Hyères édition 33, un Festival engagé

Mis à jour le 4 mai 2018 par Elisabeth Clauss
Hyères édition 33, un Festival engagéRushemy Botter & Lisi Herrebrugh (Grand Prix Première Vision) Hyères Festival 33d edition Hyères, Var, France

Depuis plus de 30 ans, le Festival International de Mode, de Photographie et d'Accessoires à Hyères (qu'on appelle affectueusement – et plus rapidement – le « Festival d'Hyères ») soutient et propulse la jeune création. Cette année, le Festival a présenté des collections encore plus engagées. La création a besoin de soins ? Dites « Hyères 33 ».

 

Marie-Eve Lecavalier, Prix Chloé et Mention Spéciale du Jury /  Photo : Etienne Tordoir / Catwalk Pictures

 

Le choix des lauréats de cette édition est édifiant : la collection « Fish or Fight », Grand Prix Première Vision (et qui pourra notamment développer une collection commerciale avec Petit Bateau), toute jeune marque menée par Rushemy Botter (Académie d'Anvers) et Lisi Herrebrugh, nous interpelle à propos du lessivage des océans, et cultive une croissance humainement durable. « Big Again », la collection d'Ester Manas (La Cambre) affine, le mot est choisi, la notion politiquement correcte du corps à une émotion débordante et incarnée. La ligne H (Earring) de Kate Richard, Flora Fixy et Julia Dessirier a remporté le Prix de l'accessoire Swarovski, en imaginant des bijoux précieux ergonomiques pour porter haut un dispositif auditif, atout précieux, plutôt que de le cacher. En toutes choses, l'artisanat valorisé par le Festival promeut constitutivement le travail de la main, et l'innovation par la réflexion.

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Rushemy Botter et Lisi Herrebrugh /  Photo : Etienne Tordoir / Catwalk Pictures


Jean-Pierre Blanc
est le fondateur de ce Festival de l'avant-garde. En 2017, il y a ajouté aux volets « mode » et « photo » une nouvelle section « accessoires », mais pour pouvoir continuer cette mission d'utilité publique (la création, c'est le vecteur d'évolution d'une société), il souligne depuis plusieurs éditions son besoin de soutien en termes de moyens. Sans quoi, le Festival d'Hyères, ses rencontres uniques au monde, ses tremplins décisifs pour les jeunes designers et photographes, ses concerts exclusifs, ses performances et ses gariguettes sont menacées : « La créativité est plus importante que la subversion. On assiste à l'émergence d'une nouvelle génération, plus intéressante, qui cultive la subversion avec intelligence. Glenn Martens, avec Y/Project, incarne une forme de renouveau. Il casse les codes, les fait évoluer, il propose quelque chose de neuf. Dans les dernières collections présentées lors des fashion weeks à Paris, on perçoit beaucoup d'enthousiasme, du courage dans la mode. Depuis plusieurs années, en raison de la noirceur ambiante, le vrai renouveau, c'est une envie palpable de faire la fête. On développe une sensualité nouvelle, un besoin de libération et d'expression du corps, qui se lie avec la mode. La période que nous vivons m'étonne ; c'est comme un retour à la fin des années 70, début des années 80. Il y a des circuits alternatifs qui permettent de ne pas être récupéré immédiatement. Un défilé de mode, ça n'est pas incontournable. La subversion, c'est d'abord savoir s'affranchir des règles. Moi les règles, c'est tout ce que je déteste, et je ne suis pas le seul. C'est la vie, de repousser les cadres, plus encore en matière de création. Cette envie de fête et de sexe fait partie de cette pulsion de renouvellement que j'observe dans la nouvelle génération. Le naturisme par exemple, peut être perçu comme une subversion. Alors qu'on nous rebat les oreilles de bio, de nature, de primitivisme, le naturisme qui se répand actuellement jusque dans les villes, reste un acte alternatif. C'est logique : les oppositions culturelles ont toujours généré de la peur. Ce sont les sociétés les plus riches qui doivent développer les libertés. Via les réseaux sociaux et Internet, et globalement la libération de la communication, les jeunes peuvent échanger entre communautés. Mais la subversion n'est pas l'apanage de la jeunesse : elle fait partie de la vie, de la joie, de l'amour. Il y a des choix complexes que l'on fait jeune, sans recul et c'est une chance, sinon on hésiterait. La jeunesse pousse au culot, mais plus tard, on pose d'autres choix, qui peuvent changer la société (…) Les autres manifestations prestigieuses de mode disposent de moyens beaucoup plus élevés. Nous, nous restons dans une forme de réalité. Je n'aime pas faire de la communication pour la communication, du spectacle pour du spectacle. On accompagne des jeunes, c'est un engagement sérieux. On les guide, on reste à leur côté. Nous menons une mission d'utilité publique culturelle. Nous ne faisons pas que de l'image. Et si nous étions plus aidés, nous pourrions le faire toute l'année, et pas uniquement sur le temps du festival. Mais ça n'a jamais été possible. Ces choses-là se décident dans des dîners en ville, et nous sommes installés en province. Cette mission, la colonne vertébrale de notre organisation depuis 33 ans, plus de la moitié de ma vie. Alors qu'on pourrait avoir la charge du suivi, du soutien des jeunes créateurs en français en Europe, nous ne l'avons pas. Nous avons besoin d'un État qui soit ouvert, et qui défriche la voie ».

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Jean-Pierre Blanc en compagnie d'Ester Manas /  Photo : Etienne Tordoir / Catwalk Pictures

A Hyères comme à Anvers, Rushemy Botter a donc fait le show, en compagnie de Lisi Herrebrugh et secondé par Sanan Gasanov. Interprétant avec humour les questionnements sociologiques et écologique d'une jeunesse caribéenne qui cherche son chemin pour s'intégrer, ils ont exagéré les codes urbains pour mieux nous parler des îles. Leur propos sur le gaspillage et par extension la pollution était servi, avec humour, par la notion d'accumulation pour montrer « le peu qu'on a », quand on n'a pratiquement rien. Sanan Gasanov, jeune designer surdoué, possède à 25 ans deux masters de stylisme, l'un obtenu à Saint-Petersbourg, l'autre à Anvers. Il déclare avoir « voulu créer une collection honnête, parce que la mode perd un peu de son sens ».

Botter /  Photo : Etienne Tordoir / Catwalk Pictures

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Bon design et bon esprit, ces trois jeunes designers se soutiennent entre eux. Rushemy Botter, dont la collection de fin d'année avait déjà marqué les esprits – diplômé en juin 2017, il a déjà sa marque, qui affiche 9 points de ventes : « A l'Académie d'Anvers, pendant quatre ans, nous avons tout partagé : nous mangions, créions, vivions tous ensemble. Nous avons appris à fonctionner comme une famille. Logiquement, nous restons solidaires ». Au Festival, les professionnels chevronnés, qui en voient d'autres, prophétisaient unanimement et à table lors de conversations informelles : « c'est le prochain Virgil Abloh ». On le lui a répété. Il a éclaté d'un beau rire heureux : « Amazing ! Mais pour l'instant, nous souhaitons surtout grandir de façon organique, sans nous précipiter. Nous voulons être créatifs, mais nous souhaitons que nos collections puissent aussi se vendre. Notre objectif n'est pas de construire une marque « hype », mais un label stable et solide. Pérenne. Nous avons adoré défiler ici. Idéalement, la prochaine fois, ce serait à Paris, pour la Fashion Week ».

Botter /  Photo : Etienne Tordoir / Catwalk Pictures

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Un beau retour de succès, aussi, pour l'Académie d'Anvers, récemment mise en cause dans un article à charge publié par B.O.F, dans lequel l'école anversoise et son directeur Walter van Beirendonck avaient manifestement été désignés pour endosser, seuls, toutes les récriminations que l'on peut bien avoir à l'égard d'une école d'excellence, d'art de surcroît. Décriée sans mise en perspective par ce support ultra-puissant (mais au profit du Central Saint Martins, britannique comme B.O.F), l'Académie a triomphé par son talent.

 

Botter /  Photo : Etienne Tordoir / Catwalk Pictures

De son côté, Ester Manas, Toulousaine de 25 ans, venue étudier à La Cambre de Bruxelles après une année de prépa aux Ateliers de Sèvres à Paris, s'est distinguée grâce à sa collection de fin de Master, dans laquelle elle avait exploré des territoires de mode encore niches : la peau, l'excès de peau, et le droit à une appétissante différence, célébrant « l’excès du corps » pour en faire un bijou : « toutes les femmes peuvent être sexy, si elles sont prêtes à oser, et qu’on leur en donne les moyens stylistiques ».

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Ester Manas /  Photo : Etienne Tordoir / Catwalk Pictures

 

Selon la jeune femme, dont la collection a été acclamée, « quand l’homme a besoin d’une armure, il enfile un costume. J’ai réfléchi à la façon dont les femmes, rondes en particulier, pouvaient se sentir sûres d’elles sans se cacher, comme c’est souvent le cas ». Ester a donc éclaté les lignes sans les exagérer, elle est parti sur l’idée d’une cow-girl sexy, qui s’assume et quasi s’exhibe, créant un dialogue entre la peau et le cuir. Jusque dans les peintures volcaniques craquelées qui évoquent les vergetures, elle a démasqué une hypocrisie latente autour des courbes pleines. La créatrice a développé pour tout le monde ce (large) propos, du 38 au 54 pour être précise : « avant d'arriver à La Cambre, je détonnais déjà dans la mode. Et dès ce moment-là, la première récompense dont on m'a parlé, c'était le Festival. Tous les designers avec lesquels de rêvais de travailler étaient passés par « Hyères », et je voulais faire partie de cette famille. J'y avais déjà assisté en deuxième année, en tant que spectatrice. Il y a avait une énergie, un engouement tels, que j'ai compris qu'il se passait quelque chose de fort. » Cette année, elle est venue de Bruxelles avec sa cabine complète de mannequins grandes tailles, « des filles magnifiques, fières de qui elles sont. J'aimerais que mon rêve devienne une pensée logique et normale pour tout le monde. »

Ester Manas /  Photo : Etienne Tordoir / Catwalk Pictures

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H (Earring) de Kate Richard, Flora Fixy et Julia Dessirier, a intégré le (très) utile à (l'extrêmement) esthétique, avec des bijoux à adapter à des dispositifs auditifs. Une réflexion nécessaire et altruiste, qui sort du bois une situation cantonnée au médical, pour y lier une architecture de beauté, sculptée en or blanc ou jaune, ergonomique, minimaliste et moderne. Avec la même démarche démarche de « création responsable », Jina Jung, a réalisé en collaboration avec Le Coq Sportif une collection de sac "Conshoesness" à partir de baskets démontées et recyclées.

H (Earring)

 

Kate Richard, Flora Fixy et Julia Dessirier, avec Christelle Kocher /  Photo : Etienne Tordoir / Catwalk Pictures

 

"Conshoesness" /  Photo : Etienne Tordoir / Catwalk Pictures

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Jean-Pierre Blanc avait composé cette année ses jurys de Haider Ackermann pour la mode, par Bettina Rheims pour la photographie, et par Christelle Kocher au nom de la Maison Lemarié, pour la deuxième promotion de la section accessoires. « Je les ai choisis pour leurs façons singulières de procurer des émotions. Pour les expositions, nous présenterons des artistes qui ne sont pas forcément connus du grand public, comme Pierre Marie, qui dessine des tissus, très respecté dans la profession. Notre mission est aussi d'encourager les savoir-faire. »

Le jury 2018 /  Photo : Etienne Tordoir / Catwalk Pictures

Célébré par tous « les professionnels de la profession », suivi par les médias les plus influents, avec passages réguliers de ministres et CEO des groupes qui font la pluie et le beau temps sur la mode internationale, c'est au Festival d'Hyères que l'avant-garde se passe. Pour Jean-Pierre Blanc, « il ne faut mettre son énergie à pousser tous les métiers de la mode. Le festival démarre avec le printemps, les fleurs, les jardins. C'est un environnement qui invite à la non prise de tête. On n'est pas dans une capitale. Il y a bien sûr le stress des préparatifs, mais le contexte apporte force et sérénité. À Hyères, c'est la mer qui nous garde les pieds sur terre (le festival n'est pas à un paradoxe près). Je suis très attaché à la réalité. »

Les jeunes talents révélés lors de la 33ème édition sont sur leur rampe de lancement. Vivement les suivants.

 

Sarah Bruylant, Belge, Prix du Public /  Photo : Etienne Tordoir / Catwalk Pictures

 

Ester Manas /  Photo : Etienne Tordoir / Catwalk Pictures

 

Ester Manas /  Photo : Etienne Tordoir / Catwalk Pictures