Qui Ă©tait Louis Vuitton, l’homme tenace et visionnaire ?

Mis Ă  jour le 18 juillet 2022 par Elisabeth Clauss Photos: Olivier Hadlee
Qui Ă©tait Louis Vuitton, l’homme tenace et visionnaire ?

De l’iconique Maison tout le monde connaĂźt le Monogram, mais rarement les origines. Les sacs et la bagagerie lĂ©gendaires sont nĂ©s de l’obstination et de la rĂ©silience d’un artisan visionnaire, dont la griffe influence le luxe depuis le Second Empire.  

Dans son ouvrage « Louis Vuitton, l’audacieux », la romanciĂšre Caroline Bongrand revient sur le parcours de l’homme qui a prĂ©cĂ©dĂ© le mythe du voyage. En 1835, Louis est ĂągĂ© d’à peine 14 ans lorsqu’il quitte le moulin de son pĂšre, en sabots et les poches vides, pour Ă©chapper Ă  sa marĂątre. Petit Poucet dĂ©terminĂ©, il a survĂ©cu en se nourrissant d’escargots, de baies et de noix, crĂ©ant son propre chemin. Comme dans les contes. Par la suite, les fĂ©es se sont d’ailleurs penchĂ©es sur les malles qui ont bercĂ© son succĂšs. En patois jurassien, Vuitton signifie « tĂȘte dure ». Il avait aussi les pieds rĂ©sistants, puisqu’il a mis deux ans Ă  marcher sur Paris. L’adolescent particuliĂšrement pugnace y a trouvĂ© un apprentissage professionnel chez Monsieur MarĂ©chal, rĂ©putĂ© layetier-coffretier-emballeur (le layetier fabriquait coffres et caisses en bois servant Ă  emballer et transporter les effets des voyageurs et voyageuses nanti·e·s) installĂ© sur le faubourg Saint-HonorĂ©. Rapidement, il s’est dĂ©marquĂ©. PassionnĂ© d’innovation, il fonde sa premiĂšre boutique 4 rue Neuve-des-Capucines, en 1854. Coqueluche et ami sincĂšre de l’impĂ©ratrice EugĂ©nie, il n’a eu de cesse de crĂ©er des bagages adaptĂ©s aux dĂ©sirs les plus extravagants et aux explorations gĂ©ographiques de l’époque, Ă©crivant sa vie comme une Ă©popĂ©e moderne. Depuis bientĂŽt 170 ans, la maison fondĂ©e par Louis Vuitton a Ă©tendu sa maĂźtrise du luxe au prĂȘt-Ă -porter, Ă  la haute joaillerie et Ă  la parfumerie, faisant voyager son savoir-faire sur tous les continents. Caroline Bongrand a remontĂ© les chapitres de cette fabuleuse saga, jusqu’au petit moulin Ă  eau d’Anchay. 

Il Ă©tait une fois, un enfant prodigieusement habile de ses mains

Un siĂšcle et demi les sĂ©pare, mais leurs histoires se sont liĂ©es autour de la rĂ©silience de l’enfance. Il y a huit ans, un ami qui travaillait chez Louis Vuitton a racontĂ© Ă  Caroline Bongrand les premiĂšres annĂ©es poignantes de ce petit garçon, qui rassemblaient tous les ressorts des contes classiques. « Quand on pense Ă  Louis Vuitton, on n’imagine pas que son destin a commencĂ© comme un rĂ©cit initiatique, le parcours d’un enfant qui a non seulement survĂ©cu dans des conditions extrĂȘmement difficiles, mais qui est Ă  l’origine de nombreuses innovations, et qui a fondĂ© une dynastie dans le Second Empire naissant. À sa maniĂšre, il a contribuĂ© Ă  faire l’époque. » Louis comprenait, et comprenait vite. « Il a eu l’intuition de s’entourer des bonnes personnes. » L’auteure cite Louis Pasteur : « Le hasard ne favorise que les esprits prĂ©parĂ©s. » Cet enfant, alors illettrĂ© comme c’était souvent le cas Ă  l’époque (il s’instruira plus tard), a rĂ©sistĂ© dans la forĂȘt deux hivers et deux Ă©tĂ©s, puis Ă  Paris, qui Ă©tait loin de la ville qu’on connaĂźt aujourd’hui. Pour recueillir l’importante somme de documentation nĂ©cessaire Ă  l’écriture de ce roman biographique, Caroline Bongrand a rassemblĂ© des archives d’époque, nombreuses Ă  partir de 1870. Pour la pĂ©riode prĂ©cĂ©dant la guerre franco-prussienne, il lui a fallu explorer les tĂ©moignages laissĂ©s par les enfants et petits-enfants, et effectuer des recherches approfondies sur le Jura. « J’ai lu des dizaines de livres sur les conditions de vie des gens de l’époque. C’étaient des existences dures, consacrĂ©es Ă  gĂ©rer le quotidien avec le strict minimum, et globalement trĂšs peu Ă  manger. J’ai Ă©tudiĂ© la maniĂšre dont on vivait dans les maisons, et j’ai contactĂ© le maire actuel d’Anchay, qui m’a conseillĂ© de me procurer les livres de Colette Merlin, auteure spĂ©cialiste de cette pĂ©riode. » Une enquĂȘte minutieuse, qui l’a mĂȘme amenĂ©e Ă  acquĂ©rir des notions de menuiserie... 

« Petit poucet déterminé, il a survécu en se nourrissant d'escargots, de baies et de noix, créant son propose chemin »

Une nouvelle histoire de famille 

« Puisque sa marĂątre le maltraitait et que son pĂšre laissait faire, Louis rĂȘvait de crĂ©er sa propre famille, aimante, solide. » AprĂšs s’ĂȘtre sorti de sa condition, il n’a plus jamais revu son pĂšre, mais a retrouvĂ© sa fratrie vers ses 30 ans, avec beaucoup d’émotion. Ses frĂšres et sƓurs savaient qu’il vivait Ă  Paris, et connaissaient l’adresse de son lieu de travail, qu’il leur avait communiquĂ© par lettre. Ils l’ont surpris un jour, se prĂ©sentant devant la vitrine de l’atelier. Tout le reste de sa vie, Louis restera proche d’eux. « C’était un homme trĂšs fidĂšle, loyal, mais il ne revenait jamais en arriĂšre. » Il s’est mariĂ© relativement tard pour l’époque, vers le milieu de la trentaine. Selon l’écrivaine qui a menĂ© un rĂ©el travail d’historienne, « Louis travaillait beaucoup, il Ă©tait sans doute de ce que l’on appelle aujourd’hui les personnalitĂ©s Ă  haut potentiel. Il Ă©tait timide, et pas trĂšs Ă  l’aise dans les relations de sĂ©duction ». Un jour, Monsieur MarĂ©chal a Ă©voquĂ© la fille cĂ©libataire de l’un de ses fournisseurs. Rencontre, coup de foudre. Émilie Ă©tait plus jeune que Louis, mais elle avait toujours baignĂ© dans l’activitĂ© de son pĂšre : trĂšs au fait de la maniĂšre dont il convenait de mener les affaires, elle a activement contribuĂ© au succĂšs de son mari. 

Les rencontres décisives 

EugĂ©nie de Montijo, l’autre femme importante depuis l’adolescence, deviendra impĂ©ratrice. Elle avait 16 ans lorsqu’ils se sont rencontrĂ©s. Toute jeune cliente parisienne issue de l’aristocratie espagnole, elle faisait emballer ses affaires et ses toilettes par Monsieur MarĂ©chal. Louis se dĂ©plaçait chez elle pour chercher ses bagages. Ils sont rapidement devenus amis et confidents. Lorsqu’elle a Ă©pousĂ© NapolĂ©on III en 1853, non seulement elle a fait de Louis son emballeur officiel, mais elle l’a aidĂ© Ă  crĂ©er sa maison. EncouragĂ© par ces deux femmes influentes et bienveillantes qui l’enjoignaient Ă  se mettre Ă  son compte, il a enfin fondĂ© la cĂ©lĂšbre enseigne Ă  son nom en 1854. Louis est restĂ© liĂ© Ă  MarĂ©chal, qui avait fait figure pendant 18 ans de mentor et de pĂšre. Pourtant, au dĂ©but, il n’avait mĂȘme pas voulu l’embaucher. Devant l’insis- tance du jeune homme, il avait acceptĂ© de le prendre Ă  l’essai. Louis savait tout faire : pendant les deux ans oĂč il avait dĂ» survivre, il avait Ă©tĂ© recueilli entre autres par un vieux menuisier qui lui avait tout appris de son art. AprĂšs cet apprentissage, il Ă©tait rĂ©ellement capable de tout fabriquer, connaissait chaque espĂšce de bois. Il maĂźtrisait les gestes, les outils et les matĂ©riaux. Monsieur MarĂ©chal a vu briller l’or dans ses mains, et l’a pris sous son aile.

Un homme intÚgre et visionnaire 

Selon Caroline Bongrand, « Louis est toujours restĂ© trĂšs sensible Ă  la cause des ouvriers. Il avait l’humilitĂ© et la modestie chevillĂ©es au corps. C’était un homme droit Ă  qui rien ni personne n’a tournĂ© la tĂȘte. Ni la vie de palais ni la haute sociĂ©tĂ©. Toutes les personnalitĂ©s de l’époque, musicien·ne·s, artistes, explorateurs et exploratrices se fournissaient chez lui. En tournĂ©e, Sarah Bernhardt emportait 200 de ses malles avec elle. En 1860, il Ă©tait la coqueluche de Paris, mais il est restĂ© un homme de famille, celle qu’il avait fondĂ©e, et celle de ses artisans. D’ailleurs, sa maison privĂ©e Ă©tait intĂ©grĂ©e aux ateliers. C’est ce qu’on appelle l’esprit de corps. C’était un patron visionnaire, avec le souci du bien-ĂȘtre et de la sĂ©curitĂ© de ses ouvriers. Il avait installĂ© de grandes fenĂȘtres dans les ateliers pour que les jour- nĂ©es de travail soient baignĂ©es de clartĂ©. Je suis persuadĂ©e que si la maison a perdurĂ©, c’est parce que son socle de valeurs Ă©tait extrĂȘmement solide. Elles n’ont pas changĂ©, fondĂ©es sur une grande crĂ©ativitĂ©, sur la volontĂ© de ne jamais se reposer sur ses lauriers et d’innover dans un esprit pionnier. C’est une maison audacieuse. Dans le monde du luxe, Louis Vuitton est sans doute celle qui ose plus, et Ă  un tel niveau ». Caroline souligne aussi l’esprit international cultivĂ© dĂšs les origines de la maison : « Louis regardait vers l’Angleterre, son fils vers les États-Unis. » TrĂšs tĂŽt, les ateliers ont travaillĂ© pour une clientĂšle cosmopolite de voyageurs et voyageuses, exactement au moment du dĂ©veloppement des transports transcontinentaux, dont le chemin de fer et les balbutiements de l’automobile. « Puisque Louis connaissait trĂšs bien les propriĂ©tĂ©s de tous les types de bois, il calibrait les matĂ©riaux et la conception de ses malles en fonction de leurs destinations et des climats qu’elles allaient traverser. Il rĂ©flĂ©chissait Ă  l’étanchĂ©itĂ©, Ă  l’isolation, Ă  la conservation parfaite de ce qui Ă©tait transportĂ©, en conditions extrĂȘmes parfois. L’excellence et l’ouverture sur le monde Ă©taient dans les fondations de la marque. Le succĂšs de la maison Louis Vuitton aujourd’hui, sa force, c’est la cohĂ©rence entre la vision de son fondateur et le dĂ©veloppement de ses valeurs. » Un savoir-faire et une crĂ©ativitĂ© qui ont traversĂ© l’Histoire pour Ă©crire celle de cette maison fondĂ©e par un adolescent qui rĂȘvait loin, devenue l’un des piliers du luxe contemporain.

« C'est une maison audacieuse. Dans le monde du luxe, Louis Vuitton est sans doute celle qui ose le plus, et à un tel niveau »

* Éditions Gallimard, collection « Hors-sĂ©rie LittĂ©rature ». Disponible dans les boutiques Louis Vuitton.

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