Rencontre : CHATON, entre Booba et Céline Dion (oui c’est « Possible »)

Publié le 4 mai 2018 par Grégory Escouflaire

Ancien « faiseur de tubes » de l’industrie du disque (« Je danse » de Jenifer, c’est lui), Simon Rochon Cohen a tout claqué pour se réinventer en poète du « Possible » (le titre de son premier album). Sous son doux nom de CHATON (en majuscules parce que l’ombre il a donné, merci), le Lyonnais déroule ses chansons presque dub sur un lit d’Auto-Tune. N’ayez pas peur ! C’est beau comme du Souchon sous perfusion, du Moustaki oklm qui viendrait du turfu. Adoptez-le.

L’autre jour je suis tombé sur cette phrase de l’écrivain Éric Chevillard dans son journal « autofictif » et je voulais voir ce que tu en pensais : « Vain, le style ? Une phrase pourtant peut être un de ces moments plutôt rares où l’être humain est à son avantage. Où l’être humain est beau. »

Ca défonce. C’est dingue ce truc, là ! Il a un peu tout résumé. C’est comme quand t’écoutes « Sous les jupes des filles » d’Alain Souchon… Qu’est-ce que tu veux dire de plus, quoi.

En fait si j’ai choisi cette phrase, c’est parce qu’avant CHATON, tu bossais dans l’ombre de l’industrie du disque comme auteur-compositeur pour divers stars du hit-parade (Natasha St-Pier, Amel Bent, Yannick Noah,…)... Et là c’est ta voix à toi. Ton style. Ta vérité. C’est toi désormais qui en tires avantage.

C’est vrai… J’étais un faiseur, ouais. En fait mon vrai parcours, c’est que depuis toujours je ressens cette obsession pour la musique – les mots et les notes. C’était un refuge très confortable quand j’étais gamin (j’étais un peu en marge socialement), et en même temps une forme de quête du moment… Parce que quand tu fais de la musique tu vas brasser du vent la plupart du temps. Tu vas brasser de la tempête… Et puis parfois t’as une éclaircie et t’essaies de l’attraper, tu vois ? Ma quête aujourd’hui, c’est ça : la chasse à l’éclaircie… Et si j’étais faiseur, c’était surtout pour continuer à faire ça. À écrire. Sinon la poésie ça paie juste les cigarettes, si tu vois ce que je veux dire… Avant de réussir à faire quelque chose de beau, de juste disons, il faut un temps qui est incompressible à mon sens… Et c’est un peu le travail d’une vie ! Du coup le seul moyen de continuer à faire ça, c’est en en faisant son métier. Donc tu mets toute cette énergie-là, cette plume, au service des gens… Jusqu’au point de rupture – ce moment où tu te rends compte que cette quête du beau est en fin de compte très éloignée de celle des gens avec qui tu travailles. Leur quête à eux, c’est davantage le matériel, et c’est très loin de moi. C’est en opposition. En fait le problème c’est que ces gens veulent simplifier ton propos, l’édulcorer… Parce qu’ils pensent que les gens n’ont pas assez de cœur pour recevoir quelque chose de beau… Alors que le beau, le vrai beau, il est universel, tu vois ? Bref quand tu me lis cette phrase, ben ça me touche.

Tu ne ressentais aucun accomplissement dans ce travail disons « alimentaire » ?

Moi je l’ai jamais vu comme un travail alimentaire et c’était là le problème : je me suis jamais dit « ok tu va au turbin tu fais ton machin et tu déposes à l’entrée du studio tes convictions profondes - ou en tout cas tu mets un petit peu d’eau dans ton vin »… J’ai toujours essayé de faire au mieux, même quand c’était de la grande variété. Mais quand on saborde ton travail, quand on le lisse parce que soi-disant ça connote je ne sais quoi, c’est dommage. Il faut arrêter de prendre les gens pour des idiots. C’est aussi pour ça que j’ai fait cet album. Pour trouver l’harmonie. Et c’est valable aussi pour le reste du quotidien ! Il faut qu’on essaie d’être de meilleures personnes, en fait. Et pas de nous grimper les uns sur les autres pour arriver jusqu’en haut…

Tu voulais que les gens sachent ce que tu valais vraiment ? Tu ressentais de la frustration à bosser comme ça dans l’ombre ?  

En fait ce disque je l’ai fait dans mon coin, de façon totalement indépendante, et il se trouve que des radios sont tombées sur « Poésie » et ont commencé à le jouer ! C’est comme ça que des gens de l’industrie m’ont contacté et m’ont proposé de le sortir, et je trouve ça incroyable ! Parce que ce disque est tellement personnel… Je me suis foutu tellement tout nu que je pensais pas du tout que quelqu’un allait m’entendre à l’autre bout du fil.

Et cet écho ça fait du bien.

En l’occurrence c’est une forme d’adoubement, clairement. Qu’on parle de moi c’est ultra apaisant… Parce que ça me donne l’impression que je ne suis pas aussi taré que ça ! Même si tout le monde me disait à un moment que je me faisais du mal, j’ai continué. Du coup cet écho c’est génial, oui. Et c’est la preuve que ma quête n’était pas si débile que ça ! (rires)

Parlons de ton usage de l’Auto-Tune. À la base c’est un programme informatique utilisé pour gommer les imperfections de tonalité. Un correcteur de voix. Aujourd’hui tous les rappeurs l’utilisent pour justement donner une couleur hypersensible à leurs tracks. Comme si les failles que ce logiciel était censé lisser se retrouvaient cristallisées dans une dynamique presque… confessionnelle. Ça donne un côté sentimental, à fleur de peau, au morceau. Et ça crée une forme de rapprochement entre l’auditeur et l’artiste, parce qu’il y a quelque chose de l’ordre de l’aveu d’impuissance au niveau vocal. De déballage hyper touchant. On se dit « Moi aussi je pourrais chanter », ou « Je chante faux mais ça coule bien avec l’Auto-Tune ». C’est pas choquant. Et en fin de compte c’est beau. D’ailleurs il y a du PNL dans CHATON.

C’est marrant parce qu’en fait il y a très peu de gens qui pensent comme ça ! (un ange passe) C’est la première fois que j’entends ça. La première fois. Surtout au sujet de PNL – dont j’ai saigné l’album (« Dans la légende », ndlr) comme un fou cette année… Mais c’est vrai, l’Auto-Tune permet de se mettre à nu, parce que c’est comme un masque. Ça te permet de tenter des trucs. Il y a cette dynamique d’accessibilité… Parce que quand t’écoutes Céline Dion, tu sais bien que tu ne peux pas reproduire ce qu’elle fait : tu sais qu’elle a un don (et CHATON l’aime la Céline)… Moi c’est sûr j’ai pas sa justesse mais grâce à l’Auto-Tune je peux parler aux gens et je trouve ça génial ! Sinon pour en revenir à PNL, il y a beaucoup de gens qui se disent « pas touchés » par leur musique à cause de l’Auto-Tune et c’est dommage… Alors que si t’écoutes l’intro de « Luz de Luna » où ils parlent juste entre frères, c’est tellement beau !

Il y a une vraie poésie.

Ouais complètement. Vraiment. Et c’est là où ça me donne raison sur un point : c’est que les gens ont un cœur. PNL ça touche les gens. Et pas que les jeunes. Pourtant c’est compliqué d’être touché par de la musique dite « de jeunes » (notre homme a 34 ans, ndlr), et en fait ça nous touche. Parce que c’est plein de jolies choses quoi.

Et dans cette poésie, cette écriture, il y a aussi ce rythme qui fascine. C’est comme pour Booba. On oublie trop ses talents d’écriture. Alors que le mec rappe en alexandrins. Qu’il balance des allitérations comme jamais. Et personne ne percute.

Sur son album « Futur » il y a deux chansons que j’écoute au casque avant de monter sur scène et que je trouve magnifiques. Deux ballades. Mmmh je reviens pas sur leur titre…

« Tout ce que j’ai » ?

C’est ça !!! C’est la chanson que j’écoute avant de monter sur scène parce que je la trouve incroyable. Elle me touche tellement. C’est marrant parce que hier en prenant ma douche j’ai mis « Friday » et je l’ai écouté genre vingt fois d’affilée ! Ce truc mélodique ce truc dans le texte c’est tellement incroyable… Je suis sûr que si Moustaki était vivant aujourd’hui, il ferait ça. Ce serait pas du Biolay, ce serait ça.

Dans « Tout ce que j’ai » justement, Booba dit : « Coupe-toi une jambe si tu veux repartir du bon pied ». Finalement ça résume pas mal ton parcours, non ?

C’est vrai, c’est ça ! (rires) C’est trop bien ! T’as raison. C’est exactement ça, voilà. J’ai coupé la jambe de la variété ! C’est génial. Parce que tu rencontres la plupart du temps des gens qui soit s’en foutent du texte, soit qui trouvent ça misogyne… En tout cas je bosse maintenant avec le même tourneur que Booba et je lui ai dit « Tu me mets pas de date de concert le 13 octobre !! » (c’est le jour du concert-événement de Booba à la U Arena, pour rappel la plus grande salle d’Europe, ndlr) Franchement je crois que ça a même joué dans ma décision de signer chez eux j’te jure ! (rires)

Et sinon t’en est où au niveau du possible alors ?

Je ne sais pas si tout est possible mais continuer à rêver après 30 ans : c’est possible. Repartir à zéro/Se couper une jambe pour repartir du bon pied : c’est possible. Changer : c’est possible. Grandir : c’est possible. Être une meilleure personne : c’est possible. Et essayer : c’est possible en tout cas. Dans le pire des cas. Donc on en est là je crois.

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Un disque : "Possible" (Arista)

En concert aux Nuits Botanique ce vendredi 4 mai