manifeste de lâobliteÌration de 1960, dans lequel elle deÌclarait : « Ma vie nâest quâun point, perdu parmi des milliers dâautres. » Petit aÌ petit, son style gagne en audace. Elle se met aÌ concevoir des veÌtements aÌ partir de mateÌriaux trans- parents ou pourvus de trous strateÌgiquement placeÌs laissant entrevoir les seins ,organes geÌnitaux ou fesses de la personne qui les porte. Lâonde de choc susciteÌe par son Ćuvre se reÌpand dans lâAmeÌrique puritaine. Pourtant, men- talement eÌpuiseÌe par ses obsessions, lâartiste finit par rentrer au Japon en 1973, et se fait admettre dans un hoÌpital psychiatrique quatre ans plus tard. Câest laÌ quâelle a trouveÌ le lieu suÌr dont elle avait besoin pour continuer aÌ travailler freÌneÌtiquement chaque jour depuis son atelier situeÌ aÌ quelques kilomeÌtres de lâinstitution. Aujourdâhui, elle continue aÌ croire au pouvoir symbolique de lâart, utilisant la reÌpeÌtition infinie des motifs comme vecteur dâharmonie et de paix.
Son deÌsir de diffuser son message aÌ grande eÌchelle demeure plus solide que jamais. AÌ propos de sa collaboration avec Louis Vuitton, elle a deÌclareÌ : « Jây vois une opportuniteÌ de partager ma penseÌe et mon estheÌtique avec le plus grand nombre. » Pour garantir le succeÌs de ce partenariat, Louis Vuitton a travailleÌ eÌtroitement avec lâentourage de lâartiste, faisant valider les desiderata par Yayoi Kusama. Il sâagissait de deÌterminer les teintes parfaites, exactement les meÌmes que celles utiliseÌes par la plasticienne elle-meÌme parfois, pas moins de dix tentatives ont eÌteÌ neÌcessaires pour reproduire le bleu Kusama ! Sans parler des pois, qui devaient eÌtre placeÌs avec une preÌcision chirurgicale une minutie qui ne diffeÌre en rien de celle dont fait preuve la marque pour disposer ses monogrammes. Reproduire la texture et la brillance des peintures aÌ pois de lâartiste sur les sacs et les pochettes repreÌsentait pour la marque un deÌfi de taille. Tout comme le sertissage aÌ la main de chacune des demi-spheÌres qui ornent les sacs Capucine et Cannes, ainsi que les blousons de motard et les robes meÌtalliques de la gamme futuriste Metal dots. Une gamme qui rappelle lâune des actions les plus tonitruantes de lâartiste. En 1966, en reÌponse aÌ sa non-invitation aÌ la Biennale de Venise, elle a deÌverseÌ un millier de boules miroitantes dans les canaux de la SeÌreÌnissime, baptisant son Ćuvre « Le Jardin de Narcisse ». Yayoi Kusama a meÌme commenceÌ aÌ vendre les boules 2 dollars pieÌce aux passants, mais la police a rapidement mis un terme aÌ ce spectacle ! Son audace, cependant, a payeÌ : 27 ans plus tard, apreÌs avoir rencontreÌ un eÌnorme succeÌs public aÌ la fin des anneÌes 80, elle a repreÌsenteÌ son pays aÌ lâexposition la plus prestigieuse du monde de lâart, devenant du meÌme coup la toute premieÌre femme aÌ exposer en solo dans le pavillon du Japon. Aujourdâhui, lâart et la mode font plus que jamais bon meÌnage. Ce mariage dâamour et de raison nâa cesseÌ de se consolider depuis lâaube du nouveau milleÌnaire. Mais si on remonte aux premiers coups de geÌnie de Stephan Sprouse, Murakami et Richard Prince, tous inviteÌs par Marc Jacobs aÌ revisiter le monogramme, les liens entre les artistes et la planeÌte mode ne datent pas dâhier. Chez Vuitton, les collaborations artistiques ont deÌbuteÌ il y a preÌs dâun sieÌcle lorsque lâestheÌte Gaston-Louis Vuitton, petit-fils du fondateur, a commenceÌ aÌ commander des Ćuvres destineÌes aÌ deÌcorer les boutiques Louis Vuitton. Mais le veÌritable preÌcurseur en la matieÌre nâest autre que le couturier Paul Poiret, quelques anneÌes auparavant. Picasso a meÌme inviteÌ en 1916 lâeÌcrivaine et collectionneuse Gertrude Stein aÌ le rejoindre dans le show-room du maiÌtre couturier. CâeÌtait une adresse bien connue des stylistes de lâeÌpoque, qui regorgeait de creÌations avant-gardistes. Paul Poiret avait pour ambition de jeter des ponts entre le monde de lâart et celui de la mode. Il compte parmi les tout premiers couturiers aÌ collaborer avec des artistes comme Robert Delaunay, AndreÌ Derain, Brancusi, Picasso et Raoul Dufy. Sa jeune admiratrice, Elsa Schiaparelli, a quant aÌ elle conçu des veÌtements pour ses amis surreÌalistes, et notamment pour les artistes comme Dali, avec qui elle a travailleÌ pour creÌer le chapeau-chaussure et la cultissime robe homard. Ses creÌations ont eÌteÌ encenseÌes par la presse de lâeÌpoque et en 1932, le « New Yorker » nâheÌsita pas aÌ affirmer quâ« une robe Schiaparelli est une veÌritable peinture moderne ».
Quelques anneÌes plus tard, le fervent amateur dâart et collectionneur Yves Saint Laurent a commenceÌ aÌ sâinspirer de tableaux embleÌmatiques, on pense aÌ sa robe Mondrian de 1965 qui a contribueÌ aÌ propulser lâartiste neÌerlandais sur la sceÌne mondiale, sa blouse Romane, une interpreÌtation de la toile eÌponyme de Henri Matisse, et ses eÌblouissantes vestes brodeÌes par la Maison Lesage dans les anneÌes 80, quâil a orneÌes de sa propre version des Tourne- sols et Iris de Van Gogh. AÌ la meÌme eÌpoque, Jean-Charles de Castelbajac a inviteÌ ses amis artistes HerveÌ Di Rosa, GeÌrard Garouste, Jean-Charles Blais et Ben aÌ peindre directement sur des tuniques blanches, creÌant ainsi un art preÌt-aÌ-porter. Excellente nouvelle pour toutes et tous : la nouvelle collabora- tion entre Yayoi Kusama et Louis Vuitton inaugure un nouveau chapitre de ce pas de deux creÌatif et vertigineux.
*Lâacte 1 a eÌteÌ deÌvoileÌ le 1er janvier 2023 en Chine et au Japon, puis dans le monde entier le 6 janvier. Lâacte 2 sera deÌvoileÌ le 31 mars.
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