Interview : Sophie Rohonyi, une députée sur le terrain des féminicides

Mis à jour le 9 mars 2020 par Elisabeth Debourse
Interview : Sophie Rohonyi, une députée sur le terrain des féminicides"Arriver au Parlement à 32 ans, on sent que ça pose question. Mais quand un homme prend la parole dans l’hémicycle, on l’écoute. Personne ne se demande comment ou pourquoi il est là."

Avec Défi comme parti, la députée fédérale Sophie Rohonyi doit faire face à la crise des féminicides et aux frilosités de l’extension du délai d’avortement autant qu’au harcèlement en ligne et aux « dickpics » non-sollicitées. Rencontre avec une femme politique qui riposte.

Vous militez notamment pour l’inscription du féminicide dans le code pénal et l’extension du délai pour l’avortement. Travaille-t-on sur ces thématiques féministes comme sur d’autres ?

Sophie Rohonyi : J’ai eu dans mon entourage très proche des femmes confrontées à ces sujets et je me suis prise d’amitié pour des personnes qui travaillent dans l’environnement des victimes. Ça me touche au plus profond de moi. Je les porte donc peut-être de manière plus personnelle… Après, ça rend aussi parfois les choses plus dures. On est obligé de garder de la distance pour ne pas se laisser déborder par les émotions : ça me desservirait. Pour bien faire, il faudrait donc que ce soient des thématique dans lesquelles les hommes s’investissent également. Aujourd’hui, je suis personnellement vraiment contente de pouvoir faire bouger concrètement les choses en tant que députée. Mais cela ne se fait pas sans l’aide des plannings et des associations. Il faut travailler main dans la main avec le secteur associatif et s'offrir un regard de terrain sur ce qu’il se passe vraiment. Parfois, les citoyens nous reprochent d’être déconnectés des réalités. Voilà les thèmes par excellence où on peut montrer qu’au contraire, ce qu’on défend répond vraiment aux demandes du terrain.

Votre engagement a donné lieu à un harcèlement de la part de militants anti-avortement. Comment gérer les attaques en ligne dans le cadre de ses activités professionnelles ?

Ce n’est pas évident, en tout cas au début. J’ai reçu des images et des mots difficiles. Puis sur les réseaux sociaux, le harcèlement sexuel est aussi très fréquent pour les femmes politiques. Ce sont des demandes très insistantes pour des rendez-vous, des photos de sexes… Et quand je ne réponds rien, je me fais insulter. Au début, on le prend vraiment pour soi, on se demande si on a fait quelques chose de mal, si on l’a cherché, et on culpabilise. Puis on se rend compte que non, ce sont les gens en face qui ne comprennent pas nos intentions. Je suis sur les réseaux sociaux pour défendre des idées et notre travail, pas pour faire des rencontres. Et je suis persuadée du bien-fondé de ce que je défend. Il faut donc se blinder et de vivre avec. Par contre, je ne veux pas que ce soit une fatalité. J’ai contacté plusieurs fois Facebook en signalant les profils concernés, qui a fait le nécessaire. J’avoue ne pas avoir porté plainte, mais si ce genre d’actes devaient se représenter, je crois que je le ferais. J’ose espérer aussi qu’à force d’avoir une représentation toujours plus importante des femmes dans les lieux de décision, on attirera moins l’attention de par notre exception. Aujourd’hui, ça reste curieux. Une anomalie qui intrigue, excite. Il faut que les mentalités changent.

Être une jolie femme, c’est une tare dans le monde du travail ?

Arriver au Parlement à 32 ans, on sent que ça pose question. Mais quand un homme prend la parole dans l’hémicycle, on l’écoute. Personne ne se demande comment ou pourquoi il est là. Nous, on regarde comment on est habillées, si on a mis une jupe longue ou courte… C’est pénible. Quand je vais au Parlement, j’avoue souvent ne pas savoir comment m’habiller, parce que je sais que quoi que je mette, j’aurai une réflexion. Je me suis donc imposée beaucoup de pression. J’ai mis les bouchées doubles pour montrer que je méritais ma place : je n’avais pas eu de promotion canapé, mais j’avais travaillé dur pour arriver là. Je me donne à fond dans mes dossiers et je suis rigoureuse. Je travaille donc les week-ends, jusque très tard le soir, pour pouvoir être la plus pertinente possible. Et pourtant, je pense que j’aurais très bien pu faire autrement. Ce n’est pas normal de devoir travailler deux fois plus. Certes il faut faire ses preuves, mais on est sensé les avoir déjà faites durant la campagne ou son entretien d'embauche. Les gens nous ont choisi sur base de ce qu’on y a défendu.

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