Passer 24h en Louboutin

Mis à jour le 23 janvier 2018 par Elisabeth Clauss
Passer 24h en Louboutin

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Quand le chausseur français vient battre le pavé bruxellois, notre journaliste Elisabeth Clauss est dans les starting blocks.

07 h 01 Je saute sur mes pieds à la première sonnerie du réveil parce qu’aujourd’hui, j’ai rendez-vous avec Christian Louboutin.

07 h 02 Je titube parce que je n’ai pas l’habitude de marcher à plat, même à l’aube. J’ai un standing à tenir.

07 h 05 C’est parce que je prends des forces avant le marathon de la journée : Louboutin m’a demandé de lui faire découvrir Bruxelles.

07 h 11 Je reçois un sms de ma copine Joséphine, qui me dit de faire gaffe à ne pas me tordre le pied aujourd’hui, lol, smiley.

07 h 19 J’engloutis mon petit déjeuner, en lui textant de retour qu’elle fiche les pieds dans le plat si elle s’imagine que c’est à plat que les femmes se font des entorses.

07 h 28 Comme Christian me le confirmera lui-même plus tard, c’est en baskets qu’on se bousille le plus souvent les chevilles. Parce que sur 12 cm au-dessus du niveau de la mer, on fait autrement gaffe à la façon dont on pose ses arpions.

07 h 36 Je me plante devant mon placard à chaussures, pour choisir celles avec lesquelles j’entends rencontrer le créateur qui invente pour les femmes des ergots aux semelles rouges comme le sang. ça ira vite, j’en ai plein.

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09 h 57 J’ai opté pour un modèle discret et quasi plat, 8 cm, de Givenchy, en guipure. Quasi des pantoufles.

10 h 30 Je débarque, ravie et en retard, dans la boutique du Sablon. On m’attend avec un plateau de petit-déj’ de chez Wittamer.

10 h 35 J’ai toujours encouragé les relations de bon voisinage, demandez au juge de paix qui gère les procès de ma copro. Je trouve ça charmant de la part de l’équipe de la boutique d’avoir prévu de quoi me sustenter en se fournissant chez le merveilleux pâtissier d’à côté.

10 h 46 En fait, je ne peux rien avaler. Je suis trop occupée à essayer de respirer parce que j’hyperventile depuis que j’ai regardé l’étalage d’escarpins.

10 h 58 Habituées, les vendeuses m’allongent sur un divin divan de velours, les jambes en l’air.

11 h 00 C’est plus pratique pour essayer des souliers.

11 h 03 Christian arrive à son tour. Il me sourit. Tout le monde me sourit. On me fait la bise, on est aimable.

11 h 04 Ces gens savent qu’on va se revoir souvent.

11 h 11 Un livreur traverse la boutique avec un diable chargé de caisses de Ruinart.

11 h 15 Je m’en fiche, je ne bois jamais. Même pas dans des chaussures à talons. ça les abîmerait.

11 h 17 Et puis, c’est pas ragoûtant, de ruiner avec du Ruinart des pompes qui coûtent le prix de 500 doses de vaccins pour l’Unicef.

11 h 20 Mais ces chaussures les valent.

11 h 48 J’entreprends Christian sur le coup que les talons de grutiers, ça va bien à Paris où les trottoirs, comme les gens, sont lisses, alors qu’à Bruxelles, y’a des pavés.

11 h 50 Je lance « pavé », et il se marre.

11 h 53 Christian me dit qu’on va faire un tour sur la place, pour que je voie que ses escarpins, surtout avec un mini plateau, c’est du gâteau.

12 h 00 Histoire de mener l’expérience en conditions réelles, j’en enfile une paire au hasard. Les plus chères. J’ai un radar.

12 h 01 Elles sont si belles. Je veux m’enfuir en courant, mais je peux pas. Bien vu, l’antivol de série sous forme de talon.

12 h 06 On sort, et si je m’accroche au bras de Christian, ce n’est pas parce que je tangue – ses chaussures sont super bien pensées – mais parce que ce garçon est un pied tendre.

12 h 28 Il me raconte, en déambulant, qu’il est dernier né d’une fratrie de quatre, suivant trois sœurs dingues de lui, tout comme ses parents.

12 h 41 Moi aussi, je chéris cet enfant chéri à qui tout sourit.

12 h 46 Il est tellement charmant qu’il faut que je me prince. Pardon, que je me pince.

13 h 05 Je lui demande d’où qu’il fait des chaussures pour transformer les filles en funambules.

13 h 09 Tout en m’offrant un bouquet de souliers (rien à voir avec le photographe qui nous suit depuis le matin), il m’explique qu’il adore les femmes. Ses frangines, sa maman, ses copines. Les autres aussi.

13 h 18 Moi qui mesure brusquement 1,65 m au garrot (pas un mètre ruban à jeun ne croirait ça), je suis d’accord avec lui.

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13 h 29 Mais y a des esprits chagrins, filles frivoles de la malléole, qui prétendent que des escarpins tendus vers le ciel, c’est juste un coup à enrichir les orthopédistes.

13 h 48 Si elles savaient, comme moi, à quel point ce Louboutin réfléchit toute la journée à embellir les femmes, comme un chausseur-lutin au sourire malin, elles comprendraient ce qu’elles ratent à traîner en savates. ça leur ferait les pieds.

14 h 15 Je le taquine, en lui demandant s’il est sûr que modifier la morphologie d’une jambe, même avec des somptuosités de cuir, c’est pas un peu tordu (mais moins qu’une cheville).

14 h 30 Plein d’esprit, Christian m’exprime, sans ambages ni bandages, sa passion pour les femmes, et me parle des trois hommes qui vivent sous sa voûte crânienne et président au sort de ses collections : le styliste, qui imagine des chaussures depuis qu’il est en âge de marcher lui-même; l’homme, qui aime les filles et leur veut du bien; et l’ami de la gent féminine, qui se demande, des fois, si certains modèles ne vont pas un peu loin.

14 h 36 Du coup, il se restreint parfois du crayon, la main sur le papier à dessin.

14 h 59 Les larmes aux yeux, je jure de soutenir le styliste qui tente de faire entrer sa voix dans la chorale intérieure du créateur tricéphale génial.

15 h 17 Christian flâne avec moi devant les bosquets du Petit Sablon.

15 h 19 Les gardiens du parc me courent après parce qu’ils ont peur pour leur gazon.

15 h 29 Pourtant, les talons de douze, c’est nickel pour aérer les pelouses.

15 h 38 Avec Christian, on se retrouve devant l’église de la place. Cet homme, courtois, délicieux, aux yeux de faon, dont je porte les shoes, quand il veut, je l’épouse.

16 h 04 Je lui demande quelle est sa relation à Bruxelles.

16 h 08 On ne rigole pas avec Bruxelles. Un homme qui voudrait obtenir ma main, mon cœur ou mon pied, il faudra qu’il aime d’abord ma cité.

16 h 11 Non pas que Christian m’ait proposé quoi que ce soit.

16 h 19 Il aime Bruxelles, il a des amis belges – Diane Von Fürstenberg par exemple, qu’il connaît depuis toujours –, mais ce qu’il préfère ici et partout, ce sont les parcs.

16 h 25 Christian est passionné de jardins, il a même déjà visité les serres de Laeken.

17 h 08 Vous allez voir que je vais me prendre un râteau avec un aspirant jardinier.

18 h 00 On s’en retourne au magasin. La jolie boutique architecturée comme une nef s’est remplie de filles sur des tiges, qui n’ont même pas le vertige.

18 h 18 Joséphine m’envoie un sms pour me demander si j’ai mal aux pieds, mdr, smiley.

19 h 05 Je lui réponds qu’on le prendrait pour moins que ça.

21 h 29 Je quitte Christian, le moral gonflé et le pied beau, et je rentre chez moi. Comment, me demanderez-vous ?

21 h 59 En voiture. Faut pas déconner.

Merci à Cédric Charlier qui a habillé Elisabeth Clauss, au fleuriste Flowers pour le bouquet,  et à  Adrien Coelho Premier Studio pour la coiffure.