“On pourrait dire que l’hystérie est une caricature d’une création artistique.” Cette pensée, notée par Sigmund Freud dans Totem et Tabou en 1913, peut nous aider à comprendre le phénomène Labubu. Il y a plus d’un siècle, la psychanalyse appliquée à l’anthropologie, la sociologie et la religion a apporté un nouvel éclairage sur ces domaines. Elle nous a montré les liens entre la collectivité et l’individu, enracinés dans une conscience primitive qui influence nos comportements actuels.
Les petites créatures Labubu, destinées à être collectionnées ou à ajouter la touche finale à un post Instagram ou à une vidéo en direct sur TikTok, sont emballées dans une boîte surprise que l’on ouvre avec la même excitation que pour un jouet de notre enfance. C’est devenu une sorte de totem qui suscite des sentiments ambivalents : un objet convoité sur lequel nous projetons amour et névrose, et en même temps une sorte de ‘talisman’ qui nous protège.
Marketing 101 – une leçon que Pop Mart, la marque chinoise qui distribue Labubu depuis 2015, comprend bien. Depuis 2019, leurs revenus ont augmenté de plus de 100 % en un an, grâce à Lisa de BLACKPINK, Rihanna, Dua Lipa et les Kardashian, en plus d’une armée de micro- et macro-influenceurs qui ont exhibé Labubu sur des sacs Hermès, Louis Vuitton et Dior. Les chiffres du premier trimestre 2025 restent également positifs.
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Une explosion due à un mélange de hasard et de kawaii – le terme japonais pour désigner la mignonnerie – qui répond parfaitement aux insécurités des Millennials et de la Gen Z, les deux générations les plus attachées à Labubu. Quoi qu’il en soit, le créateur Kasing Lung est désormais passé d’illustrateur de livres pour enfants à star mondiale.
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Sollicité pour des collaborations par des marques de tous secteurs, Lung est devenu le gourou d’un mouvement néo-pop art qui mélange la mystique des contes nord-européens, connus depuis son enfance aux Pays-Bas, avec un style graphique et street. Cela le rend irrésistible pour les galeristes de Hong Kong, sa ville natale, à Tokyo, Los Angeles et Londres. Wang Ning, fondateur de Pop Mart, est désormais à 38 ans l’un des hommes les plus riches de Chine.
Les magasins Pop Mart officiels dans le monde sont devenus une sorte de théâtre à ciel ouvert avec des files d’attente interminables, où à chaque nouvelle sortie de Labubu se jouent des scènes dignes de Freud – tantôt atténuées, tantôt amplifiées par le prisme des réseaux sociaux.
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Les files commencent avant même l’ouverture du magasin, et se finissent souvent en effondrements nerveux ou en larmes pour celles qui arrivent trop tard. Épuisé signifie non seulement que vous ne pourrez probablement plus obtenir votre Labubu – même pas en ligne – mais que les prix de revente sur les plateformes de e-commerce explosent. Ce qui commençait à 15 ou 20 euros grimpe pour les éditions rares ou limitées à des milliers d’euros.
Ainsi, Labubu, avec Zimomo, Mokoko, Pato, Pippo, Tykoko, Spooky et Yaya, les autres Monstres de l’univers, devient bien plus qu’un simple bibelot décoratif. Ils révèlent sur nous plus que nous ne voulons l’admettre. Non pas parce qu’ils sont objectivement beaux ou laids, mignons ou effrayants (nous laissons ce jugement en suspend) mais parce que leur charme déroutant nous confronte à ce que nous préférerions ne pas reconnaître dans notre reflet.
Le visible et le réel se tiennent la main, au-delà de la mode et des tendances, avançant à toute allure vers un horizon où bientôt de nouvelles silhouettes mythologiques apparaîtront.