Pourquoi le slow travel va changer votre façon de voyager?

Mis à jour le 5 juin 2019 par Laurence Donis
Pourquoi le slow travel va changer votre façon de voyager?

Chez les baroudeurs, les adeptes du « slow travel » se multiplient. Leur mantra ? Profiter de la traversée plutôt que d’enchaîner les arrivées. Une véritable ode à la lenteur, une philosophie de vie à adopter d'urgence. 

Et toi, t’as fait combien de pays ? » La question qui tue. Entre les voyageurs, et en particulier ceux qui ont effectué un tour du monde, une petite compet’ s’installe parfois. La tendance ? Dresser un bilan de son périple sous forme de chiffres. Les records explosent : 57 villes visitées, 19 avions pris, 55.000 kilomètres parcourus, 117 logements réservés... À l’opposé, une petite bande de résistants ne voient pas l’expérience du même œil : ils sont adeptes du « slow travel ». On l’aura vite compris, il s’agit ici de voyager plus lentement, mais pas seulement. L’idée, c’est de s’imprégner d’un lieu et de ses habitants plutôt que de cocher un maximum de spots à voir sur une bucket list. « La priorité est mise sur les rencontres et les expériences. Notre but, c’est d’en faire moins, mais mieux. On ne veut pas consommer une série de pays à un rythme effréné, simplement pour poster des photos sur Insta. D’ailleurs, la destination nous importe peu », explique Maxime du blog Détour local. Depuis trois ans, il voyage en van avec sa copine, Alizée, et leur petite fille. Pour eux, le slow travel est un état d’esprit. Une occasion de prendre le temps de se perdre, de ne rien programmer pour laisser place à la spontanéité. 

« Cela permet de retrouver du sens au voyage, de ramener la valeur humaine au centre. Les paysages ont beau être magnifiques, si vous les enchaînez, vous finirez par ne plus y voir d’intérêt », ajoute Sonia. Depuis trois ans, elle vit sur son voilier avec son mari et a créé le site No-Mad Life pour aider les « digital nomads » comme elle à se lancer. Mais le slow travel fait évidemment partie d’un mouvement plus global. On parle aussi de « slow living », de « slow food », de « slow fashion »... Certains considèrent d’ailleurs ce mode de voyage comme une mini-révolution personnelle. Une façon de protester contre la société de consommation et l’hyperperformance. Sans se la jouer bobo qui passe ses journées à allumer de l’encens, l’expérience permet véritablement de souffler et de se recentrer. « On est entré dans une ère de “rationalisation vacancière” : il faut tout réserver pour ne pas perdre de temps pendant ses congés, utiliser chaque minute à “profiter” un maximum du temps libre, qui en fait ne l’est plus. On voyage de plus en plus comme on bosse », analyse Franck Michel, auteur et anthropologue. « Plus la pression au boulot est forte (dépression, burn-out), plus la demande alternative s’impose. Les gens ressentent le besoin de faire une pause, de profiter de la nature, de privilégier la lenteur, le par- tage... Tout l’inverse du monde du travail, trop focalisé sur la rentabilité et l’efficacité. » 

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voyage van

WIN WIN BABY 

Pour les fanas de slow travel, la liste des avantages est longue. Votre périple sera forcément plus green par exemple. Le fait de bouger beaucoup moins souvent d’un endroit à l’autre réduit évidemment le bilan carbone... On pense modes de transport « lents » comme le vélo ou la marche à pied et on évite donc un maximum l’avion ou la voiture. Voyager à un rythme plus doux est aussi plus économique. On n’enchaîne pas les visites, les activités et les trajets qui coûtent cher. Ici, on privilégie les petites guest houses et on négocie le prix de la chambre vu qu’on y reste longtemps. « Quand je voyage, j’aime vivre
comme les locaux. Je pourrais me permettre un niveau de confort plus élevé mais je préfère dormir et manger dans des endroits modestes, prendre le bus plutôt que le taxi, même si c’est beaucoup moins pratique. Ça permet de ne pas se retrancher dans sa bulle, d’être plus accessible. Je n’ai pas envie de me retrouver derrière une vitre à regarder le spectacle, je veux en faire partie », raconte Laurent, grand voyageur et auteur du blog One chaï. 

Mais le grand intérêt du slow travel, c’est surtout qu’il favorise un séjour plus authentique, à la rencontre des locaux. Un parcours « hors des sentiers battus », même si l’expression est galvaudée aujourd’hui. À force de checker des listes sur Pinterest, du style « les cinq plus belles plages de Thaïlande » ou le « top 10 des meilleurs rooftops de New York », on finit par faire exactement le même tour que tout le monde et par s’approprier le voyage des autres. C’est humain, mais on oublie de se laisser surprendre. « Quand on part pendant un an, on se croit unique, on a l’impression de faire un truc exceptionnel. En fait, on se rend vite compte qu’on est nombreux à visiter exactement les mêmes pays, dans le même ordre, à dormir aux mêmes endroits, etc. Dans la première auberge de jeunesse qu’on a faite, on a rencontré trois couples qui effectuaient le même trajet que nous. Et par la suite, on est retombé par hasard sur eux à plusieurs reprises... », explique Nicolas. Auteur du blog À contre sens, il a créé le planificateur de voyage du même nom, ultra-pratique et bien connu dans le monde des baroudeurs. Ironique quand on sait qu’il ne prévoit pratiquement plus rien à l’avance lors de ses virées à l’étranger. 

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voyageurs

Ce que Nicolas raconte, beaucoup de voyageurs l’ont expérimenté. Si les guides existent depuis longtemps, les réseaux sociaux ont accentué le phénomène. C’est tentant de collectionner les images, de multiplier les destinations instagrammables et de partir une fois le cliché posté. Certaines agences organisent d'ailleurs des tours en fonction du potentiel photographique des lieux. Résultat ? Une concentration de touristes, un enfer pour les locaux et des sites fermés au public. Berlin ou Barcelone se sont insurgées contre le tourisme de masse, les loyers augmentent à cause des Airbnb et Maya Bay, la célèbre plage du film « The Beach », est privée d’accès tant que le corail ne se sera pas régénéré. Sylvie Brunel, géographe et auteure, parle même de « Disneylandisation du monde ». Traduisez : une partie de la planète est en train d’être transformée en parc d’attractions géant. Des enclaves balisées sont créées pour offrir aux visiteurs «l’aventure en toute sécurité, la nature authentique au plus près du parking ». Suivant la logique des parcs à thème, les lieux touristiques sont entourés de boutiques de souvenirs et d’hébergements standardisés qui accumulent les clichés. 

Si on n’échappe pas à son statut de touriste, et que chacun est libre de voyager comme il le veut, le slow travel présente tout de même une alternative. Ne pas être pressé par le temps permet de s’éloigner, d’explorer un lieu en profondeur et de saisir les opportunités. « On me demande parfois des conseils de destinations hors des sentiers battus, facilement accessibles et disposant d’hébergements confortables... Ça n’existe pas ! (rires) J’ai un souvenir incroyable des Moluques, un archipel en Indonésie. Ce sont des îles paradisiaques avec une mer turquoise, des poissons multicolores et des tortues qui viennent nager autour de toi. Mais la seule façon d’y aller, c’est de prendre un bateau qui fait le trajet une fois par semaine. Et il n’y a ni eau courante ni électricité », raconte Laurent. « Parfois, en prenant un verre au café du coin, j’en apprends beaucoup plus qu’avec des professionnels du tourisme. Avoir le temps me permet de suivre les conseils des locaux. Si j’avais un programme bien rythmé, j’irais me balader une heure par exemple, je ne pourrais pas faire un trek de trois jours dans la forêt pour accéder à un petit village... », ajoute Camille, la créatrice du blog de voyage L’Oiseau rose. 

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DO IT YOURSELF 

Le problème, c’est qu’entre la théorie et la réalité, il y a un monde. Si la plupart des baroudeurs comprennent l’intérêt de passer en mode « slow », le processus prend parfois du temps. On a envie de tout faire, de tout voir. Ce n’est pas un hasard si on parle du syndrome « Fomo » (Fear of missing out) chez les millenials : la peur, très humaine, de rater quelque chose. Et pourtant, le premier regret chez les personnes qui ont effectué un tour du monde est d’avoir visité trop de pays... Alors, comment s’y mettre ? Pour beaucoup de voyageurs adeptes du slow travel, il s’agit d’un blocage mental à dépasser. Et il suffit tout simplement d’essayer une première fois, comme on goûterait un nouveau plat. On réserve un Airbnb pendant une semaine par exemple, au lieu de changer de logement tous les trois jours. On peut aussi retourner dans un lieu que l’on avait aimé. Les principales « attractions » touristiques ont déjà été faites, on se sent alors plus libre de se poser, de prendre le temps d’arpenter la ville différemment. « Il n’y a pas de déclic. Ça se fait petit à petit lorsqu’on se rend compte que c’est fatigant et stressant d’être dans la planification. Pour essayer de ralentir, il faut se dire que, de toute façon, on ratera toujours quelque chose ! C’est important aussi de s’écouter, de choisir un pays parce qu’il nous fait vraiment envie et non parce que c’est cool », affirme Pierre, digital nomad et auteur du blog Un notre monde.

Et pour rencontrer des locaux ? Par définition, le slow travel facilite les échanges. Se poser à la terrasse d’un café invite à la discussion, plus que de courir partout, le nez dans son guide. Mais si le contact s’établit souvent naturellement, on peut aussi le provoquer gentiment. En se rendant dans des coins moins touristiques, en apprenant quelques mots de la langue du pays, en faisant du resto du coin sa cantine... Le message ? Vous n’êtes pas juste de passage. « Plus on va lentement, plus on a l’occasion de faire des rencontres. À pied ou à vélo, on est directement en contact avec les gens par exemple. Je suis plutôt de nature timide, mais cela ne m’a jamais empêché de nouer des liens. L’astuce, c’est d’avoir besoin des autres. C’est souvent lorsque je demande mon chemin ou de l’eau que le contact se crée. On me pose des questions sur mon voyage, on me propose aussi parfois de boire un verre ou de venir dormir à la maison », raconte Mathieu du blog Les voyages de Mat. Depuis 15 ans, il arpente la planète par intermittence et il a récemment traversé la France à pied pendant 18 mois, en ciblant les départements les moins peuplés. Il en a d'ailleurs tiré un livre, La diagonale du vide.

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Une série de plateformes facilitent aussi les rencontres. On connaissait déjà le couchsurfing (le fait de dormir gratuitement sur le canap’ d’un local) et le woofing (pour travailler dans une ferme bio en échange du gîte et du couvert). Workaway et HelpX sont également de plus en plus populaires. Le principe ? On paie 36 euros pour un an, ou 48 si on est un duo, et on a accès à une foule de projets de volontariat dans 180 pays. Les possibilités sont infinies : bosser dans un refuge pour chiens sur une petite île aux Philippines, donner un coup de main dans un ranch en Argentine, apprendre à faire du pecorino en Italie... L’idée, c’est de travailler cinq jours sur sept, généralement uniquement le matin ou l’après-midi, pour avoir le temps de visiter les environs. En échange, on est logé, parfois nourri, et il n’est pas rare que les hôtes nous emmènent dans leurs spots favoris. Un concept canon pour améliorer son espagnol par exemple, découvrir une région reculée, adopter le mode de vie local... Et voyager à tout petit prix. « Avant d’avoir notre van, on faisait beaucoup d’échanges de services avec Workaway. Aujourd’hui, chaque destination est liée à une histoire de famille pour nous », explique Maxime de Détour local. « On a vu des paysages extraordinaires, mais ce sont surtout les rencontres qu’on a faites et les expériences qu’on a vécues qui nous laissent des souvenirs mémorables. » 

Forcément, le slow travel est plus facile à mettre en pratique si on a décidé de prendre une année sabbatique. Ses deux semaines de congé en été, on a généralement envie de les rentabiliser... Mais même en ayant moins de temps, on peut aller plus doucement. Tous les adeptes de ce mode de voyage l’affir- ment : il s’agit surtout d’une philosophie. On peut très bien se poser dans un petit village en Toscane plutôt que de vouloir faire toute la région et enchaîner Florence, Sienne, Pise, Montepulciano, etc. Les bénéfices ? Des vacances vraiment reposantes, un esprit allégé et un sentiment de lâcher prise énorme. « Quand on voyage de façon plus rapide, on pense profiter un maximum, mais en fait, c’est souvent l’inverse qui se produit », affirme Pierre. « La planification empêche d’être dans le moment présent. Ici, on se laisse guider en fonction des opportunités qui se présentent et on se sent incroyablement libre... » Take it easy. Vous avez toute la vie.