Réussir sans faire d’études encore possible ?

Mis à jour le 20 novembre 2018 par Juliette Debruxelles
Réussir sans faire d’études encore possible ?

[caption id="attachment_41175" align="alignnone" width="600"]c Céline Aron[/caption]

Elles sont brillantes, talentueuses, sûres de leurs choix et de leurs succès. Et pourtant, elles ne se sont jamais plongées dans leurs cahiers.

  • Céline Aron, 35 ans, agent de DJ

« Fille unique, j’ai été élevée par un père psychiatre et une mère avocate dans un bled paumé de Wallonie. À l’école, c’était l’enfer. Pas de copains, pas de copines, j’étais toute seule. En secondaires, j’étais déjà trop grande, trop blonde, et trop mannequin pour fréquenter les gens de ma classe. Je n’avais que l’amour en tête. En quatrième, j’arrive péniblement aux Beaux-Arts de Namur. Pas parce que je veux être Andy Warhol, non : parce qu’un mec que je trouve beau a choisi cette voie-là. Je ne cadre pas avec la faune ambiante : pas de dreadlocks ni de pull crade, je passe mes week-ends en boîte techno au lieu de boire des bières au Vieux Marché, mon mec n’est pas joueur de djembé mais DJ…

Je triple ma cinquième, un exploit dans cette section, et finis aux Beaux-Arts de Bruxelles, sans trop savoir pourquoi. Là encore, choc des cultures : je vais peu aux cours, j’ai un job de présentatrice à la télé, je travaille en boîte et comme GO au Club Med. Bref : échec scolaire total. En 2000, folle amoureuse d’un producteur de musique, je plaque Bruxelles pour le rejoindre à Paris. Il ne veut pas que je travaille, et de toute façon, les seuls jobs que je trouve sont des contrats d’hôtesse au salon du fruit de mer ou de l’auto.

Heureusement, à l’époque, être Belge à Paris, c’était hype. L’entourage perso et pro de mon mec me trouve rafraîchissante. Au bout de cinq ans, l’histoire d’amour finit mal. Mes parents me rapatrient à Bruxelles. Je n’ai plus rien, je suis brisée, j’ai honte. Je ne sais pas ce que je vais faire de ma vie. C’est là que certains artistes rencontrés à Paris décident de m’aider et me proposent de gérer leur booking (NDLR : conclure les contrats entre les artistes et les scènes où ils se produisent, et faire le suivi de la prestation).

Je n’y connais rien, a priori, mais ces cinq années passées aux côtés d’un pro ont porté leurs fruits. J’ai entendu et retenu. Je décide de monter une société. Première embûche : je n’ai pas de diplôme de secondaire. Il me faut donc retourner aux cours du soir pour obtenir un diplôme de gestion. La tâche me semble insurmontable, d’autant que le soir, moi, je bosse : je suis en boîte, je suis les DJ que je booke, j’entretiens mon réseau. Je demande à mes parents de me faire confiance une dernière fois. Mon père accepte que ma boîte soit à son nom et me donne un peu de sous pour démarrer. Je sais qu’au fond, il n’y croit pas. Tout le monde, amis compris, est persuadé que mon appart-bureau sera le royaume de la glande. Je n’écoute pas, je fonce.

Tout se met en place tellement vite que je n’ai même pas le temps de réfléchir à un nom pour mon entreprise. En partant chez le notaire pour régler les formalités administratives, je tombe et m’étale dans mon appartement. Mon collègue s’exclame : ‘‘T’es vraiment trop blonde, Céline.’’ Déclic : ma boîte s’appellera ‘‘So Blonde Management’’. Mon carnet d’adresses, alimenté au fil des années de fête, devient mon bien le plus précieux. S’il est bourré de contacts d’artistes et de patrons de boîte, c’est parce que je n’ai pas fait d’études. Je n’aurais pas eu le temps de rencontrer ces gens si je m’étais concentrée sur mes cahiers.

Un jour, des clientes me demandent de booker Martin Solveig pour une soirée. Je ne le connais pas, j’y vais au culot. J’envoie un mail délirant. Son staff et lui me prennent pour une folle, mais ça éveille leur curiosité. Quand on se voit, Martin me dit : ‘‘T’es pas encore très douée, mais t’es drôle et sympa, alors on y va !’’ Cette rencontre, c’est ma bonne étoile. Ça a tout changé. Aujourd’hui, ma vie, c’est mon métier, et inversement. Je voyage tout le temps, j’investis dans des talents prometteurs. C’est très fatigant, mais je ne pourrais pas faire autre chose, ni le faire autrement. »

www.soblondemanagement.com

1/

a

  • Eugénie Rittweger de Moor, 31 ans, journaliste du ELLE Belgique et entrepreneur

« J’ai terminé mes études secondaires au ras des pâquerettes. Je négligeais purement et simplement les cours qui ne m’intéressaient pas. Je voulais devenir ‘‘nez’’, mais les études en parfumerie impliquaient de s’intéresser aux sciences. C’était inenvisageable. Mes parents étaient catastrophés mais ils m’ont donné la possibilité d’assouvir ma curiosité pour l’art, la photo, le cinéma. Quand j’ai décidé de ne pas aller à l’unif’, ils m’ont soutenue moralement mais pas financièrement. Ils ne voulaient pas que je devienne une fêtarde oisive ! J’ai accepté des boulots alimentaires pour financer mes passions : j’ai filé des coups de main sur des tournages, je suis devenue critique ciné et musique pour un magazine culturel, j’ai beaucoup appris en vivotant pendant deux ans.

Puis le ELLE Belgique a été lancé, et j’ai envoyé un CV complètement décousu à Béa Ercolini, avec en objet du mail : ‘‘Si vous ne me lisez pas, vous risquez de perdre quelque chose.’’ Elle m’a reçu, de manière informelle, et m’a posé des tas de questions sur mon parcours, sur mes références, mes envies. Je n’étais pas formée à la presse, donc je n’avais développé aucun tic, aucun automatisme. Je crois que c’est ce qui lui a plu. Elle m’a engagée comme stagiaire pour trois mois. J’étais assistante de rédaction, le poste idéal pour apprendre les rouages du métier. Mon stage a été prolongé de trois mois, rémunérés cette fois, puis j’ai été engagée comme iconographe, avec un vrai salaire, de junior bien sûr. J’avais 20 ans.

Après quelques années, j’ai commencé à m’impliquer de façon concrète dans les pages ‘‘mode’’ jusqu’à devenir, l’année dernière, fashion editor. Apprendre in situ, c’est la meilleure école, même si c’est plus difficile pour les nouvelles générations. On n’a plus le temps d’inculquer les fondamentaux aux stagiaires, et certains pensent que l’arrogance de la jeunesse est suffisante. C’est faux. Il faut pouvoir faire preuve d’un peu d’humilité.

Il m’arrive de ressentir encore le ‘‘complexe de l’autodidacte’’, ce sentiment qui pousse à se dépasser pour (se) prouver qu’on n’a rien à envier à celles et ceux qui ont fait des études. Quand j’avais 15 ans, mon prof de lettres a dit à ma mère : ‘‘Dans quinze ans, vous serez fière de votre fille. Elle a une volonté d’agir qui la fera aller plus loin et plus vite que les autres.’’ Cette phrase ne m’a jamais quittée. »

2/

b

  • Cynthia Legrand, 43 ans, consultante en création d’hôtels

« J’ai étudié les arts plastiques en secondaires. Je rêvais de La Cambre mais le mari de ma prof d’art, Jean-Christophe Geluck, “frère de”, avait repéré mes travaux. Il m’a proposé un job de graphiste dès la sortie de l’école. À 18 ans à peine, je prenais un statut d’indépendante, un numéro de TVA et un appart’. Je suis restée quatorze ans. Jusqu’à ce que le web change complètement la manière de travailler des gens du secteur. Les “petits  jeunes”, nés avec un clavier entre les mains, débarquaient. Je sentais que j’avais fait le tour.

En parallèle de mon job, je me suis lancée dans plusieurs activités autour de l’événementiel. J’ai adapté à ma sauce le concept des ‘‘progressive dinners’’ américains. Il s’agissait de réunir des gens autour d’un repas en quatre services. On prenait l’apéritif à un endroit, l’entrée à un autre, etc. Le but : faire se rencontrer des personnes très différentes autour du prétexte de la nourriture. Le succès était bluffant, mais j’étais lasse.

Alors, en 2007, j’ai décidé de partir à Los Angeles. Sans mari ni enfant, j’étais libre de bouger. J’ai tout vendu et je suis partie avec une valise de vêtements et une seconde remplie de livres de cuisine et de CD. Je suis devenue professeur de cuisine dans un magasin dédié à la pratique. Puis je me suis occupée du département catering de l’une des plus grosses boîtes de L.A., dont les clients sont, pour la plupart, des stars. Repas d’affaire, tournages de films, mariages, je gérais tout, du contact avec les clients aux commandes,  alors que je n’avais jamais suivi le moindre cours. Mais Bruxelles me manquait et j’y suis revenue au bout d’un an. J’ai accumulé les expériences dans des restaurants et des hôtels. Jusqu’à ce qu’un ami me dise que deux investisseurs avaient le projet de créer l’hôtel Pantone, à Bruxelles. Ils cherchaient un manager. Je les ai rencontrés, j’ai posé des questions, proposé plein d’idées, et ils se sont rendu compte qu’ouvrir un hôtel, c’est un boulot de fou. Il faut penser à tout, de l’ambiance sonore aux fournisseurs en passant par les autorisations administratives et le choix de la marque de papier toilette. Je suis devenue leur consultante pour le lancement. Puis, naturellement, manager. J’assurais aussi la consultance en design, graphisme, marketing et communication pour plusieurs hôtels de Bruxelles et de Londres.

C’est comme ça que mon métier est né. Sur le tas. Un ami m’a ensuite présenté une dame qui venait d’investir dans un projet hôtelier à Miami. Elle se posait des questions très pratiques et ne savait pas vraiment à qui s’adresser. Elle m’a confié les commandes. En juin de l’année dernière, j’ai donc à nouveau tout laissé ici pour m’installer aux états-Unis. Je devais rester deux mois, je crois que finalement je vais y passer un bon moment. Je connais mes limites, ça me permet de ne pas commettre d’erreurs. Je reçois des propositions, et si je le sens, je suis. »

3/

d

  • Anne-Sophie Prevot, 41 ans, productrice de défilés aux fashion weeks

« J’ai toujours été débrouillarde. Si je n’étais pas bonne à l’école, c’est parce que je n’entrais pas dans le cadre. J’étais insolente et ce qu’on m’enseignait ne m’intéressait pas du tout. Sauf l’anglais. Je n’ai donc pas obtenu de diplômes. Ma mère ne savait plus quoi faire. À l’âge de 16 ans, j’ai pris mon baluchon et je me suis installée à Paris, toute seule, pour suivre des cours dans une école de photo. On m’avait bien répété que ça pouvait être un hobby, pas un métier, que j’allais plutôt devenir secrétaire ou coiffeuse, mais je n’ai pas voulu écouter. J’ai bien fait. Comme je n’avais aucun diplôme, ni l’âge requis, je ne pouvais a priori pas suivre cet enseignement. Mais ils ont vu mes photos et fait une exception.

Plus tard, j’ai été engagée comme iconographe dans un journal médical. C’est au même moment que j’ai croisé la route d’un groupe de rock dont les membres se sont pris d’affection pour moi. Je leur ai montré mon travail et ils m’ont proposé de faire les photos de leur tournée. Ça m’a beaucoup aidée, ça m’a donné l’opportunité de nouer de beaux contacts. J’ai ensuite démarché des magazines et je suis devenue photographe de concert pour Rock Sound (une publication musicale pointue, NDLR). À 17 ans, je suis donc partie m’installer à Londres. J’y ai vécu jusqu’à l’âge de 24 ans. Quand je m’ennuyais ou quand je ne pouvais pas prendre de photos, je donnais un coup de main aux tour managers. C’est comme ça que j’ai appris le travail de production.

Quand je suis revenue en France, j’ai été engagée par TF1 en tant qu’assistante de l’assistante de l’assistante. J’ai fait mes preuves et gravi les échelons pour passer d’assistante de production à régisseuse générale puis directrice de production. Après un an et demi, mon salaire était multiplié par quatre et je gérais les grands directs de la chaîne. J’aimais voyager, alors j’ai commencé à travailler sur des productions de télé-réalité. J’ai dit ‘‘stop’’ lorsque je suis tombée enceinte. Je n’avais plus envie de la France. Alors je suis venue m’installer à Bruxelles, il y a sept ans, un peu par hasard. J’ai trouvé du boulot le lendemain de mon arrivée.

Un heureux concours de circonstances a fait que le producteur à qui j’avais envoyé mon CV était né la même date que moi. Il n’avait pas de poste à me proposer mais il était curieux de me rencontrer. Il a tout de même fini par m’embaucher mais sans vraie mission à me confier. Un jour, alors que je m’ennuyais un peu, j’ai envoyé un CV chez Manpower. Une heure plus tard, j’obtenais un rendez-vous avec Étienne Russo (self made man belge, organisateur des plus grands événements luxe et mode à travers le monde, NDLR). Ça a tout de suite collé entre nous.

Depuis plus de cinq ans, je suis chef de projet pour la production de shows pendant les fashion weeks de Paris, Milan, New York et Miami. En parallèle, j’ai créé BOTH, ma propre boîte à deux facettes : d’un côté la production d’événements, de l’autre la recherche d’appartements ou de maisons personnalisées pour particulier.

C’est tout mon parcours qui m’a menée jusqu’ici. Le plus drôle, c’est que ma prof de maths me répétait que je ne saurais jamais calculer, alors qu’aujourd’hui, je gère des budgets de plusieurs centaines de milliers d’euros. »

www.backofthehouse.be