Voir Un Sac de Billes

Mis à jour le 16 février 2018 par Elisabeth Clauss
Voir Un Sac de Billes

Un film sur deux gamins qui sillonnent la guerre. Pour comprendre, s'attendrir et mettre en perspective une situation pas si lointaine d'autres réalités actuelles.

On rencontre Patrick Bruel, qui interprète le rôle du père des enfants, à l'Hôtel Plaza à Bruxelles, pour un déjeuner entre deux interviews. Peu de temps, mais la conviction et la ferveur sont authentiques, le chanteur comédien est rôdé à l'exercice, et l'essentiel de son besoin de transmission à travers cette nouvelle interprétation du roman autobiographique de Joseph Joffo roule comme une bille bien envoyée.

Tournage Un sac de Billes

Si au moment même d'accepter le projet, Patrick Bruel n'a pas directement pensé aux applications contemporaines de la problématique des populations déplacées et des familles séparées, il a de toute manière estimé qu'il était important de traiter le sujet, « car on rentre dans la période de l'oubli. Si Steven Spielberg ne menait pas son projet de collection de mémoires, d'une génération à l'autre, la vérité intime des survivants disparaîtrait. Les enfants pourraient ne pas connaître la plus grande tragédie du XXe siècle. »

Patrick Bruel par Ganaëlle Glume
Patrick Bruel par Ganaëlle Glume

D'ailleurs, ce sont des enfants, les jeunes comédiens du film, qui ont achevé de le convaincre du bien-fondé de se relancer dans un film sur la mémoire. Cette transmission aux nouvelles générations, il en fait un devoir : « pour expliquer, il faut savoir. Ne pas aborder la question de la crise de 29 quand on enseigne la deuxième guerre mondiale est une hérésie. Il faut mettre en perspective la montée du populisme du nationalisme, le renforcement des intégrismes, et le repli sur soi. Nous vivons un moment de l'histoire qui oublie sa source, et tout pourrait recommencer, sous une autre forme. La didactique de ce film est un appel à la vigilance, bien au-delà de l'antisémitisme qui y est  abordé. »

Tournage Un sac de Billes

Un sac de Billes raconte l'histoire de deux frères qui fuient Paris au cœur de la guerre pour tenter de passer en zone libre. Ce sont des enfants, c'est une histoire vraie, et leur parcours de gamins stigmatisés obligés de se recréer un équilibre pour survivre pose des questions universelles. Patrick Bruel, analyse : « il y a des films intéressants à faire, et des films intéressants à défendre. L'art doit être politique. Or, il n'est pas toujours facile pour un artiste être engagé. Lorsqu'il a reçu son prix Nobel en 1957, Albert Camus a déclamé un magnifique discours (dit « le discours de Suède ») à ce sujet. Au moment où l'Europe est fragilisée, nous sommes tous obligés de trouver le courage de sortir de notre zone de confort. »

Pour autant, ce film est familial, est très accessible. C'est toute sa grâce. Il interroge le jeune public, et replace les adultes devant le devoir de conscience et de responsabilité. Pour Patrick Bruel, « ce film fait son travail : il ouvre la curiosité et la compassion. Il touche, et il interroge. » Plus tôt ce jour-là, l'artiste avec toute l'équipe était allé présenter l'opus dans une école bruxelloise. Les enfants en ont été bouleversés : « ils ont compris qu'il s'agissait d'exclusion, et pas seulement d'antisémitisme. Ils ont perçu que le propos concernait tous les enfants ostracisés. Par exemple, à l'égard de certains élèves musulmans qui portent le fardeau de la stigmatisation, le film a fait écho et dépassé son sujet. Chacun, à sa façon, a ressenti la douleur de se sentir condamné pour sa différence. Ça secoue dans les écoles, et c'est ce que j'espérais. À chaque vision du film, dans chaque contexte sociologique différent, le débat s'élargit. Se dresser contre l'antisémitisme ou le racisme, c'est s'élever contre la stigmatisation. Accroître la vigilance pour traiter toutes les formes de discrimination. J'ai vu une fillette s'effondrer en larmes à ce qu'elle réalisait qu'elle ne supportait plus la dureté des regards sur elle. J'ai d'ailleurs lancé il y a quelques années une campagne contre le harcèlement scolaire, et écrit une chanson : « Maux d'enfants ».

Le réalisateur Christian Duguay et Dorian Le Clech
Le réalisateur Christian Duguay et Dorian Le Clech

Joseph Joffo, le gamin du film, devenu un charmant vieux monsieur auteur du livre qui raconte sa propre enfance, raconte que « au départ, avec Patrick Bruel j’avais un doute, mais c’est un immense comédien et il a campé mon père de manière extraordinaire. Elsa Zylberstein a été incroyable et Christian Clavier incarne tellement bien le personnage du docteur Rosen qu’il m’en a fait oublier son rôle culte de Jacquouille la Fripouille. C’est dire ! (…) Pour moi, Christian Duguay a fait le film de sa vie (NDLR : de la sienne, en réalité). A l’heure actuelle, l’histoire que j’ai vécue résonne de manière particulièrement forte. À cause du terrorisme, des enfants sont contraints eux aussi de fuir. Comme nous il y a 50 ans, ils se retrouvent sur les routes, totalement isolés et livrés à eux-mêmes. J’espère que le film nous incitera à nous interroger sur le destin de ces enfants et de ces familles déchirées. »

Dorian Le Clech et Christian Clavier
Dorian Le Clech et Christian Clavier

Un film à voir en famille avec des enfants en âge de comprendre les méandres de l'Histoire, pour découvrir deux jeunes comédiens bluffants, Dorian Le Clech et Batyste Fleurial. Pour s'émouvoir devant le jeu impeccable d'Elsa Zylberstein, et observer sous un autre angle des seconds rôles castés à contre emploi, ce qui est toujours intéressant : Kev Adams, Bernard Campan, Christian Clavier… Pour s'émouvoir, expliquer, et se raviver la mémoire.

Actuellement en salle

https://youtu.be/7-87KU2d2zA

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