Show de La Cambre Mode[s] : de l’autre côté du miroir

Mis à jour le 16 février 2018 par Elisabeth Clauss
Show de La Cambre Mode[s] : de l’autre côté du miroirLéa Barré © Catwalk Pictures / Etienne Tordoir

[caption id="attachment_42331" align="aligncenter" width="600"]Léa Barré © Catwalk Pictures / Etienne Tordoir Léa Barré © Catwalk Pictures / Etienne Tordoir[/caption]

Pour son édition 2014, la section mode de l'école bruxelloise a livré comme chaque année une performance délectable.

Toute la grâce de La Cambre, c'est de ne pas s'arrêter à former des créateurs tous terrains et des techniciens rompus à tous les exercices du stylisme, mais d'accoucher aussi des esprits.

Une soixantaine d'élèves, de la 1ère à la 5ème année, on présenté leur travail de fin d'année aux Halles de Schaerbeek, deux soirs d'affilée, deux fois salle comble. Soixante envies de modes particulières, des histoires, des cultures, des impulsions, des niveaux différents aussi, et pourtant, un ensemble d'une remarquable cohérence. La Cambre porte une identité créative forte, enrichie chaque année des explorations de ses élèves. Un ADN composé d'une obsession de la recherche, sur les volumes notamment, sur le sens du vêtements, comme objet, pièce d'art, outil d'expression utilitaire, tout ça à la fois. Un enseignement servi par une pédagogie complète dont on ne voit sur les portants que la partie immergée, en fin de parcours.

Il y avait dans le jury et le public des recruteurs et chasseurs de têtes, et l'on saura bientôt qui a été repéré où. En attendant, voici ce qu'on a retenu du cru 2014, présenté sur un catwalk à double fond, un miroir sans tain servant à la fois à prolonger les coulisses et  à doubler l'envergure de la scène (très "belge", si on y pense) :

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Les 1ères années :

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Des silhouettes de tulles sur armatures légères, comme des danseuses fragiles et entravées, qui dégageaient une étrange puissance. Des garçons et des filles, pieds nus, défilant avec une simplicité feinte par des teintes nudes, alors que la structure-même des pièces reflètait une construction extrêmement réfléchi. L'innocence en transparence, des messages brandis en drapeau. Ces tous jeunes étudiants ont produit une collection troublante de génie ingénu.

Les 2èmes années :

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Les modèles défilaient en couple, exhibition pleine de jubilation du fruit de la recherche des élèves sur la notion de volumes et de matières. Ce passage-là démontrait combien l'étude appliquée peut être enthousiasmante et énergisante.

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Drôle aussi, ce qui est quasi un devoir quand le monde (la mode) se prend parfois tant au sérieux. Il y a avait-là l'expression d'une sensationnelle liberté, de laisser vivre ses délires créatifs.

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Les 3èmes années :

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Un thème traditionnellement imposé de collections hommes. Cette fois plus encore que lors des éditions précédentes, la question de la relativité des genres s'est posée, à travers des interprétations très variées de la masculinité. Où commence-t-elle, dans quels atours et quelle attitude, sous quelles formes (à ce propos, le public tout entier tient à déposer un hommage ému au casting de garçons, on ne n'en est pas encore remis). La transversalité des sexes (presque rien d'ambivalent dans cette assertion) présentée comme le nouveau challenge sociétal de l'époque.

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Les 4èmes années :

© Catwalk Pictures / Etienne Tordoir
© Catwalk Pictures / Etienne Tordoir

Les étudiants avaient beaucoup réfléchi à leurs concepts, rassemblé une importante documentation pour nourrir leur propos, et leurs moodboards prenaient une belle place au mur. Quand à la concrétisation de ces intentions, pour être indéniablement intéressantes, elles en étaient parfois déroutantes.

On a aimé le passage de Naomi Courau, qui a exploré la frontière où le rêve dérape, ce moment délicat où l'on devient trop sexy. Inspirée des springbreakers, Naomi a travaillé la dentelle mixée à l'opacité, la féminité exhibée et protégée à la fois dans un beau et large manteau camouflage. Une façon de draper sa pudeur, juste à la frontière du malaise, selon la ligne de son inspiration. Le résultat n'a pourtant généré que de l'enthousiasme.

Les 5èmes années :

Tous les 4 diplômés à l'issue de cette dernière année de leur cursus et de la présentation de leur collection, les finalistes ont présenté un travail ambitieux et magnifiquement réalisé. A peine repliées leurs housses à vêtements, ils s'envolent déjà pour leur avenir, dont on vous dira au fur et à mesure où ils les (nous) mène.

Eddy Anémian :

© Catwalk Pictures / Etienne Tordoir
© Catwalk Pictures / Etienne Tordoir

Le lauréat du H&M Design Award 2014 a présenté une collection très personnelle au regard de son attachement à ses racines arméniennes. Ses pièces reflétaient sa réflexion à propos du clash entre une histoire moderne encore imprégnée de tradition, mâtinée d'influences gitanes, baignée dans des apports d'ex-URSS, et nourrie de culture occidentale, avec une surdose de sexytude à l'américaine (un café et l'addition, svp). Eddy Anémian a ainsi inventé une collection à l'innocence ambivalente, doublée d'une sexualité transpirante. Des silhouettes duales, porteuses de la grâce des ballerines. Il a rappelé, avec cohérence, ses pièces en bandelettes de tissus fleuri de l'année précédente, avec cette fois-ci des superpositions de mousseline transparente effilochée, des ornements en franges de jerseys déchirées à la main. Un travail remarquable, issue d'un véritable processus de mise en perspectives. Une collection impeccable, pleine de l'âme d'un jeune designer au potentiel démentiel.

Louis-Gabriel Nouchi :

© Catwalk Pictures / Etienne Tordoir
© Catwalk Pictures / Etienne Tordoir

Le jeune styliste, tout juste rentré du Festival d'Hyères où il s'était fait remarquer avec sa collection précédente, a présenté un travail magnifique, inspiré du recueil de poèmes Alcools de Guillaume Apollinaire. Un livre lié à son adolescence, une lecture de lycée, qu'il a habilement liée à l'atmosphère délétère d'une jeunesse désoeuvrée, qui aspire au grand chic. Comment traduire tout ça en vêtements ? Avec une collection masculine stupéfiante de professionnalisme, contemporaine, qui m'aurait presque regretter d'être une fille (mais ça n'a pas duré !), le temps de pouvoir enfiler un de ses jumpsuit à fermeture éclair dans le dos qui révèle une autre couche de tissu, un autre niveau de lecture. Comme dans les poèmes, le même dessin (dessein) répété - ici en brillants Swarovski dissimulé puis révélé plusieurs fois - le même MOT-IF prend un sens différent. Apollinaire avait créé sa révolution notamment en écrivant, le premier, sans ponctuation. Louis-Gabriel crée sans fioritures, rien que des détails poussés à l'extrême, une réalisation impeccable, des collaborations pertinentes. Les motifs de ses pièces ont été imaginés par le studio Piece of Chic, gouttes d'alcool photographiées au microscope puis répliquées. Pour matérialiser ses intention, le jeune styliste a décliné le jogging des gamins des cités, croisé avec des coupes de costard. Louis-Gabriel a inventé le sportswear en soie, les chaussettes surcousues de filets, comme un quadrillage urbain qui serait aussi un hommage à Burlington, à moins que ça ne soit le contraire. Le choc des cultures, une image de la société. Un créateur ultra prometteur.

Léa Barré :

© Catwalk Pictures / Etienne Tordoir
© Catwalk Pictures / Etienne Tordoir

Lauréate du Prix ELLE 2014 pour La Cambre, la jeune femme a grandi dans l'atelier d'architecte de son père. Nourrie de dessins techniques, elle a choisi de construire sa collection sur le thème du design automobile. Léa a collaboré avec Solvay, l'un de ses sponsors, pour créer de nouvelles matières, inspirée des textiles de garniture des voitures. Des tissus relativement droits et rigides, permettant d'inventer des vêtements aux volumes particulièrement structurés. Pour sa scénographie, elle a choisi d'habiller ses mannequins de cagoules, gants montants et bas de latex, pour créer un univers de Dummies de crash-test. Le résultat rappelle aussi les mannequins des vitrines, avatars lisses de nos désirs d'image. De beaux objets de mode, dans la veine contemporaine du sexy qui ne doit pas se dire. Malin, pour des dummies...

Anouk Fallon

© Catwalk Pictures / Etienne Tordoir
© Catwalk Pictures / Etienne Tordoir

La jeune créatrice a axé sa réflexion sur la notion de candeur confronté à l'expérience, quand elle flirte avec le sulfureux de l'univers du film "Swimming Pool". Anouk a travaillé sur une collection balnéaire, de maillots de bains à plusieurs couches superposées pour jouer des contrastes, présents partout dans sont travail, et des effets de volume. Ses naïades habillées, portant traînes altières et motifs ajourés au laser, véhiculaient une impression aérienne de douceur, de langueur nonchalante, des pièces coupées comme si elles étaient restées posées sur les épaules, à moitié enlevées. Le tout, en conservant une étonnante fluidité, une légèreté qu'on pourrait adopter dès la sortie du catwalk, tant cette collection serait immédiatement adoptable, rationnelle, irréprochable.

Cette nouvelle promotion diplômée de La Cambre contribuera, c'est certain, à mener la mode, en pleine ré-évolution, là où elle aspire à grandir. Un mouvement irrépressible, comme l'annonce le drapeau juste là :

© Laetitia Bica