Vinted, on y va pour vendre une robe trop petite ou dénicher un jean Levi’s vintage. On y reste parfois des heures, happée par la dopamine du scroll et le frisson de la bonne affaire. Sauf que, derrière la plateforme de seconde main monopolisée par les millenials et la Gen Z, se cache une réalité beaucoup plus sombre. Une enquête du média allemand Tagesschau vient en effet de lever le voile sur une pratique inquiétante : des photos de femmes postées sur Vinted volées, sexualisées, et diffusées dans des groupes Telegram à connotation sexuelle. Sans le moindre consentement bien sûr.
Le piège des « photos portés »
Dans cet article du média allemand, on y lit le récit de Bella, étudiante de 26 ans. Cette utilisatrices régulières de Vinted, comme beaucoup, poste des photos de ses vêtements portés pour mieux les vendre. Jusqu’au jour où elle commence à recevoir des messages louches. D’abord des compliments ambigus, puis des allusions très explicites : « Et la lingerie dessous, elle est à vendre aussi ? », « C’est un string noir, non ? »… On connaît la suite.
En réalité, ses photos – et celles d’au moins 100 autres femmes – ont été aspirées sans autorisation et balancées dans un groupe Telegram intitulé « Girls of Vinted ». Un canal qui a grossi en quelques semaines, passant à plus de 2 000 membres, essentiellement masculins. Le tout ponctué de commentaires déplacés, d’emojis flamme et de cœurs à gogo. Ambiance.
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Une vitrine involontairement du male gaze
Les photos les plus likées ? Sans surprise, celles où les femmes portent des crop tops, des mini-jupes ou des robes moulantes. Nul besoin de montrer son visage : les clichés de dos, en short ou en legging suffisent. Une forme de harcèlement de rue version digitale, sauf qu’ici, il ne suffit pas de changer de trottoir.
Au milieu de tout ça, une dénommée « Sara », une milanaise prétendument âgée de 29 ans. Depuis juin 2024, elle poste presque quotidiennement des photos et des liens vers des profils d’utilisatrices de Vinted sur ce canal. Les images montrent, de préférence, des tenues laissant apparaître le plus de peau possible : que ce soit par des t-shirts laissant apparaître le ventre, des robes moulantes ou des shorts courts. La collection de la chaîne compte aujourd’hui plus de 1 000 photos
De l’impunité algorithmique
Face à ces dérives, les femmes concernées se retrouvent dans une impasse. Porter plainte ? Oui, mais contre qui ? La mystérieuse « Sara » ? Telegram, qui n’a pas de siège en Europe et dont les recours légaux sont pire que flous ? Résultat : la plupart laissent tomber. De son côté, Vinted a reconnu le problème, et a lancé une campagne « Tolérance zéro » avec une fonction de signalement. Une solution jolie en théorie, mais très peu efficace en pratique. Car, dans les faits, les modérations sont lentes, les comptes réapparaissent sous d’autres noms, et les messages inappropriés continuent de pleuvoir. « J’ai dû désactiver les commentaires sur mes annonces », confie Bella à Tagesschau. « Ça devient invivable. »
Cette affaire, loin d’être anecdotique, soulève une question essentielle : comment une plateforme pensée pour échanger des vêtements a-t-elle réussi à devenir un terrain de chasse pour certains hommes ? Le problème n’est pas nouveau, mais il prend une ampleur redoutable à l’ère où la culture du « body positivity » pousse les femmes à se montrer sans honte… pour mieux se faire instrumentaliser. Aujourd’hui, même vendre un crop top vire à la sexualisation pour les femmes.
@localwinemum A Telegram channel has now been discovered that posts and shares pictures and information of women that the users find on the popular secondhand clothing site Vinted. The channel has a mostly male audience and many of the women posted on there are now being harassed by these men on Vinted and other platforms #fy #foryou #fyp ♬ original sound – seba
Que faire ?
Alor oui, Vinted a été pensé initialement comme un vide-dressing friendly, pas comme un vivier pour pervers 2.0. Mais à l’heure où les photos les plus banales peuvent se transformer en matière première pour des fantasmes en ligne, les plateformes ne peuvent plus faire semblant. Parmi les solutions : mettre en place un filtre automatique pour bloquer la capture d’écran des annonces, former des modérateurs en chair et en os, capables de détecter les comportements suspects ou encore créer un bouton de signalement d’urgence. Alors, à quand un vrai nettoyage de printemps ?