« Mon Ket » : la grosse embrouille de François Damiens

Publié le 31 mai 2018 par Grégory Escouflaire
« Mon Ket » : la grosse embrouille de François Damiens

Pour son premier film en tant que réalisateur, François Damiens se rhabille en L’Embrouille le temps d’une évasion de prison, entre rires lourds et commisération. Quel ket ce peye !

Ce film est un retour à tes premières amours, les caméras cachées. D’où t’es venue cette envie d’en refaire ?

Je voulais associer la fiction à la réalité et tenter d’émouvoir le spectateur à travers le rire et la tendresse… Mais avec des vrais gens. En caméra cachée. Parce que la personne piégée, qui ne sait pas qu’elle est filmée, joue mieux que n’importe quel acteur, selon moi… Et pour susciter des réactions de leur part, il fallait que le personnage en face d’eux soit haut en couleur : un type fracturé, touchant, que t’as envie d’aider même s’il est en cavale. C’est là où c’est très différent de mes caméras cachées à la télé… Ici c’est moi qui vais vers les gens et pas l’inverse. Du coup il fallait montrer la détresse et la sensibilité du type que je joue, pour créer de l’empathie.

La scène d'ouverture se déroule dans une prison (à Ittre, ndlr). Pour être honnête on comprend pas tout de suite qu'il s'agit d'une caméra cachée... Comment as-tu procédé pour piéger un gardien ? 

Y a personne qui était au courant, à part la directrice. Je suis juste allé la voir pour lui expliquer le concept du film, en lui demandant l'autorisation de tourner en caméra cachée... Au début elle était un peu gênée de participer au piège, mais comme il y avait déjà 400 caméras dans la prison, elle a finit par accepter ! Sept caméras en plus, ça changeait pas grand chose pour elle en fin de compte...

Donc pour le gardien t'étais un détenu comme un autre ? Il était pas au courant. 

Ben non, tout était préparé. On l'a fait passer par un petit bureau où on lui a dit : "Tu veux pas aller voir ce qui se passe dans cette cellule ? Y a un détenu qui tape comme un forcené sur la porte"... Il ouvre la porte et voilà. C'est la première scène.

 

Peux-tu nous expliquer un petit peu le dispositif ? Parce qu'on a l'impression que la caméra n'est pas cachée. Le cadre, le plan, ne diffèrent pas de ceux d'une mise en scène classique. 

À Flagey par exemple (une autre scène du film, où Dany - son personnage - tente de draguer une dame assise sur un banc, ndlr), les cameramen sont disposés à 50m de moi, avec un couffin et une caméra dedans. Une complice joue la mère : c'est elle qui fait le point avec la caméra... Comme si c'était un bébé, quoi. Et donc moi je m'assieds sur le banc à côté de la personne que je veux piéger, j'attends un peu pour éviter d'éveiller directement les soupçons, et puis j'essaie de l'accrocher - un peu comme on ferre un poisson ! Parce qu'il faut que la personne piégée oublie son environnement, sinon ça fonctionne pas. Une fois que je sens que je l'ai accrochée, les caméramen s'approchent... Et là je commence à remonter le poisson à mort.

T'es muni d'oreillettes ? 

Oui j'ai quelqu'un dans une oreillette qui me prévient quand un truc fonctionne pas : une batterie de caméra à plat, mon micro qui s'est décroché, etc.

Quelle est la part d'écriture et d'improvisation, de préparation et de hasard ? 

Ça dépend d'une caméra cachée à l'autre, mais chacune a été réfléchie, pensée, préparée... Certaines ont demandé 7 à 8 mois de préparation ! Mais on s'est donné les moyens du cinéma pour y arriver. On a tourné pendant un an et demi, de façon chronologique. Pour chaque caméra cachée il y avait une douzaine de piégés : on sélectionnait la plus réussie, puis on passait à la suivante. En fait je pense déjà au montage au moment où on tourne. J'essaie de pas trop couper la parole, de me mettre dans le bon axe,... Et de pas trop provoquer le piégé non plus, pour éviter qu'à la fin il refuse d'apparaître dans le film. Il faut naviguer entre tout ça, quoi.

C'était un vieux rêve de réaliser un film ? 

Non. C'était un vieux rêve d'écrire et de jouer dans un film mélangeant fiction et caméras cachées... Mais quand s'est posée la question de savoir qui allait le réaliser, je me suis vite rendu compte que c'était à moi de le faire. Ça fait 20 ans que je fais des caméras cachées : j'allais pas demander à quelqu'un qui n'en a jamais faites de me diriger là-dedans !

C'est vrai que tu as révolutionné le concept même de la caméra cachée. Avec toi ce n'est plus le piégé qui est au centre, mais ton personnage. Tu retournes le dispositif en ta faveur. Ça n'a rien à voir avec les Marcel Béliveau & co.

Quand je bossais pour la télé, il fallait qu'on sorte une caméra cachée par semaine. Et quand ça fonctionnait pas, quand j'arrivais pas à obtenir ce que je voulais du piégé, je me mettais moi-même en scène. C'est comme ça que j'ai pris de la place, si tu veux. C'est un peu comme quand tu cuisines et que la moitié de tes invités décommandent : t'es obligé de manger plus !

Autre chose qui te caractérise : les « barakis » que tu joues ne sont jamais méchants... Mais c’est parfois limite. Tu aimes jouer sur cet équilibre instable, entre rire et malaise.   

C’est ce grand écart-là qui m’intéresse en fait : essayer d’humaniser l’« inhumanisable »… La caméra cachée est réussie si à la fin on a envie de le serrer dans ses bras. Mais faut pas non plus qu’il soit gentil dès le début, hein ! Sinon y a pas de tendeur. D’ailleurs les gens osent pas trop rigoler au début… Puis quand ils ont compris qu’ils peuvent y aller, que c’est pas si méchant, alors ils s’en donnent à cœur joie. En fait je pense qu’on rigole plus à la deuxième vision qu’à la première !

Parmi les piégés, y en a beaucoup qui t’ont reconnu ?

À chaque fois, ouais. C’est pour ça qu’on piégeait une douzaine de personnes par caméra cachée. Parce que c’est pas comme à la télé où tu prends juste les meilleurs passages. Ici tu racontes une histoire, donc il fallait que chaque piégé ne se rende compte de la supercherie qu’à la fin… Et qu’il accepte d’être dans le film évidemment !

"Mon Ket" de François Damiens, avec François Damiens, Matteo Salamone, Tatiana Rojo, Christian Brahy et les "personnes piégées filmées à leur insu" mais qui "ont toutes accepté d'y figurer"

Notre avis

"Comme y a Trump aux États-Unis, y a Versavel en Belgique". Dany de son prénom, un mec "attachant" qui s'évade de prison pour retrouver son fils. Voilà pour le pitch... Et c'est à peu près tout. Le seul intérêt du film résidant dans son dispositif : des caméras cachées mises bout à bout sans grand fil conducteur, si ce n'est le rire, plutôt lourd, plutôt parcimonieux. Pour être honnête, on préfère le Damiens acteur dans des films comme "Suzanne", "L'Arnacoeur" ou "La Famille Wolberg". Et on préfère aussi l'Embrouille. Embarrassant ? Si l'on en croit Damiens la deuxième vision serait meilleure. On attendra qu'il passe à la télé.