« Say Bonjour To The Lady » et Atlantique ta mère

Publié le 13 novembre 2018 par Elisabeth Clauss
« Say Bonjour To The Lady » et Atlantique ta mère

D'un bord à l'autre de l'océan, on ne gère pas le quotidien de la même façon. Féminité et éducation des minots, le mélange des cultures, ça s'étale dans une drôle de (dé)confiture.

Florence Mars, ex-vice-présidente de Bonpoint aux États-Unis, et Pauline Lévêque, journaliste, auteure et accessoirement épouse de Marc Lévy, brossent ensemble dans « Say Bonjour To The Lady » un croquignolet guide de savoir-vivre aux Amériques quand on vient d'Europe. Une précieux outil pour prendre du recul, illustré, et dessalé.

La courtoisie de base

Du « high five » au Président au déférent « Bonjour Madame la Concierge », la politesse varie d'un continent à l'autre, et même d'une hauteur de plafond, comme on a souvent pu l'observer avec les enfants des voisins qui adorent rejouer « Blair Witch Project » au dessus de votre tête jusqu'à minuit, même les jours d'école.

Au pays de la convivialité obligatoire

Déjà, on zappe la tatillonne question du voussoiement, puisque le « you » nivelle la communication de base. « L'autre » est toujours « Toi », même s'il est plusieurs.

De notre côté de la barrière culturelle

A priori, on vouvoie tous ceux qui sont plus vieux que nous (leur nombre décroît avec les années, vous avez remarqué?), ceux qu'on ne connaît pas (idem) et ceux qui signent notre fiche de paye. Au final, on ne tutoie plus que notre reflet dans le miroir, sauf en cas de personnalités multiples.

1/

 

A la mode de chez nous ou de chez eux

Les marmots comme tous les adultes sensés ont développé dès leur berceau brandé la conscience qu'on est ce qu'on porte (ne dites pas le contraire, ou changez de garde-robe, c'est que vous n'assumez pas).

Au pays de GAP et Disney

Partout dans notre Occident codifié, les humains âgés de moins de six-sept ans ne se rendent pas compte de la pression qui leur est épargnée chaque matin, avec leur #outfitoftheday plié sur la chaise de leur chambre par une mère attentive, control freak et paranoïaque. Car aux Etats-Unis, les enfants sont à jamais libérés-délivrés de toute notion de contrainte vestimentaire. Ribambelles de licornes-ballerines à la sortie des écoles et traders en Yeezy, les codes sont liés à leur idée de la liberté.

Au royaume du tailleur et d’Arte

Même avec une innocente marinière, on se sent déguisée. On se méfie des motifs bariolés (à juste titre), on tolère à peine les tee-shirts sérigraphiés de slogans féministes et/ou altermondialistes, chez Dior seulement. On essaye des pulls de couleurs devant le miroir, on finit en jean, en ballerine et en trench. En se jurant que demain, on osera la combi rayée.

2/

L’étiquette de l’assiette

Où qu'on soit né, la plus importante école de la vie, c'est le protocole de la gastronomie. Des goûters d'enfants – galettes de riz bio ou chips au barbercue – jusqu'aux dîners de boulot (autrement formulé : des Kinder à Tinder), poser ou ne pas poser les coudes sur la table, c'est une façon de mettre ou non les pieds dans le plat.

Au pays de la coleslaw

On mange ce qu'on veux, quand on peut (et réciproquement). Avec les doigts pour gagner du temps, assis en indien, pressé devant l'ordi ou en taï-chi à Central Park si on en a envie. Des aliments pré-découpés, pré-cuits et pré-emballés, appétissants même pour la plus radicale des intégristes du radis beurre bio avec encore un peu de terre dans les feuilles. C'est inavouable, mais c'est ainsi.

Dans les cuisine de Bruxelles ou de Paris

On dîne à table, télé éteinte, iPad déconnecté dans le tiroir. Entrée-plat-dessert, même s'ils ont été commandés, et les barquettes en plastique sont rincées et triées dans la poubelle bleue. La personne affectée à la préparation du repas a pris le temps d'éplucher deux-trois légumes, pendant que les enfants, qui n'ont pas voix au chapitre concernant le menu (sinon on ne mangerait que du taboulé de M&M's sauce Nutella) mettaient le couvert. Ce n'est plus un spaghettis-salade verte, c'est une réunion de famille avec effusions des retrouvailles après l'école ou le bureau. Et c'est aussi bien comme ça...

3/

Les caresses à l’égo

On sait l'importance de la valorisation des efforts de chacun à l'édification de l'intelligence collective. Mais d'un bord à l'autre de l'océan, on ne manifeste pas ses encouragements de la même façon. D'ailleurs c'est très bien de lire, mais n'avez-vous pas un dossier à boucler avant demain ?

Au pays de tous les possibles

Aux Amériques, faire faillite, c'est un plus dans le CV : ça veut dire qu'on est capable de se relever après un coup dur, et qu'on a appris de ses erreurs. En Europe, c'est le déshonneur marqué au fer rouge au regard des banques et des amis du Rotary. A New York, un gamin qui rentre avec un mauvais carnet de notes se fait féliciter de n'avoir pas fait encore pire, et après un bon hot-dog de saucisse orange carrée dans un pain industriel au parc, il est gentiment invité à faire un peu mieux la prochaine fois, si ça ne le perturbe pas trop.

Au royaume de la culpabilité laborieuse

Ce qui n'est pas parfait, est nul. A un élève de primaire qui ramène un 18 en géographie, on demande pourquoi il n'a pas eu 20, après tout, il y a un planisphère sculpté en fruits anciens accroché dans la cuisine. Alors que de plus en plus d'écoles adoptent les notions optimistes de « acquis / non-acquis / en cours d'acquisition » en lieu et place des bonnes vieilles notes qui vous positionnaient scolairement certes, mais semble-t-il pour beaucoup, humainement aussi, il va falloir se détendre du coup de règle sur les ongles, d'autant qu'ils seront désormais vernis couleur arc-en-ciel dès la maternelle, même et surtout, chez les garçons. Et ça aussi, c'est très bien comme ça...

4/

Du temps pour soi

Tout dépend de l'acception qu'a chacun – chacune en l'occurrence – de la notion d'égoïsme bien dosé, celui nécessaire à la conservation d'une relative santé mentale et nerveuse pour mener à bien nos missions familiales, amoureuses, professionnelles et amicales, si on a encore le temps.

Au pays de l’hyper-disponibilité volontaire

On dirait que les Américaines fabriquent dans leurs veines de la patience avec leurs enfants comme les Françaises ou les Belges giclent de l'adrénaline au moindre braillement. Qui a élevé quelques gamins sait pourtant que dès qu'ils sortent des couches-culottes et des nuits chahutées, on ne ne peut plus entendre un môme pleurnicher à trois rues de là sans basculer dans un Shining interne. Même un chat en chaleur un soir d'été, imitant le son irritant d'un bébé furieux, ça nous est insupportable. Les New-Yorkaises, elles, semblent ne pas les entendre vitupérer, déguisés en super-héros même pour se rendre au mariage d'une cousine républicaine traditionaliste. Elles utilisent le flegme là où nous, on rêve d'un peu de flemme.

Au Royaume de l’égoïsme institutionnel

Notre conception « d'avoir la paix » ne coïncide pas avec l'idée américaine que prendre un problème à bras le corps, ça le rend moins lourd. C'est pourtant de la physique de base. Au lieu d'intégrer nos bambins / maris / concubines / retard dans les papiers à rendre, à notre quotidien, nous préférons les balayer quelques heures sous le tapis. Un apéro en terrasse avec des copines, ça remplace avantageusement une soirée de jeux de société en famille alors que, objectivement, ça détendrait tout l'élastique du string comportemental domestique, au lieu de nous voir rentrer guillerette, paresseuse, et d'une humeur délicieuse. Au fond, peu importe le gobelet Starbucks ou le verre en cristal, pourvu qu'on ait la tendresse.

Say Bonjour To The Lady, Editions Seghers.

 

 

Illustrations : Marie Morelle