On a testé: la méditation orgasmique

Mis à jour le 20 février 2024 par ELLE Belgique
On a testé: la méditation orgasmique

Quinze minutes de méditation sexuelle par jour, ça vous changerait la vie. Enquête à San Francisco.

De notre envoyé spécial Cédric Godart.

Le bâtiment donne sur Market Street, à mi-chemin entre le centre nerveux de la ville et les belles maisons victoriennes. Celles qu’on voit dans les films et qu’occupe maintenant la génération tech. Mais dans l’immeuble où est installé OneTaste, l’association vouée au plaisir féminin, l’ambiance est plus post-industrielle et la première volée d’escaliers presque inquiétante. Qui vais-je rencontrer dans ce lieu dédié à l’orgasme ? Une secte de pervers ? Des bourgeoises qui s’ennuient ? Un groupe déjà soudé  dont je me ferai éjecter ?

Tout est bien plus fluide que prévu et tout va très vite. Ici, on décline son identité, on vient pour TurnON, c’est par ici, au fond du grand couloir. Quelques bureaux semblent occupés pour des consultations. Dans une petite salle, on vous propose un verre d’eau, on vous rassure si nécessaire. Vous ne savez pas très bien ce que vous êtes venu chercher, mais ceux qui sont là ont un air banal – la banalité est rassurante.

TurnON est le premier contact soft avec la méditation orgasmique, OM pour les intimes. Cette réunion hebdomadaire se tient à 20 h, le mercredi. Une trentaine de personnes se pressent, s’acquittant du modeste droit d’entrée : 10 dollars, soit 8,5 euros.

Mon regard est partout à la fois. Des femmes, des hommes, des couples. La plupart se connaissent. Certains sont amis. Je suis un nouveau venu. On me repère. Le mot est donné : ne laisser personne sur le bord de la route.

Deux coaches – une femme, un homme – animent la soirée. Assis sur une chaise haute, ils annoncent la couleur : des questions seront posées, la prise de parole accordée à tous, à tour de rôle. On se présente en confiant aux autres un secret. Quelques secondes par personne seulement, impossible de réfléchir vraiment. On ne rit pas. On ne commente pas. On écoute. On se connecte aux autres sans jugement ni a priori. Ils ont 25, 35, 45, 60 ans. Sont venus chercher des amis. N’ont personne à qui parler. Celle-là n’a jamais connu l’orgasme. Un homme a tout perdu (sa femme, son argent). Parfois, on rougit. On se sent traversé par une vague de chaleur. Comme une attirance de nature sexuelle, mais qui est peut-être juste de l’ordre de l’inconfort face à l’impudeur. L’exercice le plus percutant ? On est seul, assis sur une chaise, face aux autres, sous le feu des questions, rapides, dynamiques, tous sujets confondus. On a pris la parole en public pour dire sa vérité.

À ceux qui veulent aller plus loin, l’association propose d’autres activités, du coaching, des thérapies et des ateliers de méditation orgasmique. Cela se déroule notamment sous forme de workshop du  samedi, qui se termine par une initiation de quinze minutes à l’OM. Il me faut être honnête, je n’ai pas franchi ce pas... à ce jour.

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  • La méditation orgasmique en pratique

La méthode préconisée par l’association s’appelle OM, pour méditation orgasmique. Nicole Daedone l’a testée plus de 1 000 heures sur elle-même. La séance peut être quotidienne. Elle se limite à 15 minutes durant lesquelles la femme, allongée, enlève le bas, les jambes ouvertes en papillon. Le partenaire (masculin ou féminin) reste habillé et porte des gants, qu’il lubrifie.

Il s’assied près d’elle et applique des rotations précises sur son clitoris à l’aide de son pouce gauche. Il décrit ce qu’il voit (couleur, texture, forme). Le dialogue est encouragé. Pendant, après surtout. Dans la phase d’initiation, un coach est présent, il s’efface ensuite. Ce n’est pas étrange, un inconnu qui vous touche ? Une participante me remet à ma place de néophyte : « Peut-être la première fois, oui. Ensuite, non. C’est un moment de partage. Ce n’est pas ce que les gens pensent. Et ce que les gens pensent n’a pas sa place ici. »

Pour la femme, l’OM représente comme une « douche hormonale » dont la finalité n’est pas le climax, mais permet d’éveiller (ou de réveiller) le désir. Pour l’homme, l’OM n’autorise pas la masturbation. Il est invité à écouter sa partenaire et maîtriser son propre désir. L’éjaculation représente dans ce cas une rupture de l’énergie sexuelle. Elle n’a pas sa place. Au terme de la pratique, l’homme arrête la tumescence d’une forte pression de la paume. Le désir disparaît. Enfin, pas toujours, me confie-t-on à demi-mot.

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  • Nicole Daedone, un gourou ?

San Francisco, berceau de la révolution sexuelle de la société occidentale vers la fin des années 1960. Pas étonnant qu’en 2001, Nicole Daedone s’y installe dans le quartier de SoMa (industriel, en pleine reconstruction) et pose les jalons d’une pratique ancrée dans sa propre expérience de la sémantique, du yoga, de la Kabbale et de la méditation bouddhiste. Elle crée OneTaste. Son livre « Slow Sex », paru en 2012, est un succès. Pour Vanity Fair, elle est l’une des « 12 femmes qui changent le regard que nous portons sur le sexe ». Aujourd’hui, Daedone est considérée comme la figure du slow sex, un mouvement idéologique proche de la slow food.

Quatorze ans plus tard, l’association ne s’est jamais aussi bien portée. Ancrée à San Francisco et New York, elle entend créer un environnement propre, éclairé, sans jugement, où les femmes, les couples peuvent librement parler de mieux explorer leur intimité. Aujourd’hui, présente dans plusieurs grandes villes américaines, elle a installé son quartier général européen à Londres. Des événements itinérants et des conférences y sont organisés chaque semaine.

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  • Ceci n’est pas une forme de préliminaire

La pratique tend-elle à modifier la sexualité ? Une participante, Lee, m’éclaire : « Cela dépend d’une personne à l’autre, en fait. Il n’y a pas de règle. Pour moi, ce fut une libération sexuelle, mais je viens de loin. Personne ne parlait de ça dans ma famille. Pour certains, cela permet d’élargir les horizons. D’autres expérimentent, explorent. J’ai vu des couples complètement transformés par leur participation aux ateliers, comme des animaux retenus en cage trop longtemps. Sans doute cela se stabilise-t-il avec le temps. »

Il ne s’agit pas d’une forme de préliminaires amoureux, me corrigent plusieurs participants à qui je pose des questions durant la soirée : « On nous attribue des séances de masturbation collective. Ceux qui le pensent sont vite écartés… ou découragés, déçus. Tant mieux ! »

Mais tout de même, Nicole Daedone a peut-être bien réinventé, avec sa pratique, l’amour charnel sous la forme d’une infinité de préliminaires, mais surtout d’un acte insoumis à l’éjaculation masculine : la femme a repris le pouvoir. Une idée que Daedone défend avec vigueur.

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  • Ils racontent

Karenn, 44 ans, de San Francisco

« J’y suis allé parce que je me sentais seule. J’y suis allée parce que je me sentais nulle au lit. J’y ai rencontré un mec qui n’avait rien à voir avec le type d’homme que je cherchais, vingt ans plus âgé que moi. Mais au-delà de ça, j’ai appris à accepter que mon absence de désir était juste une absence d’éveil au désir. Je ne pratique pas tous les jours, mais plusieurs fois par semaine, avec mon partenaire. L’effet le plus étonnant, c’est l’affirmation de soi dans ma vie professionnelle. Peut-être que tout était lié : sexe, stress, désir, échecs amoureux. »

Jeff, 35 ans, de Berkeley

« Nous ne vivions pas sur la même planète. J’imposais à ma femme le coït en essayant de la faire jouir. Et j’étais obsédé par mon propre plaisir. Je ne connaissais rien aux femmes avant de démarrer ce coaching. Mais pour ma défense, je dirais que ma femme n’avait pas la moindre idée de son plaisir, en tout cas pas de mots pour me l’expliquer, avant. Nous avons tous les deux grandi en pratiquant. Et je me suis rendu compte qu’en supprimant l’éjaculation, mon énergie sexuelle s’éteint moins rapidement. Elle imprègne un peu plus notre vie de couple, un peu moins des moments précis et isolés. »

Kirstenn, 51 ans, de Santa Cruz

« J’y vais, je n’y vais plus. C’est un peu au gré de mes chutes et rechutes. J’y ai trouvé mes meilleurs amis. En tout cas des personnes avec qui je peux aborder des pans de ma personnalité qui sont éteints en société. Je ne pratique pas l’OM sur base régulière. Pour moi, c’est avant tout un lieu de socialisation où je me force à dire ce que je suis, ce que je ressens, en public et sans qu’on me juge. Tout ce que le monde professionnel n’est pas... Surtout ici, dans la Silicon Valley. »