7 changements imminents dans la mode

Publié le 9 janvier 2019 par Elisabeth Clauss
7 changements imminents dans la modeLONDON, ENGLAND - OCTOBER 19: A model on the catwalk during the V&A Fashion In Motion: Carla Fernandez Catwalk Show at Victoria and Albert Museum on October 19, 2018 in London, England. (Photo by Joe Maher/Getty Images)

La mode, c’est de la sociologie. Elle détient un rôle, tout comme l’art, dans l’évolution des mentalités. Elle doit être transgressive pour être intéressante. Sans sa fonction de miroir, elle devient muette. Des évolutions et polémiques à venir, qu’a-t-elle à nous révéler ?

1 - La mode s’impliquera politiquement

Le nouveau marketing imparable, c’est l’engagement. Désormais, les marques investissent dans le parti pris, pour mettre du sens dans leurs produits. Body-positive comme dans le dernier défilé Dolce Gabbana, qui faisait défiler des femmes d’âge mûr - Isabella Rossellini (66 ans), Monica Bellucci (54 ans), Carla Bruni (50 ans), ou la voluptueuse mannequin « plus size » Ashley Graham, castings anti-racistes et/ou en soutien à la cause LGTB+, défense des espèces en voie de disparition à l’instar de la collection « Save Our Species » de Lacoste, la mode défile symboliquement le poing levé.

Mais ce lien plus étroit entre mode et politique ne serait-il pas un peu opportuniste ? Pour Thierry Brunfaut, directeur de création chez Base Design, société qui conçoit des identités de marques et opère dans la stratégie et le conseil, « le monde n’est ni noir, ni blanc. Aucune entreprise ne peut se prétendre monolithique. Les marques se comportent comme des personnes, elles sont par essence contradictoires.

Elles peuvent poser des actes philanthropiques, et réfléchir en même temps à maximiser les profits de leurs actionnaires. Depuis l’explosion de la puissance d’Internet et des réseaux sociaux, il y a une vraie panique chez les marques, qui savent qu’elles sont potentiellement démasquables. Comme personne ne peut être parfait, les dirigeants anticipent sur la transparence, même si elle n’est qu’illusion. Mais ce fantasme fait levier pour pousser les sociétés à agir. C’est la réaction avant l’action. » Si on peut le feindre, on peut le faire !

 

 

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2 – Les consommateurs développeront leur conscience

C’est le pendant de ce nouveau cercle vertueux, qui porte l’espoir qu’on arrête de consommer jusqu’à se consumer. Thierry Brunfaut évoque un changement de paradigme : « avant, on agissait in abstracto. Aujourd’hui, les gens réclament un impact incarné, qu’ils peuvent vérifier. On veut des noms, des chiffres, des images ». C’est pourquoi les marques ont besoin d’impliquer leurs clients : « pour que le public s’engage pour une cause, il se demande désormais « est-ce que ça me touche personnellement, ou mes proches ? » »

On assiste à l’individualisation de l’engagement. Schématiquement, après « save Africa » on a vu émerger « me too ». Moi d’abord. Mais est-ce bien la mission de l’industrie quasiment la plus polluante au monde, de mener une révolution philosophique ? Thierry Brunfaut nuance : « c’est évidemment le rôle de la mode, mais aussi de chaque individu. Je crois beaucoup à la bienveillance de la plupart des gens».

 

 

Sur ces questions économico-sociétales, les États-Unis ont deux ou trois ans d’avance : « nous avons travaillé pour la Philanthropic Chan Zuckerberg Initiative, dirigée par la femme de Marc Zuckerberg, afin de mettre toute l’ingénierie de Facebook à la disposition des citoyens, dans un but d’ «Equal Opportunity ». Est-ce une action opportuniste ? Est-elle sincère ? Le sait-elle elle-même ? Peu importe : elle agit ». Comme chacun d’entre nous le fera d’une manière ou d’une autre, en posant des choix au moment de consommer.

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3 - L’éthique animale posera question

Versace, Giorgio Armani, Gucci, Ralph Lauren, Calvin Klein, ou récemment Jean-Paul Gaultier, ont annoncé renoncer aux poils naturels dans leurs collections. La fourrure dans la mode serait-elle en voie d’extinction ?

Selon Alexandre Samson, responsable de la mode contemporaine au Palais Galliera, « dans la confection de luxe, il est vraisemblable qu’on l’abandonne pour des raisons d’image. Mais dans le prêt-à-porter bas de gamme comme Canada Goose qui fait fureur, ainsi que dans le mass market, l’utilisation de fourrure difficile à tracer ne devrait pas s’arrêter de sitôt. En revanche, la haute fourrure, comme on la perpétue chez Fendi, perdurera. Mais en France, ce savoir-faire n’existe plus. »

 

Stand

 

Depuis peu, la maison Revillon, fondée au XVIIIe siècle à Paris, a suspendu ses activités. En Europe, il ne reste plus que l’Italie pour perpétuer le travail traditionnel des peaux. C’est un débat de valeurs, qu’il faudrait sans doute dépassionner en mettant les enjeux en perspective. Alexandre Samson rappelle que l’industrie du coton et des matières synthétiques dérivées du pétrole sont bien plus impactantes, délétères pour l’environnement, que ne l’est la fourrure : « la cause écologique ne se réduit pas au commerce des peaux, même si c’est la plus émotionnelle. C’est une tradition française, un patrimoine de savoir-faire, transmis par des artisans qui aiment la matière, la mode, et même les animaux, et qui sont contraints d’abandonner un métier d’art traditionnel, à cause d’une polémique aux arguments réducteurs. Les pires dégâts infligés par la mode à la nature ne sont pas les plus visibles sur un col. »

Si la mode se préoccupe en tout cas du sort des animaux, elle s’intéresse aussi désormais… à celui des humains.

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Ashley Graham

4 - Le bien-être des individus deviendra une question de taille

Après les multiples controverses générées par l’apologie de la maigreur dans la mode, une loi est passée en 2017 pour contrôler l’IMC des mannequins qui défilent. Une bonne intention, qui pourrait à certains niveaux se révéler improductive.

Selon Alexandre Samson, « il est anti – anatomique de prôner comme principe que les rondeurs sont belles, car si on est lucide, tout le monde ne grossit pas de la même façon. Le risque est de créer d’autres formes de complexes, et de continuer de séparer les « beaux » des « laids », non plus sur le chapitre de la minceur, mais d’une prétendue acceptation des différences. Il est évident qu’il faut montrer des filles et des garçons « sains ». Mais promouvoir « toutes les beautés » risque juste de déplacer le curseur. » Dans un futur proche, la mode devra donc encore arrondir les angles.

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5 - Internet impactera la sensualité de nos vestiaires

Autre évolution à double tranchant, la généralisation du web comme vecteur de valeurs. Alexandre Samson observe qu’ « il n’y a plus de point de vue sur la mode, puisque tout le monde a accès à tous. Résultat, puisqu’on ne voit plus sur Instagram que les silhouettes de face, les marques ne « perdent de plus de temps » à travailler ni les vêtements de profils, ni de dos.

 

Exposition Back Side au Musée Mode et Dentelle de Bruxelles

 

Internet a biaisé le regard de toute nouvelle génération de créateurs qui dessinent pour les réseaux sociaux et pour Instagram. Et c’est là qu’on distingue les très grands designers : ils tournent autour du vêtement. Ils créent aussi pour les angles qu’on ne voit pas sur les photos ».

Mais Internet change aussi la relation à la matière : « les créateurs sont de moins en moins sensible aux textures des tissus, et du côté des consommateurs, à force d’acheter en ligne, ils risquent de perdre l’éducation au toucher, qui en matière de vêtements, est tellement sensuel et personnel. Certaines matières sont uniquement photogéniques. »

Conservateur de musée, le rapport d’Alexandre Samson à la matière est lié au temps : « je constate, en travaillant avec des archives, que les beaux tissus résistent aux années, alors que le cheap se délite. » Internet serait-il l’ennemi de la mode ? « Pas dans tous ses aspects, mais il faut rester attentif à ce qu’il reste aussi un outil d’éducation. »

Pour éviter qu’Instagram ne nous rendent plats, gardons au moins l’esprit en plusieurs dimensions.

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6– La mode investira les domaines de l’éducation

L’éducation est le nouveau créneau porteur pour les marques. Déjà en 1994, Luciano Benetton et Oliviero Toscani ont fondé à Trévise la Fabrica, définie comme un « centre de subversion culturelle ». Là, des talents curieux, agités, ambitieux, généreux et libres de pensée du monde entier expérimentent la communication contemporaine dans un contexte pluridisciplinaire (photo, vidéo, graphisme, design, mode, écriture, musique, numérique et performance) avec une pédagogie inspirée des méthodes de la Renaissance.

Thierry Brunfaut constate que « les marques se rendre compte qu’elles ne peuvent plus être que des marchandes. On entre dans une ère de « give back » On peut vendre, mais en retour, il faut aussi investir dans la société. Les marques réalisent qu’elles ne pourront plus se pérenniser si elles s’en tiennent à leurs acquis. Dans la même idée, de grandes maisons de mode soutiennent l'Institut Français de la Mode à Paris (IFM). Non seulement elles sont mécènes (et elles y trouvent leur intérêt, car ces études forment leurs futurs employés) mais elles sont régulièrement consultées en tant qu'experts, ou participent en tant qu'intervenants ou conférenciers, ce qui rend l'institut très attractif.

Polimoda à Florence suit le même modèle : l'école forme pour les grandes maisons et les grandes maisons, Ferragamo, Prada ou Gucci, participent au le programme éducatif. » On peut également citer la Prada Academy, programme qui investit dans le futur et l'éducation dans les secteurs clé de l’artisanat, du corporate et du retail. Pour Thierry Brunfaut, « former la nouvelle génération, c'est aussi le meilleur moyen de la fidéliser dès le plus jeune âge … » Education bien ordonnée commence par les futurs clients…

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7 - Fini les « boutiques » ! On veut des « expériences » !

Laurent Dombrowicz, journaliste belge installé à Paris, expert dans le domaine du luxe et de la mode émergente, rappelle « qu’« expérience » est un terme de marketing, mais aussi une notion de service, de décor, de sensorialité ». Devant notre écran, en surfant sur un e-shop, à part pour le plafond de notre carte de crédit, on est tous égaux.

« Il y a encore quelques années, la mode d’avant-garde n’était accessible que dans quelques points de ventes, dans des villes choisies. Mais avec Internet, on assiste à l’uniformisation du « bon goût » derrière l’illusion du choix. » Logiquement pour se défendre, les boutiques doivent offrir un service différent.

« Chez Comme Des Garçons par exemple, on ne trouve sur le site qu’une petite partie de la collection présentée en boutique, pour attiser le désir. De façon générale, quand les clients font l’effort de prendre leur voiture ou les transports en commun, de tourner pour se garer, et de consacrer du temps à leurs achats, il faut qu’ils se réjouissent d’arriver en boutique. Qu’on leur fasse différentes propositions, qu’on les éduque ».

Les sites de vente en ligne nous proposent par système d’algorithme des pièces proches de nos achats, mais ce n’est pas parce qu’on s’est offert une fois un manteau militaire qu’on a envie de porter du kaki pendant un an. Les boutiques physiques doivent donc investir dans l’exclusivité. « Personne n’a envie de se déplacer pour être « maltraité ». Il s’agit d’élever les standards relationnels. L’expérience en magasin doit être intellectuelle, sensorielle, olfactives, la mise en scène soignée, la musique bien choisie. En somme, tout ce qui ne peut pas exister en ligne. » Comme le professait Diana Vreedland* : « ne donnez pas aux gens ce qu’ils veulent. Donnez-leur ce qu’ils voudront. »

*Icônique rédactice en chef du Harper’s Bazaar et de Vogue US dans les années 60