Sugar babies: un phénomène qui explose en Belgique?

Mis à jour le 22 janvier 2018 par Laurence Donis
Sugar babies: un phénomène qui explose en Belgique?sugar babies

Un homme, âgé et fortuné, qui entretient une femme jeune, belle et fauchée, le concept ne date pas d’hier... Mais après la pub géante du site «Rich Meet Beautiful» postée devant l'ULB, il est temps de refaire un petit point sur le phénomène des sugar babies. Décryptage et témoignages. 

Vous n'avez pas pu passer à côté: lundi dernier, un panneau publicitaire immense monté sur une remorque tournait autour l'ULB. Son message s'adressait exclusivement aux filles: «Hey, les étudiantes! Améliorez votre style de vie, sortez avec un sugar daddy.» A côté, une photo gros plan d'une femme enlevant son soutien-gorge. Classe... La pub sexiste du site «Rich Meet Beautiful» a rapidement fait le (bad)buzz: une plainte a été déposée par l'Union des Étudiants de la Communauté Française et une autre auprès du Jury d'éthique publicitaire (JEP). Le JEP devrait l'analyser mardi prochain et la campagne pourrait alors être stoppée et condamnée. Du côté des ministres, la pub a aussi du mal à passer, Isabelle Simonis, Jean-Claude Marcourt ou encore la secrétaire d'Etat Bianca Debaets ont annoncé qu'ils porteraient plainte.

Sugar babies/Sugar daddies, retour sur un phénomène grandissant en Belgique

En 2011, la plate-forme Seekingarrangement.com voit le jour aux états-Unis. Son but : offrir à des hommes mûrs, baptisés « sugar daddies », la possibilité de nouer des relations avec des femmes jeunes, souvent étudiantes, les « sugar babies », et de les entretenir en échange de quelques « faveurs ». Trois ans plus tard, la plate-forme se lance sur le marché français, faisant dans la foulée de nombreux adeptes chez nous, comme en témoignent les centaines de profils de sugar daddies belges présents sur le site.

Depuis, l’idée est devenue un phénomène et des dizaines de sites, fondés sur le même principe, sont apparus, proposant un abonnement mensuel à des hommes qui recherchent « de la compagnie » en échange de « récompenses ». Et chez nous, le concept fonctionne plutôt bien... Le site américain SeekingArrangement se targue d’avoir attiré pratiquement 20 000 belges. Présent en Belgique francophone depuis janvier 2016, Sugardaters affirme aussi compter des milliers membres. « Le nombre de nouveaux inscrits augmente à un niveau record comparé à nos autres marchés. Chaque semaine, nous enregistrons en moyenne 400 nouveaux membres, avec un pic avoisinant 700 en une semaine. Pour comparaison, le nombre moyen de nouveaux membres en France par semaine est de 80 pour une population six fois supérieure », nous explique Rikki Tholstrup Jørgensen, le fondateur de Sugardaters.

Une demande à 90% masculine

Sugar daddies, sugar mommies, sugar babies, les termes utilisés entretiennent la confusion… « Ca donne l’illusion d’une relation de confiance, d’un père ou d’une mère qui gâte son enfant, explique  Pierrette Pape, coordinatrice du Lobby européen des femmes. Ces sites jouent avec les notions de “papa gâteau” et de “maman gâteau” pour faire croire qu’il y a une réciprocité dans l’échange. Pourtant, la demande y est à 90 % masculine. » La particularité du marché belge, c’est aussi la proportion plus élevée de toy boys et de sugar mamas. Mais ces dernières sont encore loin de s’imposer comme la norme. Les chiffres le confirment : sur Seekingarrangement.com, on trouve 100 000 profils de sugar daddies et 20 000 sugar mommies pour 900 000 sugar babies féminines et 200 000 sugar babies masculins… No comment.

Test à l’appui, il suffit de s’inscrire sur l’un des sites pour que les choses se précisent très rapidement. À côté des questions habituellement posées sur les sites de rencontre, il est d’emblée demandé à la canditate sugar baby de sélectionner le « mode de vie » qu’elle souhaite obtenir. Sur seekingarrangement.com, les choses sont très claires : « Le mode de vie choisi est le montant que vous attendez de votre sugar daddy ou de votre sugar mommy pour entretenir votre train de vie. » Et plus loin : « C’est le montant de l’aide, de l’“indemnité” que vous souhaitez pour vous aider à payer vos factures, vos frais scolaires, ou toute autre forme de chouchoutage : cadeaux, voyages, repas… »

De son côté, le sugar daddy potentiel doit, quand il s’inscrit, préciser dans quelle fourchette de revenus annuels il se trouve, de « moins de 50 000 $ » jusqu’à « plus d’1 million de $ ». Il doit aussi préciser la valeur totale de son patrimoine et le mode de vie qu’il compte offrir à sa sugar baby. Une fois ces questions réglées, le sugar daddy peut contacter les filles. Et, là encore, c’est sans ambiguïté : les messages vont droit au but, proposant souvent un échange d’adresses mail, de numéros de téléphone et un rendez-vous dès la première prise de contact. Les hommes qui arrivent à ce stade de l’« échange » gagnent en moyenne 200 000 $ par an (environ 150 000 €) et en dépensent 3 000 (environ 2 200 €) chaque mois pour une ou plusieurs sugar babies. Quarante pour cent d’entre eux sont mariés et leur âge moyen est de 39 ans.

Prostitution?

Le vocabulaire est spécialement choisi pour éviter les questions de « sexe » et de « tarif », à la connotation sulfureuse… Une astuce qui permet à ces plates-formes de s’installer dans une zone indistincte, non contrôlée, entre le site de rencontre et le réseau de prostitution. Pierrette Pape ne se laisse pas berner par ce flou lexical : « Ça a l’air élégant, et pourtant, cela saute au yeux : nous sommes en plein dans la marchandisation du corps. Même si c’est fait de manière sournoise, il s’agit bien d’une forme de prostitution. »

«À partir du moment où il y a un acte sexuel et une rémunération, on parle bien de prostitution », nous indique Quentin Deltour, coordinateur à l’Espace P de Lièe. Cette association vient en aide aux travailleurs du sexe depuis 1988. « En Belgique, la prostitution n’est pas interdite et chaque personne majeure a la liberté de disposer de son propre corps. Nous rencontrons nombre d’hommes et de femmes qui ne se considèent pas comme des prostitués. Ils n’ont pas envie de se définir comme cela, parce qu’il existe encore une forte stigmatisation dans notre société. » Et les sites de « sugar dating » en jouent. Quentin Deltour y voit un argument marketing : « De plus en plus de platesformes essaient de se démarquer en proposant un concept nouveau, alors que cela reste finalement de la prostitution. Le fait que les sugar babies n’aient pas l’impression de se vendre, ça les arrange. »

Sugar babies et princesses Disney, même combat ?

« Toutes les femmes ont un jour rêvé d’être une princesse et, à mesure qu’elles grandissent, elles souhaitent être traitées comme des reines. » C’est ainsi que Brandon Wade, fondateur de Seekingarrangement.com, expliquait l’intérêt de son site dans une interview au Huffington Post. « Les dessins animés Disney ont mauvaise presse auprès des féministes et des gens réalistes, poursuit-il. Pas étonnant, à partir du moment où seules quelques héroïnes de la vraie vie arrivent à se débrouiller sans l’aide d’un prince charmant ! »

Une vision du rapport homme/femme qui est non seulement particulièrement rétrograde, mais qui peut surtout s’avérer dangereuse. « Nous sommes en plein dans les stéréotypes sexistes, s’indigne Pierrette Pape. Si certaines petites filles rêvent d’être des princesses parce qu’elles sont formatées, il n’en existe aucune qui rêve d’être prostituée. » Quand on essaie de savoir qui sont les sugar babies, on découvre pourtant qu’elles sont loin d’être des oies blanches, un peu écervelées, qui ne se rendent pas compte de ce à quoi elles s’engagent.

Film "Sugar Babies"

Un phénomène qui touche les étudiantes

Un article paru dans Le Figaro révèle ainsi que, sur les 40 000 sugar babies françaises inscrites sur le site, 7 500 sont étudiantes. Dans Le Monde, l’une d’entre elles, Cécile, 26 ans, confie que « cinq généreux bienfaiteurs réguliers lui assurent, selon les mois, entre 3 000 et 4 000 euros d’argent de poche, intégralement versés en liquide ou sous forme de cadeaux. » Ce qui la rend différente d’une prostituée ? « Une relation suivie, des hommes qui la traitent comme une princesse et l’impression de pouvoir choisir. » Mais s’agit-il vraiment d’un choix ? On peut se poser la question quand on sait, comme le rappelle Pierrette Pape, que « 90 % des filles qui se prostituent disent que si elles en avaient la possibilité, elles arrêteraient. Elles commencent pour des raisons économiques, et, ensuite, elles n’arrivent pas à décrocher… Parce que, souvent, il ne s’agit pas d’un choix réel et qu’elles se trouvent prises dans un engrenage. »

Le constat est un peu glauque, effrayant, d’autant plus que rien de tout cela n’est illégal, comme l’explique Tine  Hallevoet, porte-parole de la Police fédérale belge. « Il n’y a pas de mineurs, pas de violences et, d’ailleurs, la prostitution n’est pas interdite en Belgique. De plus, le site est américain. Si des faits de cet ordre étaient signalés, c’est devant la justice des états-Unis que  seekingarrangement.com devrait en répondre. Quant aux sugar daddies et sugar babies belges, ils ne risquent rien en se rendant sur ce type de plate-forme. » Dommage… « C’est une interprétation facile, s’indigne le Lobby européen des femmes. Il faut oser dire que c’est un proxénétisme 2.0, via les réseaux sociaux, via internet. Faire du profit sur des relations tarifées entre hommes et femmes, c’est interdit. » Et du profit, Brandon Wade en fait effectivement et, pas qu’un peu, puisqu’il dégage un bénéfice annuel de 10 millions d’euros avec Seeking Arrangement.

Une mauvaise image de la femme

Et puis, rappelle encore le Lobby européen des femmes, « quand on fait passer le message que le corps d’une femme est une marchandise, toutes les relations sont alors affectées : professionnelles, de couple, amicales. La notion de respect est bafouée. Même si les jeunes garçons ne sont pas directement concernés, ils se construisent une image négative des rapports entre hommes et femmes. » Caroline, escort girl, met elle aussi en garde les jeunes filles qui seraient tentées de se faire de l’argent facile : « Ce métier entraîne une perte d’identité, c’est un monde qu’on ne connaît pas. Une fois qu’on y entre, on devient différentes des autres femmes. On devient la fille que les hommes veulent que l’on soit et ne sait plus qui on est. Les cheveux, les ongles, le corps, tout est destiné au travail. Qu’est ce qui reste ? Rien. On n’en sort pas. C’est une toile d’araignée, que l’on tisse au fur et à mesure des années. Tout ce qu’on peut faire, c’est grimper en haut de la toile et devenir escort. La drogue, il est possible de s’en sevrer, l’argent facile, jamais. »

>> Témoignages

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Martin, 22 ans, toy boy

"Je suis originaire de Dunkerque, une ville en crise, je me suis donc vite résolu à partir. Il y a deux ans, je me suis installé en Belgique pour mes études, je suis aujourd’hui en deuxième année de master en communication des entreprises à l’ULB. C’est là que tout a commencé. Mes parents ne sont pas issus de la classe supérieure et lorsque je suis arrivé à Bruxelles, j’ai vite compris à quoi se résumait la vie d’un étudiant. L’argent dont je disposais servait à payer mon loyer et ma nourriture, mais ça s’arrêtait là. Je devais compter chaque centime, je m’ennuyais. J’ai gardé ce train de vie pendant un petit moment jusqu’à une discussion avec une amie très proche, Hélène. Elle m’a raconté comment elle gagnait sa vie : elle est sugar baby. Par curiosité et pour m’amuser, je me suis alors inscrit sur SeekingArrangement.

On m’a proposé une somme d’argent pour une seule nuit, mais je n’étais pas prêt. Ce n’était pas du tout l’image que je me faisais de ces relations. Je me suis finalement créé un profil sur le site Sugardaters sans vraiment y croire. Je pensais que seules les filles étaient sollicitées, il s’est avéré que non. J’ai rencontré Marianne, ma sugar mama, assez rapidement. Sa description de profil était plutôt claire : “J’aime les jeunes hommes, et coucher avec eux.” Nous avons discuté en ligne pendant une semaine environ avant de se rencontrer dans un bar de Bruxelles. Tout s’est déroulé très naturellement, elle était intéressée par moi et inversement. C’était juste un “date” comme un autre, excepté le fait qu’elle avait vingt ans de plus que moi. Nous nous sommes revus chez elle. Elle m’a servi un verre et elle m’a sauté dessus. Cela fait maintenant huit mois que nous sommes en contact, nous nous voyons en moyenne deux fois par semaine.

Quand je me suis inscrit sur Sugardaters, j’ai trouvé Marianne en une semaine et demie. Cela prouve que les sugar mamas ne sont pas si rares que ça. Elles sont souvent très indépendantes, mais je pense que la plupart d’entre elles se sentent seules. Elles ont envie de recevoir de l’attention et veulent s’amuser. D’après ce que disent mes amies sugar babies, les sugar dad-dies, eux, cherchent avant tout des rencontres tarifées. Elles ne sont jamais restées avec un homme plus de trois mois, par exemple. D’après moi, être toy boy, c’est une façon de croquer la vie à pleines dents sans se soucier de l’argent. Marianne me permet d’avoir accès à tous les petits “extras”, elle agit un peu comme un sponsor pour ma vie personnelle. Elle m’offre des cadeaux, nous faisons du shopping et nous allons régulièrement au resto, boire des verres, etc. C’est elle qui décide où nous allons et qui règle l’addition.

Marianne dirige, elle a le pouvoir, mais cela ne me dérange absolument pas. Je trouve que cela rend la relation encore plus intéressante. Les week-ends, nous partons généralement dans des coins sympas: Prague, Budapest, Munich ou encore Copenhague. Un jour, ma sugar mama a voulu me payer une voiture, mais j’ai dit non. Je n’en ai pas besoin, je ne suis pas un chercheur d’or. Notre relation ressemble à n’importe quelle autre. Nos moments ensemble ne sont pas tarifés, je n’ai jamais reçu d’enveloppe contenant de l’argent, par exemple. Nous ne faisons pas l’amour à chaque fois que nous nous voyons. Le sexe tient une place importante, mais ce n’est pas le but de la relation. Je me suis posé beaucoup de questions au début mais je ne considère pas que ce que je fais relève de la prostitution.

Je vis une vraie relation avec Marianne, même s’il est vrai que les termes de notre histoire sont plus définis. Je pense qu’elle s’est attachée à moi et elle me traite avec respect. Seuls deux amis sont au courant de ce que je fais. Ma famille ignore tout. Je crois que la génération de mes parents ne pourrait pas comprendre. Je ne me vois pas toy boy toute ma vie. J’arrêterai le jour où j’aurai davantage de moyens financiers mais, pour le moment, ça me distrait et ça me fait plaisir. Si je tombais amoureux d’une fille, ce qui est très hypothétique, je cesserais évidemment mon activité. Bien sûr, on s’habitue au luxe et aux petits extras, mais c’est surtout la maturité intellectuelle de Marianne qui me manquera. J’ai du mal à retrouver cela chez les autres filles de mon âge. Ma sugar mama a beaucoup d’expérience et c’est un aspect qui m’attire énormément. Les relations stables ne l’intéressent pas, la maternité non plus. Et c’est notamment pour cette raison que notre histoire fonctionne. Nous vivons au jour le jour, sans prises de tête et sans attaches. Nous apprécions les moments passés ensemble, mais si cela devait se terminer, cela ne nous poserait pas vraiment de problème. »

 

Film "Toy boy"

Isabelle, 23 ans, sugar baby

Escort, elle entretient une relation avec un « papa gâteau » de 70 ans.« J’ai commencé à me prostituer à 18 ans. J’avais un enfant, je voulais subvenir à ses besoins. Avec internet, il est très facile de se lancer. J’en ai rapidement fait mon métier. Cela fait des années que j’ai un sugar daddy. J’ai aussi d’autres clients, mais lui bénéficie d’un statut particulier. Concrètement, je le vois trois jours par mois. Il paie moins cher la nuit que mes autres clients. C’est le privilège de la “fidélité“, une sorte de contrat entre nous. Mes activités me permettent d’avoir un train de vie élevé. Je gagne plus de 3 000 euros par mois. Ce qu’il recherche ? Que je sois jeune.

Des belles filles, il y en a partout, mais je suis jeune. Je sais me tenir, je sais ce qu’il aime, ou pas. Je m’intéresse à lui, on a un lien qu’il ne trouve pas ailleurs. Cette relation n’est pas simple. Après des années, la barrière entre vie privée et professionnelle s’effrite. Je lui ai dévoilé des informations personnelles, je me suis rendue plus vulnérable. Avec le temps, il a fini par croire qu’on est amis. Il se permet de me donner des conseils sur ma vie privée. C’est malsain. Il me téléphone quand il a un problème, sur mon téléphone privé.

Il a tendance à me confondre avec une petite amie. Il ne m’a jamais proposé qu’on “se mette en couple“. Heureusement. Il est réaliste. Quand nous nous voyons, les conversations sont passionnantes, il m’apprend beaucoup de choses. Il a beaucoup d’expérience, il est très cultivé. Suis-je heureuse ? Je gagne bien ma vie, c’est vrai, mais la normalité me manque : rentrer du boulot et raconter ma journée à quelqu’un. Je fréquente peu de personnes qui ne font pas partie du milieu. J’aimerais m’arrêter un jour. Malheureusement, pour l’instant, c’est impossible. Je ne peux pas renoncer à mon niveau de vie".

Marie Guérin et Laurence Donis