Comment faire de ses échecs une réussite professionnelle ?

Mis à jour le 19 juin 2019 par Elisabeth Clauss
Comment faire de ses échecs une réussite professionnelle ?

A moins d’avoir la science infuse – et beaucoup de chance – on tâtonne pour apprendre. Echouer, ça arrive. Ce qui importe, ce n’est pas l’échec, c’est ce qu’on en fait.

Ça commence à l’école : du primaire à l’unif, les filles sont globalement plus studieuses que les garçons. Elles sont plus appliquées, font leurs devoirs, tirent la classe vers le haut. Elles obtiennent de meilleures notes, et sont moins dissipées. Pourtant plus tard, 95% des postes à hautes responsabilités sont occupés par des hommes. Que se passe-t-il entre le stade de « premières de la classe » et « CEO en costume trois pièces » ? La pression de la performance, et la capacité – ou non - à transformer un plantage en apprentissage. Les garçons, schématiquement moins perfectionnistes, savant qu’un travail « pas parfait mais presque », ça passe. Les filles ne rendent pas un devoir tant qu’elles ne le considèrent pas comme impeccable. Or, ironiquement formulé, la différence entre 91 % et 99 %, ça s’appelle avoir une vie.

L’échec qui fait « genre » dès l’école

En enquêtant sur la détermination d’un parcours professionnel pour le magazine The Atlantic, les journalistes américaines Katty Kay et Claire Shipman ont observé que ce qui freine les femmes pour accéder aux fonctions de management est moins un problème de compétences, que de confiance en elles. A l’âge adulte, le schéma scolaire se répète : un homme quasi au niveau foncera. Une femme qui n’est pas prête à 100% reculera. Gilly Weinstein est coach en développement professionnel. A cheval sur deux cultures, européenne et américaine, elle développe une perspective sociologique sur la façon d’aborder la notion de réussite, dès l’enfance : « la notion de succès à l’école est culturelle. En France ou en Belgique, on part de zéro sur une copie, et on accumule les points au fur et à mesure des bonnes réponses. Aux États-Unis, on part de 100, puis on enlève des points en fonction des erreurs. On donne d’emblée à l’enfant l’idée qu’il peut réussir. En Europe, l’échec, c’est de ne pas détenir la bonne réponse. La pression est énorme lors des examens de juin et de décembre, mais on oublie dans la bataille de définir le succès. C’est une acception binaire : soit on réussit, soit on se plante. Dans de nombreuses écoles, on ne mesure pas les apprentissages, mais seulement les résultats. »

Et la trame de l’échec peut vous poursuivre toute votre vie : « la façon dont chacun définit son propre succès est influencée par son expérience scolaire. Et peut vous desservir des années plus tard dans le milieu professionnel. »

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On ne se plante pas pareil des deux côtés de l’Atlantique

Ou plutôt, ça n’est pas perçu de la même façon. En France ou en Belgique par exemple, on évitera à tout prix de se retrouver sur le registre des faillites, quitte à déposer le bilan ou cesser son activité juste avant.

Pour Gilly Weinstein, « un échec outre-Atlantique, on peut en parler, ça n’est pas du tout un sujet de honte sociale. On ne devient pas un paria. C’est même considéré comme une opportunité d’apprentissage. Aux USA, on bascule parfois même dans l’autre extrême, « everybody is a winner »». Ce n’est peut-être pas l’exemple le plus populaire du moment, mais Donald Trump a fait plusieurs faillites, essuyé des scandales et des procès, et ça ne l’a pas empêché d’avancer dans sa carrière… On doit à Michael Jordan, le plus grand basketteur de tous les temps (à tous points de vue), l’une des plus célèbres citations à propos de la nécessité d’apprendre de ses inaccomplissements momentanés : « j’ai raté 9000 tirs dans ma carrière. J’ai perdu presque 300 matchs. 26 fois, on m’a fait confiance pour prendre le tir de la victoire et j’ai raté. J’ai échoué encore et encore et encore dans ma vie. Et c’est pourquoi j’ai réussi. »

Dans cette dynamique de « recommencer pour se muscler », le philosophe, écrivain et journaliste français Charles Pépin, diplômé de Sciences Po et d’HEC, s’est fait le chantre de « l’échec utile ». Dans son livre "Les vertus de l'échec", il rappelle que Steve Jobs, J.K. Rowling et même Charles De Gaulle, ont plus appris de leurs plantages que de leurs réussites. Pour lui, le souci vient du fait qu’un échec est souvent vécu comme une auto-condamnation, alors que ça n’est qu’une (indispensable) expérience.

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Le partage d’expériences, ça fait pousser les succès

Sana Afouaiz a fondé l’asbl Womenpreneur à Bruxelles en 2016, pour mettre en avant les talents féminins dans les domaines de la technologie et du business. En 2018, Womenpreneur a été nommé par la banque mondiale parmi les entreprises les plus inspirantes, pour son approche du genre dans le milieu professionnel. « En Belgique, seuls 33 % des entrepreneurs sont des femmes, et 8 % des fondatrices de strat-ups. En outre, quand elle lance des entreprises, c’est principalement dans les domaines sociaux. Or le futur, c’est la technologie. Notre structure vise à challenger les critères sociologiques actuels, pour accompagner les femmes, et les encourager à se lancer dans l’entreprenariat, au lieu de consacrer de longues années à des études académiques, au cours desquelles elles ne créeront pas leur propre entreprise. »

Sana Afouaiz nous apprend qu’au Moyen-Orient ou en Afrique du Nord, les femmes s’investissent plus dans les technologies et l’innovation : « là-bas, dans le domaine des dirigeants et fondateur de start-ups, 33 % sont des femmes. » Pour offrir un éclairage alternatif, Womenpreneur organise des « Fuckupreneurs Stories »  », au cours desquelles les entrepreneurs partagent leurs expériences d’échec, pour montrer que crée son entreprise, ça ne veut pas dire devenir millionnaire du jour au lendemain. « Il faut au moins cinq ans pour être rentable, et c’est important de le dire. Les femmes ont souvent peur de prendre des risques, il leur est difficile d’accepter l’échec. Il faut comprendre qu’il fait partie du processus de réussite. »

 

 

"Victoria", avec Virginie Efira et Vincent Lacoste

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Comment transformer un essai raté ?

« On doit identifier nos pensées saboteuses, du type « je suis nulle en maths », « je manque d’expertise en informatique » par ce que ces messages de sabotage finissent par devenir des croyances. Il faut les identifier, et les domestiquer ». Gilly Weinstein est formelle : un échec, ça ne se digère pas seul(e) : « il faut s’appuyer sur les gens qui nous aiment, faire appel à notre réseau, échanger avec un entourage bienveillant qui voit en nous des choses qu’on arrive plus à percevoir. Une coach, ou en tout cas, quelqu’un qui nous veut du bien. Il faut arriver à se pardonner, au lieu de se flageller. Prendre du recul, et se chouchouter. Il faut s’autoriser du temps pour soi, et ne pas se priver d’une promenade ou d’un massage, par pure culpabilité, en estimant qu’on ne le mérite pas.

Ensuite, apaisé(e), quand l’émotion sera retombée, on pourra se demander ce qu’on a fait de travers. » Et cueillir enfin les fruits de cet apprentissage, voire, avec une petite dose de résilience, la perception du cadeau qui réside dans cet échec : « qu’est-ce qu’on en retire, qu’est-ce qu’on a appris de soi qu’on ignorait avant ? » Pour cet exercice qui demande du courage de la lucidité, il est préférable de se faire accompagner, pour éviter l’écueil de l’auto-culpabilisation. On en revient au conditionnement scolaire : souvent, les femmes en particulier ont encore une institutrice dans la tête, qui les rabaisse. Et si on tombe un jour sur un patron qui réitère ce schéma, on s’enfonce encore plus dans la négation de soi.

Pour Gilly Weinstein, « l’échec est surtout une opportunité de se grandir, au lieu de se ratatiner. Soyez tendre avec vous-même, car tout arrive pour une raison ». Devenir capable d’accepter ses échecs comme des opportunités, c’est déjà un succès.

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A lire et à faire, pour se remettre en selle :

- L’Element, de Sir Ken Robinson (Ed. playBack)

-Les « fuck up nights » : elles existent dans le monde entier, et des éditions belges sont régulièrement organisées à Bruxelles. Des intervenant viennent témoigner et partager, en 7 minutes, quel était leur projet de départ, ce qui a raté, comment ça a affecté leur vie personnelle, ce qu’ils ont appris, et ce qu’ils feront différemment désormais. Quand l’expérience des uns aide à tisser le filet de sécurité des autres…