Comme l’indice lipstick, les parfums disent quelque chose de l’air du temps. En pleine récession économique, la parfumerie de niche connaît une croissance sans précédent. Une partie de cette évolution est portée par les doom spenders, ces jeunes qui n’hésitent pas à dépenser plusieurs centaines d’euros pour une bouteille, convaincus qu’épargner pour un futur stable n’a plus vraiment de sens.

Les tendances olfactives reflètent elles aussi cette époque d’incertitude. D’un côté, une demande croissante pour des extraits puissants, aussi percutants qu’un sac monogrammé. Pourquoi payer si cher si personne ne le remarque ? De l’autre, un besoin de réconfort, incarné par des parfums plus doux, crémeux, aux notes vanillées et enveloppantes.

Obvious, et plus précisément son nouveau parfum Milk & Matcha, s’inscrit clairement dans cette deuxième catégorie. Son fondateur, David Frossard, parle de “bulles de réconfort” : “Je pense que le monde dans lequel nous vivons devient de plus en plus stressant. Chaque jour, on entend les nouvelles, les menaces sont partout. Alors je travaille sur des ancrages de paix.”

David Frossard Obvious parfums

David Frossard

Frossard a fondé sa maison après une carrière dans la distribution, en Afrique et en France, pour des marques comme Byredo ou Juliette Has a Gun. “Je voulais revenir à mon premier amour, à l’origine de la révolution de la niche : d’excellentes matières premières et la liberté”, explique-t-il en visioconférence. Nous parlons de l’évolution de l’industrie, de l’équilibre entre luxe et durabilité, et de comment résister à certaines dérives de la parfumerie contemporaine.

Pourquoi avoir lancé Obvious en tant que distributeur ?

“Pendant le COVID, j’ai eu le temps de faire un point sur mon parcours. L’industrie de la niche a énormément évolué en vingt ans : elle est devenue plus commerciale. Je voulais redémarrer autrement.”

“Aujourd’hui, les prix explosent, les emballages deviennent plus élaborés, alors qu’il y a vingt ans, on se contentait de flacons simples destinés à des connaisseurs, uniquement intéressés par l’odeur. J’ai une boutique à Paris, Liquides, et chaque jour j’y reçois de nouvelles bouteilles avec d’immenses bouchons importés de Chine. Je trouve ça aberrant. Comment peut-on se revendiquer du luxe sans considérer l’état de notre planète ? Pour moi, un luxe qui n’est pas durable, ce n’est pas du luxe.”

D’où vient votre attachement à la simplicité, dans les noms comme dans les flacons ?

“J’ai longtemps construit des récits pour d’autres marques, mais ce storytelling est devenu délirant. Aujourd’hui, il faut presque lire un roman pour comprendre un parfum. J’avais envie de revenir à l’essentiel. C’est pour ça que mes premiers parfums sont des interprétations très simples de la nature. Comme un peintre impressionniste, je prends une impression – une fleur d’oranger, par exemple – et je la traduis à ma manière. Pas besoin d’en faire des tonnes.”

“Il y a un autre point que je voulais changer. Au salon Esxence à Milan, 350 marques sont présentées. Et pourtant, à l’échelle mondiale, moins de 50 sont véritablement distribuées. Que deviennent les autres ? Elles se battent pour survivre. Et souvent, elles choisissent la provocation pour se démarquer : sexe, drogue, trash… Il existe même une marque qui s’appelle Born to Stand Out. Moi, je pense que si les gens se parfument depuis plus de 2000 ans, c’est parce que le parfum suscite des émotions. Pas besoin de choquer pour marquer.”

 

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Quelle est l’histoire derrière votre nouveauté Milk & Matcha ?

“L’idée vient de ce moment suspendu, juste avant de commencer sa journée. Quand on sort de chez soi, qu’on pense à tout ce qu’on doit faire, puis qu’on s’arrête deux minutes, on commande un matcha latte… et on respire. J’ai voulu capturer cet instant olfactif.”

En quoi Milk & Matcha se différencie-t-il des autres parfums au thé ?

“Je ne suis pas très fan des parfums gourmands, même si c’est une grande tendance. Pour Une Vanille, Une Pistache ou Milk & Matcha, je voulais éviter l’excès de sucre. Ce qui rend Milk & Matcha intéressant, c’est son équilibre : l’amertume du matcha et de l’huile de maté, adoucie par la fleur d’oranger et une touche de vanille. Ce n’est jamais lourd.”

Obvious parfums

Obvious

Votre approche semble à contre-courant des attentes actuelles – notamment des jeunes qui cherchent des parfums complexes et ultra persistants…

“Oui, et je trouve ça préoccupant. C’est lié au prix, je pense. Quand un parfum coûte 300 euros, les gens veulent en avoir pour leur argent. En boutique, on me demande souvent : ‘Est-ce qu’il tient quatre jours ?’. C’est absurde. On réduit le parfum à une simple performance, comme un déodorant. Alors que c’est un produit émotionnel, pas un gadget fonctionnel. J’essaie de faire évoluer cette mentalité, mais ce n’est pas évident.”

Êtes-vous parfois limité par votre engagement durable ?

“Non, car de plus en plus d’acteurs comme IFF ou Givaudan investissent dans la chimie verte. Je ne cherche pas à faire des parfums 100 % naturels : ce serait trop restrictif. Ce qui nous freine vraiment, c’est le marché, cette demande de parfums très puissants, qui durent très longtemps. Moi, j’ai envie de proposer autre chose. Un Bois, par exemple, est très discret, mais il a quelque chose de poétique. Malheureusement, on est rarement écouté quand on parle de subtilité.”

 

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Les parfums de niche sont actuellement la catégorie beauté à la croissance la plus rapide. Comment expliquez-vous cette explosion ?

“Au départ, c’était logique. Les grandes marques misaient tout sur la pub – Johnny Depp dans le désert avec une guitare et un loup, et hop, 80 % des ventes étaient assurées. Les marques de niche sont arrivées avec un discours nouveau : des matières nobles, un savoir-faire. Ça a changé la donne. Mais aujourd’hui, même moi je suis surpris par l’ampleur du phénomène. Quand je vois Parfums de Marly valorisée à près d’un milliard, je me dis qu’il n’y a plus de plafond.”

Quelles évolutions voyez-vous à venir, côté ingrédients ou technologie ?

“La vraie révolution, c’est la chimie verte. Mais il faut éduquer le public. Beaucoup de gens me demandent des produits ‘naturels’ et veulent connaître le pourcentage de naturalité. Sauf que c’est très difficile à expliquer. L’ambroxan, par exemple, est extrait de la sauge : c’est naturel, mais aussi synthétique. Le santal naturel est quasiment introuvable aujourd’hui. Heureusement, des molécules permettent de le recréer. Idem pour le vétiver : 80 % vient d’Haïti, et vu la situation politique là-bas, cela va devenir compliqué. C’est là que la recherche et l’innovation deviennent essentielles.”

Donc, le naturel n’est pas forcément mieux ?

“Exactement. C’est presque philosophique. La seule rose ‘naturelle’, c’est celle que vous sentez dans un champ. Dès qu’on l’extrait pour en faire un parfum, on entre dans l’artifice. Ce qui compte, pour moi, c’est de ne pas nuire. Chez Obvious, je me concentre sur la durabilité. J’ai utilisé des centaines de flacons de 100 ml dans ma vie, j’essaie maintenant d’en minimiser l’impact. C’est la moindre des choses.”

Le parfum est disponible sur www.retreat.nl/en