En à peine dix ans de carrière musicale, Lou Doillon s’est taillé une belle place au rang des chanteuses françaises qui comptent. Elle revient avec « Soliloquy », un troisième disque plus solaire et plus rock. Rencontre.
Le soliloque, c’est le fait de parler tout seul, en public ou pas : est-ce une référence au monde 2.0 dans lequel on baigne en ce moment, où tout le monde s’écoute parler finalement ?
Disons que je préfère m’analyser moi-même plutôt qu’analyser les autres, c’est plus amusant et c’est moins compliqué ! Et ça donne une plus grande liberté, parce qu’on n’est pas dans le jugement : c’est plus de l’ordre de l’observation, du constat… Et puis le terme « soliloque » est un terme très utilisé au théâtre : j’aimais bien cette idée de cadre défini, de tragique et de comique… Qu’il y ait une forme de mise en scène.
Il y a plusieurs metteurs en scène en l’occurrence : toi et ceux qui ont bossé sur le disque (Benjamin Lebeau de The Shoes, Dan Levy de The Dø, le vieux pote musicien Nicolas Subréchicot, NDLR)… Aller ainsi se frotter à d’autres personnes qui ont d’autres points de vue, c’est le contraire du soliloque, justement… Et c’est une constante chez toi (après Daho pour « Places » en 2012, et Taylor Kirk de Timber Timbre pour « Lay Low » en 2015, NDLR).
Je crois beaucoup à la magie des agencements ! Et un album, c’est un moment absolument merveilleux où des personnes se rencontrent, selon leurs disponibilités, leurs choix, leurs goûts… C’est tellement beau la collaboration ! Quand on est auteur-compositeur, il y a quand même une limite à ce qu’on est capable de faire seule – et à l’interêt de le faire. Moi je n’ai pas du tout envie d’envisager la musique toute seule. J’adore quand un producteur m’emmène dans un endroit auquel je n’aurais jamais pensé… Et puis quelle joie de voir comment les autres perçoivent ta musique. La musique pour moi ça se fait à deux, trois, quatre… Et c’est parler de l’humain, l’observer qui m’intéresse : pas juste parler de moi ou de ma petite vie.
Et le fait qu’il sonne plus rock, ça vient aussi de là, des autres ?
Peut-être qu’il y avait un désir d’assumer quelque chose qui n’était pas une évidence pour certains… Et puis j’aime bien la contradiction : ça m’a toujours amusée de n’appartenir à aucun club et de les aimer tous à la fois ! Maintenant, quand je travaillais avec Daho, je crois que lui me voyait dans un endroit résolument pop et soul, et Taylor dans un registre plutôt folk et blues… Mais c’était agréable de passer par leur prisme ! Et c’est pareil ici : Benjamin me voyait plus punk et rock, Dan plus épique et classique, Nicolas plus eighties… Le fait d’avoir travaillé avec eux trois donne une touche encore plus singulière à l’album : comme si c’était la somme de plusieurs fantasmes.
Nous qui pensions que le rock était « démodé » ! C’est ce qu’on dit en tout cas… Il ne pèse plus très lourd face au hip-hop.
Ben le rap, c’est la nouvelle variété ! Et le rock, en revanchee, redevient une musique de niche et c’est tant mieux… De toute façon, je n’avais pas envie de me répéter, mais de prendre des risques : c’est pour ça que j’ai enregistré les démos avec une guitare électrique et pas acoustique. C’est cette nervosité-là qui a guidé le disque… En fait, cet album n’a été jusqu’à la fin que surprises, rebondissements et changements de direction ! Et je suis très fière d’avoir tenu les rênes de cet animal étrange.
Tu viens de faire la couv’ du ELLE (France), comme ta mère (Jane Birkin, NDLR) il y a 50 ans… La presse féminine à l’ère #metoo, démodée ou pas ?
Je pense que c’est aux magazines, non pas forcément de se remettre en question, mais de s’amuser à se réinventer… Et ils ont passé leur histoire à le faire ! En fait, la question à se poser, c’est comment on différencie aujourd’hui la femme et l’homme au travail… Moi je suis ravie de faire la couv’ du ELLE, mais la vraie question ce serait de se dire : « Est-ce que c’est normal que des filles font la couv’ du spécial mode et pas un garçon ? Est-ce que c’est normal, dans une interview d’une chanteuse, qu’on parle de son visage ou de ses fringues ? Est-ce que c’est normal, quand une artiste femme sort un album, qu’il faille systématiquement qu’on sache avec quels hommes elle a collaboré ? » Ce qui est important, c’est la remise en question, et c’est valable pour tout et tout le monde.
Qu’est-ce qui selon toi ne se démode pas ?
Tout ce qui est sincère et singulier. Et tout ce qui nous ressemble est forcément juste : les gens qui sont bien avec eux-mêmes, quel que soit leur look ou leur non-look, je trouve ça merveilleux ! Essayer d’être à la mode, ça veut juste dire qu’on donne beaucoup trop de sens et de pouvoir aux gens qui nous regardent… Et je pense que dès qu’on délègue le pouvoir, on est moins fascinant/érotique/singulier… Être dans son monde, dans ses couleurs, dans ses notes, ses harmonies, y a rien de plus beau que ça !
Un disque : « Soliloquy » (Barclay/Universal). En concert le 29 avril aux Nuits Botanique.
Son interview en vidéo :
Traduction : Virginie Dupont