Christian Grey est-il au porno ce que l’inspecteur Derrick est au thriller ?

Mis à jour le 7 janvier 2019 par ELLE Belgique
Christian Grey est-il au porno ce que l’inspecteur Derrick est au thriller ?

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« Monsieur Grey va vous recevoir » après plus d’un an d’attente, le fameux dominant qui a mouillé autant de culottes que d’exemplaires vendus du livre nous a enfin reçues. Et, passez moi l’expression, mais il n’y avait pas de quoi fouetter une chatte.

Et par coups de fouet, j’entends bandes annonces, révélations au compte-goutte, visite virtuelle de l’appartement, changement de casting,… Bref une opération de comm’ monstrueuse. Quand Universal a acheté les droits du bestseller qui avait instauré un nouveau genre dans le roman érotique, le « Mummy Porn », ou porno pour ménagère de moins de 50 ans, une question s’est posée: comment adapter un livre à caractère gentiment pornographique en film sans pour autant en faire un film de boules ? Pour celles du fond qui n’auraient pas suivi : Anastasia Steele jeune fille innocente et un peu gourde rencontre Christian Grey, jeune milliardaire sexy et torturé. Mais Christian a sa propre conception de la relation amoureuse et veut qu’elle devienne sa soumise, autrement dit qu’elle lui signe un papier l’autorisant à la malmener avec toutes sortes d’objets de torture parce que c’est comme ça qu’il prend son pied.

Pas question ici de faire le procès de l'histoire puisqu'il s'agit d'une adaptation. Il est arrivé que des cinéastes de génie transforment des romans médiocres en chefs d'œuvre, mais ce n'est pas le cas ici. Les producteurs avaient certainement trop peur de perdre un public déjà acquis. Du coup, c’était perdu d’avance parce qu’il n y a que très peu d’intérêt à adapter à l’écran un roman érotique, qui fait par définition appel à l’imagination et au fantasme. Interpréter et personnifier c’était déjà trahir.

Ce tapage médiatique nous annonce donc un film sulfureux repoussant les limites de la morale. Seulement voilà, c’est une chose que de sortir un film et faire le buzz parce qu’on se fait censurer (Fellini et Lars Von Tiers en ont fait les frais/bénéfices plus d’une fois). Mais ça en est une autre que de s’autoproclamer « choquant » et fanfaronner à tout va qu’on est le film rebelle de l’année pour finalement se voir attribuer un « interdit aux moins de 12 ans » pas convaincu par le président de la commission des œuvres cinématographiques. Et c’est encore plus la loose quand cette même commission avoue penser que « ce n’est pas un film qui peut choquer beaucoup de monde », autrement dit, ils se sont un peu senti obligés. C’est un peu comme Anastasia Steele qui veut faire la maligne en demandant à Christian quand est-ce qu’il compte lui faire l’amour, avant de lui avouer environ 3 minutes plus tard, toute penaude, que « ah oui, en fait, je suis vierge ».

On est loin de l'ambiance tendue et sulfureuse qui régnait dans les salles qui diffusaient La vie d'Adèle. Au contraire, certaines scènes sont accueillies par des rires. Christian Grey qui se met torse nu, et rampe tel un félin jusqu’à Ana pour mordre langoureusement dans sa biscotte: certainement la meilleure vanne du film.

L’actrice Dakota Jones (dont la mère avait incarné la sulfureuse Lolita de Nabokov : adaptation encore plus décevante car basée sur un bijou de la littérature) donne de sa personne et s’offre à l’objectif, sauf quand c’est sa doublure qui s’en charge. Bref, on voit des seins. Or, si une paire de seins avait encore le pouvoir de choquer, la plupart des pubs pour gel douche seraient interdites aux moins de 18 ans. Les images sont très esthétisées, aucun risque de confondre le film avec un porno. On se demanderait plutôt sur quelle pub de parfum on est tombé, tant c’est léché. Ajoutez à cela, une alchimie proche de zéro entre les acteurs et vous obtenez un film érotique glacial, aussi oxymorique que cela puisse paraître.

Pour achever cette critique sur une note positive, ou devrais-je dire une nuance, parlons de la bande-son très réussie. Frank Sinatra (“Witchcraft”), The Rolling Stones (“Beast of Burden”) et Annie Lennox (“I Put a Spell on You”), sans oublier Beyoncé qui revisite son tube « Crazy in Love », plus suave que jamais. Soit dit en passant, "Haunted" avait déjà sauvé la bande-annonce, lui donnant tout son intérêt. De la même façon, certaines séquences sont sauvées par le son. Si on ferme les yeux on arrive presque à oublier l’expression de détresse de Jamie Dornan qui semble se demander lui même ce qu’il fait là, torse nu, à fouetter la doublure de Dakota Johnson.

Notre conseil pour une Saint Valentin torride ? Procurez-vous la bande-son et laissez opérer le meilleur cinéma du monde : votre imagination.

Annie Laloy