La Cambre show 2017 : ce qu’il fallait voir

Mis à jour le 20 novembre 2018 par Elisabeth Clauss
La Cambre show 2017 : ce qu’il fallait voir

(Photos : Etienne Tordoir / Catwalk Pictures)

Depuis plus de 30 ans, La Cambre Mode[s] repousse les limites du stylisme tel qu'il est communément répandu, forme une élite d'avant-garde, et fournit les meilleurs studios internationaux en créatifs assertifs. Planté dans les nuages, le show 2017 a pris encore de la hauteur.

Olivier Theyskens présidait le jury. Depuis un an, le « petit prince de la mode belge » revient avec une collection Couture tissée d'histoires. Il est un peu à la mode ce que Xavier Dolan est au cinéma. Précoce, observé à la loupe, et trop rare publiquement. A 19 ans, Olivier Theyskens entamait ses études de stylismes à La Cambre. A 25 ans, il devenait directeur artistique de la Maison Rochas. A 29 ans,  il acceptait le même poste à la tête de création de Nina Ricci. Puis Theory à 35 ans, et peu avant le passage vers la quarantaine, la fondation de sa Maison éponyme, finalement. La Cambre, il y est revenu le week-end dernier, le temps d'encourager les élèves de master, et de porter son regard expert sur leurs collections. Auprès de lui, A.F. Vandevorst, Christina Zeller (Delvaux), et d'autres « anciens » de l'école : Nicolas Di Felice (Louis Vuitton), Sami Tillouche (Lanvin), Michael Marson (Behind The Blinds). Des rédacteurs en chefs, des journalistes, et Francis Kurkdjian, « compositeur de parfums », esthète et créateur d'atmosphères, lui-même lié à la mode.

On est habitués à ce que l'école décolle. Cette année, les mannequins flottaient directement dans des nuages, car parfois là où il y a des fumigènes, il y a beaucoup de plaisir.

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Les premières années, avec leur poésie expérimentale pleine de sens intime et d'humour même, ont déroulé leur cortège de lignes exacerbées. Pour définir son langage propre et complètement habité, il faut savoir déshabiller les clichés.

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Les secondes années ont exploré maille et ornements, dans une jubilation de surenchère mesurée. Un passage du défilé énergique et contrasté où déjà, pointait les personnalités des élèves portant chacun haut ses références culturelles et artistiques.

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Les troisièmes années ont travaillé sur les lignes masculines, lors d'un voyage créatif à la fois onirique et chorégraphié. Des coupes androgynes mixées aux codes de la masculinité, l'exigence de la fluidité, de la sensualité, du rythme et de la peau humoristiquement dévoilée. L'évidence, aussi, d'un professionnalisme impressionnant chez ces tous jeunes designers.

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De la quatrième année, outre la qualité générale des productions des élèves qui ont déjà effectué plusieurs stages dans de grandes maisons, on retiendra, sans revendiquer d'absolue objectivité, les collections :

- d'Alice Fraudeau, qui a célébré le corps féminin en combinant le trouble de la transparence, les volumes modulables des volants, et la séduction sévère, donc irrésistible, du vernis noir. Un contraste d'influences, l'innocence de la sleep dress, l'affirmation du noir structuré, et la bretelle qui tombe sur l'épaule, feinte fragilité taquine.

- les mélanges de souvenirs de Clément Grangier, avec sa collection de vêtements « d'enfants » retravaillés selon un principe d'origami. Les pièces poussent comme des plantes, s'extrapolent. Clément a développé différents niveaux de volumes et de compréhension, crée une collection qui dépasse son propos et ce faisant, s'inscrit fidèlement dans cette mode belge qui l'a formé.

- Emilie Renaudeau a quant à elle stylistiquement écumé les grandes plaines d'Amérique. Son road trip a revisité aussi le vestiaire masculin appliqué à une femme adepte des pièces déstructurées puis remontées. Partant du jean et du trench, Emilie a imaginé des systèmes de boucles et de sangles, et customisé le tout avec des patchs amovibles.

- Miléna Walter a puisé son inspiration dans la fantasmagorie du chagrin d'amour, entre légères pièces « fragiles » et corsets de cuir structurant. Du flou à la rigueur, du lâcher-prise à la complémentarité de la féminité exaltée par le (nécessaire) contrôle.

- Et puis, du point de vue de la réalisation et de la scénographie, on a applaudi debout le très professionnel et fantasque Cyril Bourez. Lui, il a osé : transfigurer les icônes emblématiques des Maisons qui ont changé en leur temps – et même un peu depuis, par-ci par-là - le visage de la mode moderne (Comme Des Garçons, Jean-Paul Gaultier, Dior, Chanel, Balenciaga. Il les a présentées sur une bande sonore kitsch, réjouissante et décalée. Chaque modèle présenté par les mannequins, y inclus Cyril lui-même, a été annoncé et explicité. En filigrane, la question suivante : « puisque de toute façon la fast fashion récupère tout, à quoi bon faire encore de la mode ? » C'était dynamique, culotté, efficace et différent. A peu près ce qu'on exige, au mieux, des prestations d'un élève d'école d'art. On attend avec une curiosité mâtinée d'impatience de découvrir quelles histoires il racontera l'année prochaine, ayant évité pour cette fois l'écueil de l'hommage qui aurait tourné au remake.

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Mathilde Van Rossom et sa collection en calicot

La cinquième année enfin, celle du master diplômant, celle des fantasmes et des nuits blanches, de la débrouille et du dépassement de soi.

Le Prix ELLE ♥ LA CAMBRE a été attribué à Adèle Andréone. En 2016, elle avait déjà séduit le jury en réfléchissant la féminité dans le vêtement de travail, y avait brodé de l'érotisme dans de la soie. On avait retenu la délicatesse des superpositions, les boucles de ceintures d'avion (prête au décollage) et les accessoires en forme de mains. Jeux demain, jeux de Cambriens.

Pour sa collection de fin d'études, Adèle s'est plongée dans la mythologie d'Erzsébet Báthory, le premier « vampire » célèbre, dont s'est inspiré Bram Stocker pour créer son Dracula. Sa légende trouve sa source dans l'histoire fantasmée d'une noble réputée ultra cruelle.  Erzébet était vraisemblablement une richissime propriétaire terrienne, bonne mère et remarquable gestionnaire, qui recueillit au sein des murs de son château des dizaines de femmes pour les soustraire aux sévices des Ottomans (début 1600, par là). Le fait est que sa philanthropie était calculée, qu'elle en a fait ses servantes et qu'à l'époque, le personnel n'étant pas ou mal syndiqué, il était communément maltraité. Sa richesse + son ingérence politique + un sadisme certain firent d'elle une figure maléfique dans la légende populaire. Elle finit ses jours emmurée chez elle, sans procès et sans wifi. Le rapport avec les vêtements de la fraîche Adèle ? Le look « comtesse » réactualisée en K-Way et toile cirée, avec smocks et bijoux de têtes un brin fétichistes. Une histoire dans l'Histoire, un conte de femmes et au bout du compte, une jeune créatrice prête à tout défroncer.

Ester Manas a osé de nouveaux territoires mode qui font du bien : son propos, célébrant l'excès de chair pour en faire un bijou, était de démontrer que toutes les femmes peuvent être sexy, si elles sont prêtes à oser, et qu'on leur en donne les moyens stylistiques. Selon la jeune femme, dont la collection a été acclamée, « quand l'homme a besoin d'une armure, il enfile un costume. J'ai réfléchi à la façon dont les femmes, rondes en particulier, pouvaient se sentir sûres d'elles sans se cacher, comme c'est souvent le cas ». Ester a donc éclaté les lignes sans les exagérer, elle est parti sur l'idée d'une cow-girl sexy, qui s'assume et quasi s'exhibe, créant un dialogue entre la peau et le cuir. Jusque dans les peintures volcaniques craquelées elle évoque les vergeture, et propose la transparence qui à sa façon, démasque une hypocrisie latente autour des courbes pleines. Une démarche positive et assumée, pour un propos universel.

Alix Brandenbourger a de son côté revisité les codes « red carpet » et « Met Ball », mixant vêtements du quotidien et d’apparat. Sa robe du soir, elle l'a composée à partir d'une traîne en sacs de tris roses, froncés. Alix a imaginé un sweat à cape, un bomber à œillets, elle a ressorti les manches chauve-souris (qui nous manquaient après leur tragique éviction des années 90'). Sa bonne idée : choisir un détail de chaque pièce, l'exacerber, et en faire l'élément fort de la silhouette.

Kevin Praet a quant à lui mis à profit sa passion pour Céline Dion. Imaginant des tenues de scène ultra-brandées, il nous a invités à nous interroger : « quand on est fan, à partir de quand perd-on sa personnalité ? » Le tout étant de veiller à conserver son second degré…

 

Cette nouvelle édition du show de La Cambre a révélé une recherche sans cesse renouvelée, et puisqu'en 30 ans la société a évolué et les générations de jeunes créateurs se sont succédé, on observe que si les codes ont doucement changé, l'exigence et une attention constante à chacune de ces jeunes pousse n'a jamais démérité.