Apprendre à faire l’amour : le livre qui fait naître le désir

Mis à jour le 7 août 2023 par Elisabeth Clauss
Apprendre à faire l’amour : le livre qui fait naître le désir ©Shutterstock

D’après le philosophe Alexandre Lacroix, celles et ceux qui pensent que le désir naît d’un émoi dans le bas ventre viseraient un mètre trop bas. Dans son essai « Apprendre à faire l’amour », il décode à la lumière de l’esprit le basculement de la théorie, au creux du lit. 

À titre d’introduction – ça commence bien – l’auteur pose le cadre de son étude : homme hétéro, il se fonde sur son expérience et son étude intimes du sujet, mais permet à chacun·e, quels que soient son départ et son histoire, d’extrapoler vers son propre scénario. La plupart des cabrioles en chambre seraient d’après lui fondées sur la matrice fondatrice qu’il appelle « freudporn ». « Une erreur très commune à propos de l’acte sexuel est de croire que celui-ci est instinctif, naturel, indépendant des conventions qui régissent d’ordinaire la vie sociale. » Il cite la « théorie des scripts sexuels », élaborée en 1973 par les chercheurs John Gagnon et William Simon (de l’institut Kinsey de Bloomington, États-Unis), qui démontre que nos comportements sexuels, que l’on pense individuels et pulsionnels, obéiraient banalement « à une codification sociale très fine ». Chaque geste attendrait une réaction pré-écrite (un bouton défait = une tirette baissée). Grâce aux romans, au cinéma et aux séries (ou à cause des mêmes), nous serions tous remarquablement peu originaux peau contre peau, avec tout au plus « des petites particularités ou fantaisies de-ci de-là ». Et Sigmund dans tout ça ? Alexandre Lacroix analyse : « Même si on ne poursuit que le plaisir, on doit faire comme si on visait la procréation, finalité nécessaire, voire noble, et qui justifie l’acte. » Il érige un parallèle avec le drame classique, structure Aristote : « Exposition-nœud de l’intrigue-crise-dénouement. » On se croyait dans une chambre à coucher, on est en réalité dans une bibliothèque. Pour construire le plaisir, déconstruisons ses chapitres. 

En préambule, les préliminaires

Alexandre Lacroix attribue l’invention de la notion de préliminaires à Freud (il semble pourtant que la tendresse ne date pas du début du XXe siècle, mais admettons). Il qualifie ce terme de « fourre-tout », ce qui est prescripteur, si on y pense. Le philosophe rappelle que le psychanalyste tenait ces pratiques câlines et sophistiquées pour des perversions, si la finalité n’était pas un bon emboîtement à l’ancienne. Dans cette cartographie moderne de l’extase, on caresse quand même l’idée que le plus important c’est le voyage, plus que la destination. 

On repasse les habits du désir

En matière de gaudriole comme de pizza à l’ananas, il y a plusieurs écoles. À poil ou la chemise relevée on peut varier les plaisirs, le derme exfolié et le coton froissé. L’auteur souligne que chez un adulte, la peau couvre environ deux mètres carrés, ce à quoi on arrive à peine avec une jupe en soie plissée. « La relation sexuelle idéale ou le coup parfait me paraît requérir, à un moment ou à un autre, la nudité intégrale des partenaires. Pour que le rapport soit vraiment profond, il faut que les peaux se touchent de la manière la plus complète possible. » Faut-il pour autant abandonner dans l’escalier escarpins et sous-vêtements coûteux ? Pas forcément, ou pas tout de suite. Mais Alexandre Lacroix milite pour la vérité nue : la rencontre authentique, avec ses inévitables cicatrices de vie. « Il est un phénomène fréquent, mais dont on ne parle jamais, et qui est comme le secret le mieux gardé des alcôves : les zones d’inconfort sont susceptibles de se transformer en zones érogènes, puisque c’est là où il est le plus vulnérable que l’autre me permette d’être le plus proche de lui. » Reste à doser la lumière.

On dézoome

À ce propos, l’auteur alerte sur la différence entre le gros plan abondamment utilisé dans les vidéos spécialisées, et la réalité de la vision humaine : « Quand je m’approche d’un corps, ses contours se brouillent et j’ai la sensation de plonger en lui, de nager dans une zone colorée semi-figurative. » Bon à savoir : le punctum proximum, point le plus proche où l’individu sans lunettes voit net, se situe à environ vingt-cinq centimètres. Concrètement, et on cite ici l’ouvrage avec toute la poésie incarnée dont nous sommes capables, « les veinules, ridules ou déformations de la peau, la dilatation des pores, les squames, les plaques rouges, les sécrétions séborrhéiques, tout ce qu’il est si désagréable de découvrir quand on s’inspecte dans l’un de ces miroirs de maquillage grossissant (…), ces divers accidents et anomalies qui au fond n’intéressent que le maniaque ou le dermatologue, tombent dans l’indistinct ». L’essentiel est parfois vraiment invisible pour les yeux, on ne voit bien que du bout des doigts. Les mêmes qui servent à tourner les pages du bouquin, mais c’est peut-être mieux de se laver les mains avant. 

On trouve les mots pour le dire 

On sait que sous l’apparente affirmation « je t’aime » se cache 9 sur 10 la question « et toi ? ». Si on ajoute à cette dimension cryptique la passion du désir et la pression de se le dire, d’après Alexandre Lacroix, cette « obligation déclarative devient à peu près aussi aphrodisiaque qu’un contrôle des Douanes ». Attention donc aux bavardages intempestifs : il y a un moment pour tout, papoter en pleine action risque de faire retomber la tension – c’est encore pire si on rit –, et n’oubliez pas qu’on ne parle pas la bouche pleine. Parallèlement le philosophe milite pour une ingénuité bien gérée, une saine innocence : de même qu’on ne profite d’un blockbuster que si on oublie le fond vert derrière le superhéros qui se jette d’un gratte-ciel, les sensations seraient meilleures entre les draps si on choisit de croire aux confidences sur l’oreiller. Il évoque ainsi « une disposition psychologique propice au plaisir, qui consiste en une décision de naïveté, à ne pas confondre avec la naïveté au premier degré, la simple crédulité ». On rencontre quelqu’un, on se délecte de son baratin, on n’en attend rien. 

On jouit de la situation

Qu’est-ce qui nous importe le plus ? La consommation de l’objectif ou le chemin vers le plaisir  (ça fonctionne en pâtisserie, dans le sport ou dans tous les domaines qui vous excitent) ? Alexandre Lacroix s’interroge : « Où se range l’action de faire l’amour ? » Tout dépend de la finalité : faire un enfant, entretenir une relation qui ronronne, obtenir une catharsis nerveuse vite fait ou sublimer l’exploration de soi par l’autre – à moins que ça ne soit le contraire – cinq minutes ou cinq heures, il n’y a pas toujours que l’intention qui compte. « Beaucoup de crispations et de tensions naissent dans les couples autour de cet orgasme institué comme un devoir – à peine moins contraignant que les objectifs ambitieux assignés aux commerciaux, dans les entreprises (…) Nous devons éviter d’en faire une exigence obsessionnelle et tyrannique, pour revenir à une compréhension beaucoup plus simple et détendue du phénomène érotique. » Et lire ce livre, pour jouir du plaisir de réfléchir.  

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