Être réalisatrice en Belgique, c’est comment?

Mis à jour le 22 janvier 2018 par Laurence Donis
Être réalisatrice en Belgique, c’est comment?Boost Camp

Alors que le milieu du cinéma est régulièrement accusé d'être sexiste, un projet made in Belgium revendique l'égalité des genres. Baptisé «Boost Camp», le programme vise à accélérer le développement de films réalisés par des filles! On a rencontré l'une des lauréates...

Question : combien de femmes ont gagné la Palme d’or à Cannes depuis 1955 ? Une seule : Jane Campion, récompensée en 1993 pour « La Leçon de piano ». Depuis, le même scénario se répète : les réalisatrices sont absentes, et pas seulement des grandes remises de prix. À Hollywood, cela fait déjà quelques années que des filles comme Keira Knightley, Hilary Swank, Nicole Kidman et Viola Davis dénoncent le sexisme qui gangrène l’industrie du cinéma, souvent qualifiée de « malade ». On a tous en tête le discours de Patricia Arquette aux Oscars sur l’inégalité salariale, ou encore celui de Jennifer Lawrence qui en a marre d’être « moins payée que les chanceux dotés d’un pénis ». Salma Hayek et Reese Witherspoon racontent aussi qu’elles sont lassées de lire des scripts où la femme n’est que « la copine sexy » du personnage principal. Un homme, blanc évidemment.

« Notre unique valeur, c’est d’être considérées comme des objets sexuels. Le seul genre de film où les femmes gagnent plus d’argent que les hommes, c’est dans l’industrie du porno. (...) Les grands chefs des studios se disent “femmes = films de filles, comédies romantiques”. Vous savez quoi ? Nous valons mieux que ça », a proclamé Salma Hayek lors de la conférence « Women in Motion ». Les actrices ne doivent pas simplement être canon, il faut aussi qu’elles soient fraîches. Maggie Gyllenhaal en a fait l’expérience. À 37 ans, elle est jugée « trop vieille » pour jouer la conquête d’un homme de 55 ans. En France comme aux États-Unis, la situation peine à évoluer. Et, pour contrer ça, Juliette Binoche et Jessica Chastain ont lancé leur propre boîte de prod’ féministe pour faire bouger les mentalités, We Do It Together.

Et en Belgique ? Notre petit pays ne voit pas non plus les choses en grand. Dans les métiers du cinéma, tout le monde se demande où sont les femmes. Il y a deux ans, il n’existait aucune statistique à ce sujet en Fédération Wallonie-Bruxelles. Les asbl Engender et Elles Tournent ont rectifié ça l'année dernière. On apprend ainsi que les filles représentent un peu plus de la moitié (51,5 %) des jeunes diplômés en réalisation. Elles ne sont pourtant qu’un quart a réellement exercer ce métier chez nous. Où sont donc passées les autres entre-temps ? On observe la même tendance en montage, en scénario et en production. Autre donnée frappante : les aides financières accordées aux femmes sont bien plus faibles (17,8 millions d’euros) que celles allouées aux hommes (pratiquement 48 millions).

Face à ces chiffres, Beluga Tree fait retentir un clap de fin. Pour que les femmes ne soient plus hors champ, le « Boost Camp » a été lancé en début d'année. Concrètement, il s’agit d’un programme pour accélérer le développement des films réalisés par des filles. La marraine n’en est autre que Diane von Fürstenberg. « J’ai eu l’idée du projet lorsque Thierry Frémaux, le directeur du Festival de Cannes, n’a retenu aucun film de femme pour la sélection officielle. Pas une seule réalisatrice n’a été jugée à la hauteur et pourtant, il voit 1 800 longs métrages en moyenne », raconte Diana Elbaum qui représente Beluga Tree. « En Belgique, il n’existe pas d’autres initiatives pour encourager les femmes à se placer derrière la caméra. On ne peut pas toujours expliquer les statistiques, mais il faut agir. Ici, on se place vraiment dans une démarche active, on apporte une réponse concrète. »

Et en pratique ? Quatre réalisatrices résidant en Belgique ont été choisies pour participer à trois workshops d’une semaine. Les lauréates s'appellent Rose Denis, Eve Duchemin, Sandra Fassio et Zoe Wittock. Depuis le début de l'année, elles sont suivies, coachées et boostées pour que leur long métrage soit prêt à être financé. La troisième session, qui apprendra aux filles à vendre leur projet, démarrera mi-novembre! « On va accélérer le mouvement, pousser les réalisatrices à aller plus vite et plus loin. Nous voulons les aider à être plus ambitieuses. Ce n’est probablement pas conscient, mais on remarque que les femmes ont parfois tendance à s’autocensurer. Elles restent souvent dans le registre familial, social. Très peu d’entre elles font des thrillers, des films gore, noirs... », explique Diana Elbaum. « Cela peut prendre trois ou quatre ans pour écrire un scénario. On peut facilement se sentir isolée et découragée. Le but du Boost Camp, c’est aussi de ne plus être seule dans son coin », ajoute Sarah Halfin, une jeune productrice impliquée dans le projet.

Trois des quatre réalisatrices: Rose Denis, Zoe Wittock et Eve Duchemin.

Les réalisatrices sélectionnées seront donc entourées, et pas par n’importe qui. Pour les encadrer, une série de personnalités du cinéma ont répondu à l’appel : des producteurs, des scénaristes, des monteurs mais aussi des vendeurs internationaux, des distributeurs, etc. Et parmi ces spécialistes, les femmes sont présentes en force. « C’est vrai que les experts invités dans les médias sont souvent des hommes, mais ici, on les a simplement choisis en fonction de leurs compétences. On cherchait des personnes talentueuses, pédagogues, et la sélection s’est faite naturellement. On ne s’est pas dit : “Tiens, il y a un peu trop de mecs, on va en rayer quelques-uns de la liste ” », raconte Annabella Nezri, une autre productrice à l’origine du Boost Camp. En pratique, les réalisatrices recevront des conseils sur leur film mais elles apprendront aussi à se vendre.

Des séances d’exercices de pitching et de prise de parole en public sont d’ailleurs prévues. « Le but, c’est d’avoir les outils nécessaires pour conquérir le marché. Même si leur projet n’est pas totalement abouti, les femmes doivent pouvoir regarder leur interlocuteur droit dans les yeux et affirmer : “Je travaille sur ça et ça va être génial” », précise Diana Elbaum. Et pour développer leur réseau, les filles du Boost Camp participeront aussi à des « Lunch in the City », des déjeuners axés networking. Le programme d’un an se clôturera par une cérémonie et une remise de prix, le 17 novembre. « Les réalisatrices pourront présenter leur long métrage aux producteurs, aux investisseurs, aux chaînes de télévision. Il ne restera plus qu’à saisir les opportunités », affirme Diana Elbaum. Une petite révolution belge!

>> Rencontre avec Sandra Fassio, l'une des lauréates du Boost Camp

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5 questions à Sandra Fassio

Sur 22 candidatures, Sandra Fassio a été retenue avec trois autres réalisatrices pour participer à la première édition du Boost Camp. Interview.

Un mot sur votre film?

J'ai déjà réalisé deux courts métrages dont un sur le Kanun (un code traditionnel albanais à l'origine des vendettas, ndlr). Aujourd'hui, je réalise un long métrage sur le même thème. Ce sera un film noir qui parlera de la responsabilité des femmes dans la transmission des codes d'honneur.

Un film noir réalisé par une femme, c'est rare?

Oui, c'est un fait mais moi je trouve ça plus marrant à écrire. Ce qui est intéressant dans le projet, c'est que le personnage principal est une femme. A l'origine, c'était un homme parce c'est toujours le cas dans ce genre de films. L'une de mes références en la matière, c'est «Le Parrain» par exemple. On est plongé dans un univers très masculin, très viril, ce sont des règles phallocrates qui dominent. On est tellement habitué à ce que les femmes soient absentes que je n'ai pas directement pensé à une héroïne. Je me suis demandé ce qui m'en empêchait et j'ai finalement créé un personnage principal féminin, des mères très dures, très violentes. J'ai de la chance d'être une femme parce que ça me permet d'inventer quelque chose de nouveau, d'amener de nouvelles perspectives. Si j'étais un mec, ce serait beaucoup plus dur.

Un avis sur le Boost Camp?

Dans mon parcours de réalisatrice, je n'ai jamais eu l'impression qu'être une femme posait problème, je ne me suis jamais sentie discriminée. Lorsque ma productrice m'a parlé du Boost Camp, je n'étais pas vraiment convaincue par le côté «discrimination positive» mais le fait d'y avoir participé m'a amenée à me poser plein de questions. Au final, l'expérience est super positive et je me dis que c'est important d'avoir des initiatives comme celles-là. Le programme nous aide à développer notre film mais aussi à nous vendre. Diana Elbaum dit souvent que les femmes attendent d'être à 120% de leurs capacités pour démarcher alors que les hommes se satisfont de beaucoup moins, et c'est vrai!

Votre expérience avec les autres réalisatrices? 

Magique! Ca a été un vrai plaisir de travailler avec elles. Dans les ateliers d'écriture classiques, les femmes sont souvent en minorité et on sent qu'on doit toujours faire sa place, se battre un peu plus que les autres. Je ne sais pas si c'est le fait de se retrouver entre filles mais on a ressenti une vraie énergie de groupe. Ces semaines ensemble nous ont procuré un sentiment de force et de liberté.

Un conseil pour les femmes qui veulent se lancer dans le cinéma?

Mon conseil serait le même pour les hommes: osez! On peut tout se permettre, il faut faire l'effort de regarder là où on se l'interdit habituellement.

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