Tout ce que vous ignoriez (peut-être) sur les personnes trans

Mis à jour le 10 avril 2019 par Laurence Donis
Tout ce que vous ignoriez (peut-être) sur les personnes transtrans

Pourquoi la sexualité n'a rien à voir avec la transidentité? On peut vraiment "changer de sexe"? Depuis quand la mode courtise-t-elle les personnes transgenres? Lentement mais sûrement, la situation bouge en Belgique... Retour sur les dix dernières années en dix dates clés. 

1. MAI 2007 - UNE RÉVOLUTION HAS BEEN

La loi relative à la transsexualité

En 2007, le changement officiel de sexe sur la carte d’identité devient une procédure administrative. Pour modifier la petite lettre M en F ou inversement, on oublie le passage devant le juge et on se rend directement à la commune. Cette nouvelle loi peut sembler révolutionnaire, mais en réalité les conditions d’obtention sont carrément inhumaines et contraires aux droits de l’Homme. Les personnes transgenres ne passent plus devant le tribunal mais sont obligées de se rendre chez un psychiatre, de subir des traitements hormonaux, des chirurgies très lourdes et même une stérilisation. « Ça peut sembler dingue mais à l’époque, la Belgique était pionnière en la matière », explique Barbara Ortiz, experte dans les questions relatives à la transidentité à l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes. « On a été critiqués au niveau international et on s’est vite rendu compte que la loi excluait beaucoup de monde. Toutes les personnes transgenres n’ont pas envie de se faire opérer et certaines ne peuvent simplement pas se le permettre. »

2. JANVIER 2013 ON DYNAMITE LES CLICHÉS

Les plans d'action interfédéraux

En janvier et en juin 2013, deux plans d’action interfédéraux de lutte contre les violences et les discriminations transphobes sont lancés. Concrètement, on y retrouve plein d’initiatives cool pour casser les stéréotypes sur les personnes transgenres et encourager la société à les accepter. « Les policiers ont reçu une formation, on leur a appris comment traiter les personnes trans de façon respectueuse. On lance aussi des campagnes de sensibilisation, on encourage les ateliers sur le thème de la transidentité dans les écoles... », indique Barbara Ortiz. « Il y a encore du boulot pour faire évoluer les mentalités mais on avance. Un nouveau plan d’action est en préparation. »

Hari Nef en cover du ELLE UK

3. AVRIL 2014 - TRANS MAIS PAS TRANSPARENTS 

L'adaptation de la loi anti-discrimination

C’est technique mais important (et pas que symboliquement) : en 2014, les termes « identité et expression de genre » sont intégrés dans la législation belge anti-discrimination. En résumé, toutes les personnes transgenres sont aujourd’hui protégées par la loi, et pas seulement celles qui ont subi une opération. « À l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, une plainte sur sept vient d’une personne trans et chaque année, on en reçoit davantage. Ça ne veut pas dire que les discriminations sont en hausse mais plutôt que les gens connaissent mieux leurs droits et osent porter plainte. C’est une évolution positive, ils savent où chercher de l’aide », explique l’experte de l’IEFH.

4. MAI 2014 LA COVER GIRL TRANSCENDANTE

Laverne Cox en Une du "Time"

C’est une jolie première pour le magazine : Laverne Cox, en talons hauts et robe moulante, squatte la couverture du « Time ». Un hommage fort à la communauté LGBT, un shoot de tolérance qui fait du bien. Forcément, placer une personne transgenre en cover c’est un choix marketing, mais c’est aussi l’opportunité d’informer et de sensibiliser. En 2015, Caitlyn Jenner fait quant à elle la Une du « Vanity Fair » et en mars dernier, c’est le top trans Valentina Sampaio qui était choisie pour le spécial mode du « Vogue » France. Le ELLE n’est pas resté à la traîne, loin de là. En 2011 déjà, l’édition brésilienne faisait de Lea T sa cover girl. Andreja Pejić, Hari Nef etValentina Sampaio ont suivi, respectivement en cover de ELLE Russie, ELLE UK et ELLE Brésil.

Laverne Cox en Une du Time

5. AOUT 2015 – LA FASHION REVOLUTION 

Un cast 100% transgenre chez &Other Stories

En 2015, la petite sœur de H&M décide de faire appel à une équipe entièrement transgenre pour sa campagne automne-hiver. Bim ! On y retrouve des mannequins, dont Hari Nef, le premier top trans à signer avec l’agence IMG, mais aussi des make-up artists, des coiffeurs, des stylistes et un photographe. Résultat? Des images léchées sur papier glacé mais aussi un petit making of en vidéo sur les questions d’identité et de genre dans la mode. & Other Stories n’est évidemment pas la seule marque à courtiser les mannequins trans. On pense aussi à Diesel, Nike, L’Oréal, Make Up For Ever, United Colors of Benetton ou Givenchy... Des grands noms qui peuvent booster les changements de mentalité et pousser les petites marques à se lancer.

& Other Stories

6. DECEMBRE 2015 – MÉTRO,BOULOT,DODO

Le Selor s'ouvre aux personnes trans

Le signe d’ouverture s’applaudit : le bureau de recrutement de l’administration fédérale prend dorénavant en compte les personnes transgenres, intersexuées et queer. Concrètement, le Selor remplace donc la mention M/F par M/F/X dans ses offres d’emploi. Une initiative qui donne le smile quand on sait qu’en Belgique, un peu plus d’une personne trans sur deux* ressent une discrimination à l’embauche. « Beaucoup de gens se font encore licencier lorsqu’ils annoncent leur changement d’expression de genre. Environ 15 % des personnes transgenres sont au chômage chez nous malgré leur niveau d’éducation généralement élevé. C’est le double de la moyenne belge ! Beaucoup d’entre eux cachent leur véritable identité par peur des réactions, ce qui est évidemment très difficile à vivre. Lors d’une étude de l’IEFH en 2007, 50 % des répondants trans affirmaient avoir des pensées suicidaires et 22 % avaient déjà réalisé une tentative », explique Barbara Ortiz. « Heureusement, de plus en plus d’entreprises nous contactent en demandant ce qu’elles peuvent faire pour accueillir un employé transgenre de manière respectueuse. Il y a dix ans, elles n’y pensaient même pas. »

* D’après une étude européenne comparative réalisée par la Fundamental Rights Agency.

7. AVRIL 2016 – LE BIG UP SUÉDOIS

La Suède promet d'indemniser les personnes trans stérilisées

Grand pas en avant pour le pays scandinave : le gouvernement veut dédommager les personnes transgenres qui ont été stérilisées à une époque dans le pays. En Suède, cet acte barbare a été supprimé depuis 2013 et de nombreux pays européens ont emboîté le pas à cette décision. Pendant ce temps, la Belgique fait toujours office de village gaulois qui résiste, et ce n’est pas positif. « Dans les travaux préparatoires de la loi de 2007 relative à la ‘transsexualité’, des juristes affirment que la stérilisation n’est ‘manifestement pas contraire aux droits de l’Homme’. Quand j’ai lu ça, j’ai failli tomber dans les pommes ! Il a fallu attendre 2017 pour que cette mutilation disparaisse chez nous. Je pense que c’est surtout dû à un manque de connaissance et à une indifférence par rapport au sujet », indique Brice Bernaerts, un avocat ayant participé aux discussions sur la nouvelle loi de 2017.

Numéro spécial du National Geographic sur les questions de genre

8. JUILLET 2016 - A VOS ORDRES MON COLONEL

L'armée belge intègre les personnes transgenres

Petit signe d'ouverture de la société belge, les militaires transgenres ne devront plus se camoufler pour s’engager dans l’armée. Un peu plus tôt, en avril 2016, c’est la Stib qui faisait un pas vers les voyageurs trans en leur permettant de changer de préom sur leur carte Mobib. Et en novembre dernier, Tinder suivait la cadence. Pour trouver un date, plus besoin de se définir comme un mec ou une fille, 37 choix sont dorénavant possibles... « L’initiative de la Stib est géniale. Une grosse société comme celle-là donne l’exemple et ça prouve que les mentalités évoluent. Pour l’armée en revanche, je suis un peu plus réservé. Les militaires transgenres sont obligés d’être suivis par un médecin, ça entretient la fausse idée que les personnes trans sont des malades mentaux », explique Louis, membre de l’association trans Genres Pluriels.

9. OCTOBRE 2016 - LA SANCTION EXEMPLAIRE 

Une compagnie d'assurance condamnée pour discrimination

En 2016, une compagnie d’assurance belge est condamnée pour avoir discriminé une personne transgenre. Le problème ? Elle voulait ajouter une clause dans un contrat d’assurance hospitalisation, indiquant que les frais liés au ‘changement de sexe’ de sa cliente ne seraient pas pris en charge. « C’est une décision très importante. On espère qu’elle fera office de jurisprudence parce qu’on reçoit énormément de plaintes contre les compagnies d’assurance. Elles essaient sou- vent d’ajouter des conditions spéciales pour les personnes trans, de ne pas rembourser certains frais, etc. Les opérations de changement d’identité de genre sont hors de prix et il y a très peu de médecins spécialisés en Belgique », raconte l’experte de l’IEFH.

Andreja Pejić pour Make Up For Ever

10. MAI 2017 – UN PETIT PAS... DE GÉANT

La Chambre approuve la nouvelle loi sur les personnes transgenres

Finally ! En mai dernier, la loi qui facilite la procédure administrative pour « changer de sexe » a été approuvée par la Chambre. Elle devrait entrer en application début 2018 ! Quoi de neuf ? Les personnes transgenres ne sont désormais plus forcées de subir une stérilisation et un examen psychiatrique. À partir de 16 ans, les mineurs peuvent aussi changer de prénom et de marqueur de genre, mais l’intervention d’un pédo- psychiatre est toujours requise. « La loi de 2017 présente des avancées majeures mais il reste des progrès à faire. On regrette le fait que l’avis d’un psychiatre soit toujours nécessaire pour les mineurs. La transidentité est toujours classée comme maladie mentale par l’OMS et il est temps que ça change. On aurait également préféré que l’enregistrement de genre ne soit pas considéré comme “ en principe irrévocable ”. C’est un souci pour les personnes de genre fluide », explique Brice Bernaerts. Autre problème: la nouvelle loi laisse encore place à des discriminations quant à l’accès à la santé ou le respect de la vie privée. En mai 2017, l’IEFH a lancé une grande enquête auprès des personnes trans pour connaître leur vécu en Belgique. Rendez-vous dans un an pour connaître les résultats... Espérons qu’il n’en faudra pas dix de plus pour que la situation bouge !

>> Témoignage

1/

Lea T en cover du ELLE Brésil

TÉMOIGNAGE

Louis, coordinateur du pôle jeunesse de l’association Genres Pluriels

« Je m’appelle Louis et j’ai 28 ans. Lorsqu’on me rencontre pour la première fois, on ne sait pas forcément que je suis transgenre. Mais dès que les gens l’apprennent, j’ai droit à une série de questions indiscrètes, du style ‘Tu fais comment au lit ?’ La curiosité est humaine mais ce n’est pas parce que vous avez une personne transgenre en face de vous, que vous pouvez tout vous permettre. Je ne demande pas à ma boulangère si elle a effectué une chirurgie vaginale... Je n’ai toujours pas pu modifier la mention de mon sexe sur mes papiers d’identité. La loi de 2007 est toujours d’application et je considère que ses conditions sont contraires aux droits humains. J’estime que l’État n’a pas à exiger que je passe par un psychiatre, une stérilisation forcée, etc. Le problème, c’est que mon établissement scolaire refuse de reconnaître mon identité et j’ai été obligé de suspendre mes études à cause de ça. La direction m’a informé qu’elle ne pouvait pas changer mon prénom sur les documents officiels à cause du système informatique. Pourtant, une étudiante trans a obtenu exactement ce que je demande il y a des années...

MODIFIER MON PRÉNOM SUR DES DOCUMENTS N’EST PAS JUSTE UN ACTE SYMBOLIQUE.

Ça a aussi des conséquences très pratiques. Si je veux postuler pour un job, je vais écrire mon C.V. au masculin mais mon diplôme sera au féminin. Je serai donc forcé de faire un coming out auprès de mon potentiel employeur. Et les études montrent que les personnes transgenres sont victimes de discrimination à l’embauche... Il faudrait une directive claire du cabinet Marcourt mais certaines écoles font déjà un effort. L’ULB a par exemple décidé de modifier son système informatique pour que les étudiants puissent utiliser leur prénom d’usage. C’est un super message. Le problème, c’est qu’une majorité d’écoles pensent encore que c’est interdit.

JE PENSE QUE LA SITUATION BOUGERA LORSQU’ON PARLERA MIEUX DES TRANSIDENTITÉS.

Forcément depuis dix ans, j’ai remarqué une évolution. Les discours sont plus nombreux que lorsque j’étais ado, mais pas toujours corrects. Ça reste encore un sujet nouveau pour beaucoup de personnes. Les personnes trans sont également plus présentes dans les films et les séries mais elles ne sont souvent réduites qu’à leur transidentité. Ça occulte parfois de vrais enjeux de société comme la discrimination à l’embauche, les problèmes d’accessibilité aux soins de santé, etc. Je conseille à tout le monde de regarder “ Her Story ”, une web-série où le personnage trans n’est pour une fois pas “ exotisé ”.Même s’il y a encore beaucoup de personnes conservatrices, j’ai l’impression que les gens sont plus ouverts au dialogue qu’il y a dix ans. Les tabous se lèvent doucement, je ressens moins de peur. C’est grâce aussi à l’activisme qui s’est développé en Belgique. Genres Pluriels a été créée il y a quelques années, par trois personnes qui ont constaté qu’il n’y avait aucune association trans chez nous. Aujourd’hui, il est beaucoup plus facile de trouver de l’information bienveillante. La Belgique a beaucoup de potentiel mais il ne faut pas se reposer sur nos lauriers. Tout n’est pas gagné.»

Petit lexique pratique

> > Une personne transgenre, c’est une personne dont l’identité de genre (le fait de s’identifier comme homme, femme ou entre les deux) est différente de celle qu’on lui a assignée à la naissance. On parle aussi de transidentités.

> > On évite le terme «transsexuel» (la sexualité n’a rien à voir là-dedans) et on ne parle pas de «changer de sexe». Comme l’explique Genres Pluriels, «le sexe d’une personne se définit par de nombreux critères (chromosomes, hormones, organes internes et externes...), certains non modifiables. Quels que soient les choix d’une personne trans quant à son corps, il est impossible de changer de sexe.» On préférera donc dire «changer d’expression de genre».

> > De 1993 à juin 2016, 885 personnes ont effectué la procédure légale permettant de changer la mention du sexe sur la carte d’identité. En Belgique, environ 3% de la population serait transgenre.

VOUS PENSEZ ÊTRE VICTIME D’UNE DISCRIMINATION ? 

Prenez contact avec l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes via le numéro gratuit 0800/12 800, par mail egalite.hommesfemmes@iefh.belgique.be ou sur le site http://igvm-iefh.belgium.be. Les dossiers sont traités gratuitement, en toute confidentialité et toujours avec l’accord de la personne qui a introduit le signalement.