Edito : l’innovation entre fantasme et technicité

Publié le 6 septembre 2018 par Elisabeth Clauss
Edito : l’innovation entre fantasme et technicité

La mode n’a qu’une mémoire de cinq minutes et elle se nourrit essentiellement de futur.

Il n’y a pas d’innovation sans tâtonnements et, dans les secteurs créatifs comme ailleurs, on digère nos savoir-faire pour aller de l’avant, avec plus ou moins de succès, mais le mérite d’avoir essayé. Toutes les civilisations ont toujours reposé sur un principe aussi simple que la roue : quand on arrête de pédaler, on tombe.

L’innovation est cette alchimie inespérée entre le fantasme et la technicité. Il faut vouloir la lune avant d’être astronaute. Surtout, évoluer demande
du courage et un peu d’inconscience : trop de lucidité compromet la curiosité. Heureusement, aujourd’hui, les algorithmes accomplissent à notre place un formidable boulot de discernement. Les applis de rencontres nous épargnent des heures en terrasses de café, des machines composent des
albums des Beatles à partir de leurs plus grands tubes et des logiciels écrivent des best-sellers en compilant de gros succès de librairie. Bientôt, les
chaussures courront à la place de nos pieds et les matières recyclées remplaceront polyester et coton polluants. Les maisons connectées seront capables de nous garder en bonne santé et les vêtements de nous soigner. « C’est s’acheminer vers une société déshumanisée », direz-vous. Justement, celle-ci a peut-être une chance de fonctionner.

Les nouvelles philosophies zen nous invitent à vivre dans le moment présent et à nous satisfaire de ce que nous avons. Quelle drôle d’idée. Sans
inconfort, sans frustration et sans expérimentation, nous serions toujours à chercher la clim’ dans des cavernes sans wi-fi. Heureusement qu’on n’est
jamais content avec ce qu’on a. C’est grâce à cela qu’on repousse les frontières de l’imagination et qu’on innove. Dans un futur proche, les étoffes
seront aussi réactives que la peau (d’ailleurs en biologie, on parle depuis longtemps de « tissus ». Un hasard ? Je ne crois pas). Dans toutes ses quêtes et ses conquêtes, l’homme a toujours espéré améliorer son sort. À défaut de rencontrer des gens assez malins à son goût, il a inventé les smartphones. En plus, ils parlent. Nos véhicules savent avant nous quand il faut faire le plein ou l’entretien, des logiciels de santé nous alertent quand il est temps de freiner sur les frites trempées dans le chocolat. À la moindre défaillance de notre corps, on ajoute des bonus de technologie à nos morphologies. Bientôt, nos pulls rechargeront les téléphones susmentionnés et nos T-shirts diffuseront des endorphines pour nous apaiser.

Mais avant de nous laisser entièrement prendre en charge par l’intelligence artificielle, essayons encore un peu de faire fonctionner la vraie. Juste histoire de pouvoir nous planter et d’avoir le plaisir, ensuite, d’innover.

(Photos du défilé Haute Couture FW18 Iris van Herpen : Etienne Tordoir / Catwalk Pictures)